Économie circulaire

Sébastien Pichot : «Les ressourceries deviennent des lieux de résistance et de transmission des savoir-faire manuels»

Par Marie Boetti, le 8 octobre 2020

© La Ressourcerie du Pont

Le vice-président du Réseau national des Ressourceries, Sébastien Pichot, encourage les Français à découvrir le réemploi et l’upcycling à l’occasion de la deuxième édition de la Semaine nationale des Ressourceries, du 5 au 11 octobre. Des pratiques donnant une seconde vie à 94% des objets collectés et créant 27 fois plus d’emplois que le recyclage.

Propos recueillis par Marie Boetti

Qu’est-ce qu’une ressourcerie ?

Une ressourcerie est un lieu de proximité. Il y en a 155 en France. C’est un lieu où l’on peut amener des objets qui ne servent plus, mais qui peuvent avoir une seconde vie. Soit nous les recevons, soit nous venons les collecter. Puis, nous mettons tout en oeuvre pour essayer de les revaloriser au local, les réparer, les repeindre et les nettoyer. Nous essayons de les vendre en boutique à un prix peu élevé. Et par là, d’éviter de recréer du neuf et de puiser dans les ressources.

Il y a aussi une partie axée sur la sensibilisation. Nous mettons en place sur le territoire des actions pour avoir un objectif zéro déchet.

Comment est né le Réseau national des Ressourceries ?

Il est né il y a 20 ans par des structures convaincues qu’il fallait une force de réseau, ne pas s’arrêter uniquement aux modèles économiques et à des actions localisées sur les déchets.  Il faut être plus fort que ça parce que, encore aujourd’hui, les déchets ne font qu’augmenter. Il s’agissait de créer une expertise citoyenne – la plupart sont des associations, même s’il y a quelques collectivités – pour proposer des solutions viables économiquement, écologiquement et socialement sur les déchets.

Quels sont les enjeux sur le plan environnemental du réemploi, de la réparation et de l’upcycling ?

L’idée est dans les lois. Les directives européennes qui influencent le cadre légal français prévoient pour le traitement des déchets, de premièrement ne pas en produire. C’est la sensibilisation. Ensuite, vient le réemploi et la réparation. Et après, le recyclage et l’incinération, qui sont des solutions beaucoup plus polluantes. Même si, dans notre tête, nous estimons que le recyclage est l’alternative, il a un coût écologique avec les transports et la transformation des matières dans les usines.

Les ressourceries sont des laboratoires où tout est inventé. Elles possèdent une expertise nationale, car nous sommes en lien grâce au réseau. Nous bénéficions de l’expérience de personnes ayant 20 ans de ressourcerie.

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Les ressourceries sont-elles la solution pour résoudre le problème de la gestion des déchets ?

Il faudrait que l’on soit tous de la partie, que ceux qui produisent des objets aient cette réflexion. Nous voyons bien que ce n’est pas le cas. Les gadgets continuent d’arriver, les publicités qui nous poussent à plus de consommation aussi. C’est un combat citoyen. Dans les ressourceries, il y a une obligation de tout peser, ce qui rentre et ce qui sort. Chacune possède un observatoire sur l’impact réel des déchets. Nous compilons les données au niveau national. Nous pouvons ainsi affirmer que, quand il y a une ressourcerie dans le territoire, 94% des objets collectés trouvent une seconde vie*. Il n’y en a plus que 6% qui sont envoyés à l’incinération ou à l’enfouissement. Ce qu’il faudrait, c’est qu’il y ait autant de ressourceries que de déchetteries.

Pour l’instant, nous ne sommes qu’une goutte d’eau, même si nous sommes bien répartis et faisons de bons résultats. Il faut qu’il y ait beaucoup plus de structures pour manier intelligemment le territoire, comme on a su le faire avec les déchetteries. Nous aurons un impact très fort, afin de prouver que la solution est viable.

Représentent-elles les modes de consommation de demain face à la crise écologique, économique et sociale ?

Complètement ! Parce que nous empêchons l’extraction de nouvelles ressources, qui est un peu l’origine de tous les maux de notre société. Une nouvelle vision sur la manière de travailler est en train de se mettre en place. Les ressourceries permettent de plus en plus aux artisans d’apparaître et d’avoir une économie viable. Eux puisent dedans pour trouver des nouvelles solutions. Finalement, nous devenons des lieux de résistance, de préservation et de transmission des savoir-faire manuels.

Ce sont également des structures d’insertion professionnelle. Combien d’emplois génèrent-elles ?

Là où l’enfouissement ne crée qu’un emploi, l’incinération en crée quatre, le recyclage 31 et le réemploi solidaire 850. Si nous voulons recréer des emplois non délocalisables, que nous obligent à repenser la crise du Covid-19 et surtout la crise écologique, alors ces «valoristes» feront partie des nouveaux emplois de la transition. Une nouvelle économie sociale et solidaire.

Même sur un territoire en crise, nous arrivons à être un lieu de passage énorme, avec une mixité sociale.

Je suis aussi administrateur d’une ressourcerie au Vigan, dans les Cévennes. C’est un territoire en crise économique. Le fait que nous ayons créé une ressourcerie, racheté le bâtiment en moins de trois ans et généré sept emplois montre que c’est un projet exemplaire. Nous avons prouvé que, même sur un territoire en crise, nous arrivons à être un lieu de passage énorme, avec une mixité sociale. Les ressourceries sont une bonne porte d’entrée de la transition pour indiquer que – si on réfléchit différemment – les aspects environnementaux et sociaux ne bloquent pas la viabilité économique.

Quel est l’intérêt d’intégrer ces pratiques en milieu rural, en plus des villes ?

Les milieux ruraux génèrent également beaucoup de déchets. Il y a régulièrement des personnes qui résident principalement en ville qui vident leur maison de campagne. S’il n’y avait pas de solution directe, les objets partiraient à la déchetterie. Le monde rural commence également à se rendre compte de ses privilèges. Le Covid-19 a mis ça en lumière. Il y a un intérêt à ce qu’il soit un territoire où il fait bon vivre.

Les ressourceries se présentent comme des lieux de lien social. Sont-elles accessibles à toutes les classes ?

Nous avons une utilité sociale énorme, que ce soit pour les personnes qui n’ont pas les moyens d’acheter du neuf ou celles qui veulent avoir une consommation plus responsable et éthique.

La faille vis-à-vis du public se situe au niveau des adolescents qui sont déjà bien conditionnés par la publicité, même s’il y en a beaucoup qui se réveillent et qui marchent pour le climat. Il y a une démarche à faire auprès d’eux pour leur expliquer qu’il ne faut pas qu’ils attendent d’avoir des emplois ou des enfants pour réfléchir au monde de demain. Cela passe par des partenariats avec les écoles, des portes ouvertes ou des concerts autour du réemploi. Il s’agit d’investir les localités par des actions culturelles autour de l’upcycling ou des ateliers sur comment fabriquer ses cosmétiques soi-même. Cela passe aussi par une communication nationale, comme en ce moment avec la Semaine nationale des Ressourceries.

Pourquoi est-il essentiel de lier empreinte écologique et exclusion sociale ?

Nous le voyons avec ces personnes qui sont souvent éloignées du monde du travail, par le handicap ou l’âge. Le travail dans une ressourcerie est différent en raison du lien avec l’environnement. Chaque objet qu’on réussit à valoriser est une victoire. Il y a une plus-value. Allier la viabilité économique à cette dimension sociale prouve que la vie sur Terre peut continuer à être possible.

La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire prévoit 5% de réemploi et réutilisation sur l’ensemble des déchets des ménages. Que change l’inscription de ces pratiques dans la législation française ?

C’est un début de prise en compte des politiques. Ils avaient choisi la voie du recyclage et le financement par les écotaxes. Aujourd’hui, ils commencent à faire la différence entre le réemploi individualiste, comme Le Bon Coin, et le réemploi solidaire qui crée des lieux présents sur les territoires et des réflexions citoyennes.

Cette loi a nécessité une grosse mobilisation du Réseau national des Ressourceries avec Emmaüs et les recycleries pour arriver à faire inscrire la considération du réemploi solidaire. Ce n’était pas gagné. Nous avons eu l’unanimité au Sénat et avons parlé avec les députés. Nous sommes très fiers et heureux parce que nous avons réussi à montrer à l’ensemble du réseau que, si nous sommes stratégiquement bien reliés, nous pouvons impacter des lois.

Le réemploi solidaire apparaît comme transpartisan, de l’extrême droite à l’extrême gauche.

D’ailleurs, nous l’avons refait. Bercy nous bloquait les aides de soutien post-Covid. Toutes les ressourceries ont donc appelé leurs députés et leurs sénateurs locaux. Si les politiques viennent dans une ressourcerie, c’est gagné. Nous avons les chiffres et l’exemple de la création d’une économie là où il n’y en avait pas. Ils se rendent compte de l’impact. Au niveau national, ça a un effet. Pour le plan de soutien**, nous avons à nouveau eu l’unanimité au Sénat. Le réemploi solidaire apparaît comme transpartisan, de l’extrême droite à l’extrême gauche.

Quelle évolution avez-vous observée depuis la création du Réseau national des Ressourceries en 2000 ?

Nous apercevons une montée en compétences des ressourceries. Nous nous devons de créer des partenariats avec les collectivités locales, avec les acteurs locaux qui gèrent la gestion des déchets. Depuis 20 ans, nous nous rendons compte que les ressourceries s’intègrent dans cette réflexion locale sur la feuille de route de l’économie circulaire. Elles sont de plus en plus reliées aux universités scientifiques pour trouver les processus d’ingénierie nécessaires. Nous sommes désormais capables de bien orienter pour faire en sorte qu’un projet de ressourcerie – s’il répond à la méthodologie – ait 95% de chances de cartonner. Les territoires sont en attente.

Au niveau du public, nous nous apercevons, grâce à la communication, qu’elles se démocratisent. Elles apparaissent comme des boutiques normales.

Après le confinement, les dons d’objets et équipement ont augmenté de manière significative. De plus en plus de Français sont-ils prêts à s’y mettre ?

Je pense qu’une majorité de gens a compris que, face à cette pollution, nous sommes tous des grains de sable, mais que nous pouvons inverser les tendances en faisant tous notre part. Pendant cette période où ils sont restés un peu plus longtemps chez eux, ils ont réalisé que l’espace était important. Du coup, nous avons eu une vague d’objets énorme. Ils sont en train de prendre conscience des limites du matérialisme.

Comment gérer un tel afflux ?

Nous voyons des difficultés à chaque vague d’objets. Des ressourceries peuvent recevoir 2,5 tonnes de sacs par jour. Nous demandons alors de multiplier le maillage territorial, que les collectivités locales comprennent l’intérêt de créer une ressourcerie et que l’État sache que, en peu de temps, nous sommes capables d’avoir un impact énorme sur les objets, pour ne pas polluer la planète, tout en récréant beaucoup d’emplois délocalisables avec un avenir prometteur devant eux. D’ailleurs, avec le Réseau national des Ressourceries, nous sommes en train de monter une formation diplômante de technicien du réemploi. Ce sont de vraies compétences, un savoir précieux.


*Selon l’édition 2019 de l’Observatoire des Ressourceries.

**Début septembre, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a annoncé un plan de dix millions d’euros, avec le soutien de l’Ademe (Agence de la Transition écologique).

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