Agriculture et Mouvements citoyens

« Nous voulons des paysans », le nouvel appel de Fabrice Nicolino après « Nous voulons des coquelicots »

Par Lio Viry, le 7 octobre 2020



Après deux ans de lutte et de mobilisation, le mouvement des coquelicots initié par Fabrice Nicolino touche à sa fin. Mais le journaliste ne compte pas en rester là. À travers un nouvel appel – « Nous voulons des paysans », lancé le 10 septembre, celui qui bataille pour l’interdiction de tous les pesticides espère maintenant éveiller les consciences en faveur d’une sortie de l’agriculture industrielle. Entretien.

 

Deux ans après le lancement du mouvement « Nous voulons des coquelicots » et ses 1 135 134 signatures récoltées en faveur de l’interdiction des pesticides, vous publiez un nouvel appel nommé « Nous voulons des paysans ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Cet appel, extrêmement ambitieux est assez simple en vérité. Il s’agirait de créer un raz-de-marée démocratique en faveur d’une sortie en dix ans de l’agriculture industrielle. Plus précisément, il s’agirait d’aider les paysans à se diriger vers un système plus vertueux, qui ne les écrase pas, en passant un contrat avec eux de façon à ce qu’ils puissent en sortir dans la dignité et dans de bonnes conditions morales et matérielles. À cela vient également s’ajouter notre volonté d’installer un million de paysans nouveaux à la campagne. C’est l’aspect le plus ambitieux à mettre en place. Il faut les trouver et cela exige un sursaut collectif et historique de la société française. Il s’agit là de voir si on est assez volontaire et suffisamment désireux de changer les choses pour obtenir ce que l’on veut. Un million de paysans nouveaux à la campagne en dix ans, ça changerait radicalement le visage de la France.

C’est-à-dire…

Disons que la France, pour de multiples raisons, est aujourd’hui malade. Le pays a été spatialement pensé au début des années 60 comme un réseau de grandes villes reliées par des autoroutes et des lignes TGV. C’est une vision extrêmement technocratique et économiciste. Le résultat est affreux, car en dehors des grandes villes, nous avons toute une France qui a été radicalement oubliée et qui voit ses services publics et ses commerces disparaissent les uns après les autres. C’est une catastrophe, il faut rééquilibrer tout cela et c’est ce que je propose avec ce projet. En installant 100 000 paysans à la campagne chaque année, on faire revivre des tas et des tas de petites villes et villages, on rétablit des services publics essentiels, on rouvre des écoles, on fait à nouveau circuler des trains. C’est un visage totalement nouveau de la France, un visage d’espoir, neuf et absolument pas régressif. Je ne parle pas de revenir à la chandelle ou de vivre sur des sols en terre battue. Il s’agit de créer une paysannerie modèle, sans pesticides, avec des outils et des machines modernes, et surtout avec des gens qui vivent bien, qui peuvent partir en vacances et mener des vies agréables.

Il s’agit effectivement d’un changement radical d’orientation. Mais selon vous, les mentalités ont-elles suffisamment évoluées pour que des dizaines de milliers de personnes choisissent cette voie chaque année ? 

Le préalable absolu, c’est de faire circuler cette idée, de voir si elle est reprise massivement et si les gens ont envie de la porter et de la défendre, car il est évident qu’il ne se passera rien sans un sursaut collectif. Toutefois, je crois sincèrement que c’est un pari que l’on peut gagner. Rappelons que depuis plusieurs décennies, nous faisons face à un chômage de masse, qui plus est, est aggravé par la crise du coronavirus. De plus en plus de gens sont aujourd’hui confrontés à un avenir incertain où rien ne semble s’offrir à eux. Et surtout, on l’a vu pendant le confinement, on constate que de plus en plus de monde souhaite quitter les grandes villes. Donc si nous mettons en place un mouvement puissant, avec des moyens publics très importants, et qu’on annonce qu’il est possible pour qui le souhaite de s’installer à la campagne dans de bonnes conditions, en étant aidé et félicité par la société, alors cela devient tout à fait envisageable.

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Pour mener à bien ce projet, vous demandez un investissement public massif à hauteur de 300 milliards d’euros, soit vingt milliards par an. N’est-ce pas utopiste de croire à un tel financement étatique ?

C’est vrai qu’il y a un an, lorsque j’ai commencé à réfléchir à ce projet, ça me paraissait énorme, mais finalement, au vue des sommes qui circulent actuellement et les milliards qu’on est capable de sortir avec le coronavirus, ça me semble assez dérisoire pour un projet qui permettrait de remettre la France sur des rails prometteurs et nous ferait à nouveau croire en l’avenir. L’espoir est quelque chose de vital et la France est un pays qui se meurt de ne plus avoir d’espoir collectif. Elle s’enfonce dans une folie, nie la gravité de la crise écologique et climatique, se lance dans des entreprises délirantes, claque des fortunes colossales pour le déploiement de la 5G… Le fric est là, mais que cherchons-nous ? Voulons-nous vraiment continuer dans la même direction ? L’agriculture industrielle a tué les paysans, empoissonnée les sols et l’air, tué les insectes, les oiseaux et les humains. Nous faisons fausse route, il faut maintenant changer de direction.

En cela, ce projet constitue donc aussi une réponse face à la dégradation de notre environnement…  

Oui, car je suis convaincu que si nous voulons faire face à la crise climatique et à l’effondrement de la biodiversité, nous avons absolument besoin de paysans attentifs et attentionnés pour la terre qu’ils cultivent. Des paysans qui ne recourent pas aux pesticides, utilisent les eaux avec parcimonie et qui sont capables de changer de culture rapidement en cas d’aléa climatique.

Votre appel semble par ailleurs véhiculer un message apaisé en direction du monde agricole. Est-ce aussi une manière de rétablir le lien fragilisé, et parfois rompu entre agriculteurs et milieu écolo ?

Exactement ! Dans cet appel, il y a vraiment cette idée de retrouvaille heureuse entre la société et les paysans. C’est complètement dingue de penser que les gens qui sont chargés de nous nourrir sont aujourd’hui méprisés et mal-considérés par tant de gens. Certes, nombre d’agriculteurs utilisent des pesticides nocifs pour la santé des écosystèmes et des humains, mais je crois qu’il faut leur tendre la main et faire preuve de fraternité. Toutes ces personnes ont été embarquées dans une aventure sinistre, ils ont cru qu’ils allaient devenir les rois du pétrole, mais sont aujourd’hui en souffrance et très souvent endettés. Nous devons les aider à sortir de ce système maudit et faire en sorte qu’ils retrouvent la considération qu’ils n’auraient jamais dû perdre. L’agriculture fonde une société. Ce métier est essentiel, n’oublions pas que les paysans travaillent pour nous tous. Et si l’on veut qu’ils produisent des produits de grande qualité, qu’on les reconnaisse et les félicite, cela doit forcément passer par la mise en place de prix stables et garantis afin qu’ils sortent de l’insécurité totale dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui. Quel salarié accepterait de travailler sans savoir ce qu’il va recevoir à la fin du mois ? C’est absolument délirant. Je propose donc qu’à partir de ce constat, on bifurque ensemble vers un nouveau modèle, qui j’en suis certain, sera bénéfique pour tous. Ce n’est pas aussi sorcier qu’on voudrait nous le faire croire.


Pour en savoir plus : le site du mouvement des coquelicots

À lire aussi : L’appel de Fabrice Nicolino contre les pesticides

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