Chronique de Pascal Greboval

La crise écologique ou la sobriété heureuse ?



LA CRISE saison 2 ou LA SOBRIÉTÉ HEUREUSE saison 1 : quelle série voulons-nous écrire ?

J’ai fait un rêve ! J’ai rêvé que le 11 mai, tous les Français restaient confinés. Un rêve qu’Oliver Besancenot ou Arlette Laguiller n’auraient sans doute jamais imaginé. J’ai rêvé, pour reprendre la sémantique des médias classiques, que les Français.es s’étaient « pris en otage »… eux-mêmes ! Chacun écrivant sur son balcon, son mur Facebook, sa boîte aux lettres :

« Nous ne retournons pas travailler. Voici nos revendications :

– nous voulons que le gouvernement signe les propositions de la Convention citoyenne pour le climat et les 35 propositions pour un retour sur Terre ;

– que le gouvernement verse les aides de la Banque centrale européenne (BCE) à la rénovation écologique des bâtiments et à la transformation de notre modèle agricole en local et bio ;

– que les banques soient nationalisées ;

– qu’une véritable fiscalité écologique et sociale soit mise en place. »

J’ai rêvé qu’à 20 heures, tous les Français à leurs fenêtres chantaient en chœur : « Plus de liens, moins de biens ! » Au Palais, j’entendais le président demander : « C’est une chorale ? » ; et Castaner de répondre : « Non, une révolution ! »

Une révolution sans sang, sans cris, sans larmes, sans CRS. Confinés, les révolutionnaires en chaussons étaient à l’abri des forces de l’ordre. Celles-ci ne pouvaient pas gazer les logements. Imparable ! La révolution la plus douce de l’Histoire.

J’ai fait ce rêve, peut-être parce qu’en cette période de confinement, je regarde trop de séries. Celle qui a commencé depuis le début de l’année, LA CRISE saison 1, Covid-19, me laisse un goût amer. La mécanique des producteurs de séries est connue. Plus les saisons avancent, plus ils mettent de la tension, de la violence. Alors imaginez LA CRISE saison 3, + 4 degrés. Elle va être dingue ! Et je vous épargne LA CRISE saison 2, PIB – 10 %.

Vous allez me dire que j’attise les peurs ?

Non. Les scientifiques énoncent des faits, pas des sentiments. Un seul exemple. À Brest, le week-end de Pâques, les températures étaient supérieures de 12 degrés aux normales saisonnières. Si vous préférez une vision scientifique plus complète, lisez la « Déclaration de l’OMM (Organisation météorologique mondiale) sur l’état du climat mondial 2019 ».

« Nous sommes actuellement très loin d’atteindre les objectifs de 1,5 °C ou de 2 °C prévus par l’Accord de Paris, a indiqué le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en avant-propos. Ce rapport […] dresse la liste des impacts que pourrait avoir le changement climatique – des conséquences sanitaires et économiques à la diminution de la sécurité alimentaire et à l’augmentation des déplacements. » Vous pouvez lire le compte rendu par Sylvestre Huet ici 

J’aimerais donc que mon rêve devienne réalité. Qu’on laisse nos bagnoles, nos avions, nos cargos à l’arrêt. Qu’on travaille 20 heures par semaine, n’en déplaise aux grincheux qui ronchonnent « pas de croissance, pas de vie ». Car pour l’instant, croissance de PIB = croissance de CO2. Regardez en boucle les conférences de Jean Marc Jancovici si vous avez des doutes. Celle à Sciences Po  “CO2 ou PIB, il faut choisir » est une bonne introduction.

Faut-il le rappeler ? Le coronavirus est l’un des premiers marqueurs forts du dérèglement climatique. Pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, l’empreinte carbone moyenne des Français, qui s’élève à environ 12 tonnes d’équivalents CO2 par an, doit baisser de plus de 80 % d’ici 2050 pour parvenir aux 2 tonnes ! Alors même dans nos rêves les plus fous, de gré ou de force, le « monde d’avant » est derrière nous. Nous allons devoir être plus sobres.

Avec LA CRISE saison 1, oui, il y a des contraintes ; oui, il y a morts – 23 000 en France à ce jour ; oui, il y a des situations tendues, dans les quartiers populaires où la promiscuité est difficile à vivre… Mais nous, les nantis, Français « moyens » qui « utilisons » en moyenne 2,7 planètes pour vivre, pouvons aussi constater que nous continuons de vivre – et vivre « bien » – avec moins de biens.

Certes, il nous manque des liens… Et c’est peut-être à cet endroit que le coronavirus vient nous questionner : nous priver de liens pour nous rappeler combien ils sont vitaux, essentiels.

Alors au nom de ceux qui ont payé de leur vie, au nom de ceux qui ont travaillé sans relâche – personnel de santé, caissières, ouvriers de l’agroalimentaire, agriculteurs, et tant d’autres anonymes – au nom la dignité de la nation, oui, je rêve que le président, les députés les sénateurs, au choix, votent l’urgence écologique ou proposent un référendum sur un changement d’indicateur : le BNB (bonheur national brut) à la place du PIB ?

« Encore un rêve », me direz-vous ? Non. Le 6 février 2013, après avoir écouté Jean-Marc Jancovici lors de son audition sur le changement climatique à l’Assemblée nationale, le député Édouard Philippe affirmait qu’il était temps de « prendre en compte dans les indicateurs les prélèvements sur les stocks naturels » avant de conclure : «  c’est un message d’espoir, car c’est à nous, les élus, d’inventer les réponses. » Alors, ayant eu le temps de maturer sa réflexion, va-t-il, maintenant, depuis le perron de Matignon, enfin agir ?

Au Bhoutan, le BNB est une réalité depuis près de cinquante ans.

Pour ma part, je ne veux pas que ma fille, ses copines, comme les enfants du monde entier vivent la saison 3 de LA CRISE. Mon rêve de révolution en chaussons du printemps 2020 deviendra en effet moins doux dans dix ou vingt ans quand nos enfants nous dirons : « Vous saviez, et vous n’avez rien fait ! »

Aussi, je préfère vous proposer d’écrire, ensemble, une nouvelle série : LA SOBRIÉTÉ HEUREUSE saison 1 L’Expérience joyeuse.

Nous avons le choix. Maintenant.

Pascal Greboval

Le 30 avril 2020
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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