Pierre Rabhi vote amour et écologie
À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, l’agriculteur-philosophe Pierre Rabhi nous invite à repenser notre vision de la politique. Entre écologie, économie, éducation et vote, l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 2002 souhaite remettre le citoyen au centre des débats.
Pierre Rabhi à Montchamp en Ardèche. © Patrick Lazic
Votre engagement citoyen est-il un acte politique ?
Oui, c’est forcément un acte politique dans le sens où j’essaie de contribuer à donner de l’essence à l’histoire. Ce n’est pas neutre, étant donné que je suis relié à des actions [Le mouvement Colibris, Terre et Humanisme, le Centre agroécologique Les Amanins] qui tentent de faire évoluer la société d’aujourd’hui. Pour autant, ce n’est pas une politique alignée sur des politiques conventionnelles, mais c’est de la politique de la vie.
Vous dites que l’écologie doit être une conscience et pas un parti politique. Pourquoi ?
Parce qu’il est évident que l’écologie est l’élément qui concerne absolument tout le monde, que l’on soit président de la République ou pas. Cela concerne monsieur Trump comme n’importe qui, car c’est la vie elle-même. Ce n’est pas quelque chose que l’on doit traiter de manière subsidiaire. Nous sommes tous constitués d’eau, nous respirons tous de l’air, il n’y a pas la Terre et nous. L’écologie c’est moi, c’est mon corps, et je ne peux pas faire n’importe quoi avec mon corps, manger n’importe quoi. La Terre est vivante et doit être respectée, nous faisons partie de cette totalité. Le mental nous a séparés de la nature, c’est pourquoi il faut revenir à cette conscience que ce que je suis est régi par la vie et donc par l’écologie.
Pensez-vous que les partis politiques reconnaissent ces priorités ?
Il y en a qui les reconnaissent peut-être honnêtement, mais il y en a pour qui c’est seulement de la démagogie.
Que vous inspire la campagne présidentielle en France ?
Rien de particulier sinon qu’elle continue à entretenir une logique qui ne fonctionne pas. Je ne juge pas les personnes, parce que chacun doit savoir en son âme et conscience pourquoi il fait de la politique ; il y a celui qui est ambitieux, celui qui représente l’opposition droite-gauche qui est à mon sens dépassée, etc. Il est difficile de voir quelle est la motivation de chaque personnalité politique. Mais, ce qui est sûr, c’est que ces pauvres gens sont amenés à faire de l’acharnement thérapeutique sur un modèle qui ne fonctionne pas. Alors ils cherchent à le rafistoler, quel que soit le modèle.
À quoi sert-il alors de voter ?
Je pense qu’il y a malgré tout une échéance électorale à laquelle on doit répondre, mais ce qu’il ne faut pas, c’est s’installer dans cette logique de reproduire un modèle qui ne fonctionne pas. Nous devons aller graduellement vers une autre logique. Nous sommes régis par le suffrage universel comme étant l’expression de la démocratie : et dans cet esprit-là, il est normal et je dirais même presque un devoir de voter.
Tout n’est donc pas à rejeter dans le système politique ?
Non, car il y a des choses dans la politique conventionnelle qui sont à retenir pour éviter le chaos général. Il faut bien qu’une société soit organisée, qu’il y ait des structures, des administrations, des préfets, etc., des règles qui permettent de vivre ensemble. Mais aujourd’hui il est essentiel de changer certaines choses.
C’est pourquoi je propose un changement de paradigme, et pas simplement d’aménager le modèle économique et social. Parce qu’on n’en peut plus d’aménager ce modèle qui se délite et se détruit de tous les côtés. Ce n’est pas pour rien que depuis des années je m’oppose à la croissance indéfinie. Il est stupide de vouloir croître indéfiniment. C’est cette croissance économique infinie qui crée les inégalités et les disparités incroyables. C’est pour la croissance économique que l’on démolit les forêts, que l’on détruit la terre, que la planète entière est mise en pillage. Ce réflexe stupide de gagner de l’argent est la cause de 80 % des maux de la planète.
Quel serait le nouveau modèle ?
Au lieu d’être dans le toujours plus, il faudrait être dans la sobriété heureuse et la considérer comme l’énergie fantastique du changement social, comme je l’ai écrit dans mon livre La Puissance de la modération (2015). Au lieu de se dire « toujours plus, toujours plus » sans être jamais satisfait, prenons le génie du contentement ! Le contentement comme art de vivre.
Ce changement de valeurs est possible grâce à l’Amour, pas celui de l’intimité mais l’Amour en tant qu’énergie extraordinaire qui préexiste à nous, auquel on doit s’ouvrir. Car c’est la plus grande énergie qu’un être humain puisse déployer comme énergie constructive, un principe actif dès lors qu’un individu le reçoit en lui-même et l’exerce. Et s’il l’exerce cela donne de la justice, de l’équité dans le rapport féminin-masculin, cela donne de la compréhension. L’Amour donne tout cela, et c’est lui qui peut changer les choses.
Entretien réalisé par Sabah Rahmani
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