Suggestions démocratiques pour les municipales
Interview d’Etienne Chouard réalisée par Pascal Greboval.
Les élections municipales concernent des petits territoires : est-ce une bonne échelle pour agir, pour que les citoyens prennent en main la politique, au sens de la gestion de la cité ?
Oui, c’est la bonne échelle… Enfin, ce serait la bonne échelle si l’on avait de bonnes institutions. À ce jour, l’expression de la volonté générale est faussée, dévoyée, trompée par des instituions qui rendent impossible l’expression d’un vrai choix. Ce n’est plus une question d’échelle, c’est autre chose. Le « choix » entre deux crapules — non, ne soyons pas « populiste », disons : entre deux traîtres vendus aux plus riches — est une escroquerie aussi bien au niveau local qu’au niveau national.
Mais l’échelle de la commune ne permet-elle pas de choisir des personnes qui ont la confiance des citoyens, qui sont plus accessibles ?
Certes, c’est au niveau local qu’on rencontre encore quelques spécimens de vrai dévouement, mais je pense qu’on peut aller plus loin que l’élection de maîtres que les « élus » nous imposent depuis deux cents ans : on peut s’organiser pour voter plutôt nos lois. Comment ? De simples citoyens pourraient composer des listes qui ne soient pas constituées de professionnels de la politique, et qui s’engageraient tous à ne jamais décider à la place des autres. La partie la plus délicate sera sans doute de trouver dans un quartier une trentaine de personnes fiables. Ces simples citoyens démocrates, donc, s’engageraient formellement et explicitement (dans leur programme officiel) à toujours réunir l’Assemblée villageoise ou de quartier sur les choix importants que doit faire la ville, pour que le peuple (y compris ceux qui n’ont pas voté démocrate, bien sûr) puisse voter lui-même ses lois. L’exemple des cantons suisses qui fonctionnent sans conseil municipal montre que c’est tout à fait possible : le seul obstacle à la démocratie, c’est que les « élus » la refusent et que nous laissons les « élus » écrire la constitution.
Nous ne sommes pas en démocratie : aujourd’hui, un électeur peut assister aux conseils municipaux mais il ne peut même pas y parler ! Ce qui est littéralement antidémocratique. Les élus 2.0 dont je parlais plus haut, élus explicitement pour ça (et donc soutenus par une majorité d’électeurs), pourraient fabriquer de toute pièce la démocratie qui nous manque : ils fixeraient (publiquement) un quorum, seuil de participation minimum à l’Assemblée citoyenne, au-dessous duquel les « élus démocrates » devraient alors, compte tenu du désintérêt affiché par la population pour le sujet en question, prendre les décisions à la place du peuple (comme tous les élus le font aujourd’hui, mais exceptionnellement).
On peut y réfléchir tout de suite pour les prochaines élections. On voit déjà apparaître des expériences de ce type, à Chambéry ou à Grenoble par exemple. Il est possible d’agir, c’est à nous de le faire, la démocratie ne sera jamais instituée par des « élus ».
Le plus difficile dans ce projet, sera de trouver des humains dévoués et fiables : il faudra en effet beaucoup de courage et de dévouement, d’abord pour être présents à toutes les assemblées citoyennes en consignant les volontés populaires majoritaires, puis pour être présents aussi aux conseils municipaux de façon à retranscrire alors les volontés populaires dans les arrêtés municipaux en respectant les formes de la « République », et tout ça sans presque jamais exercer le pouvoir soi-même… Il faudra que les autres regardent avec bienveillance et reconnaissance ces élus-qui-ne-décident-rien-sans-nous et qu’ils les remercient comme des héros. Aujourd’hui, plus de 80 % de la population se méfie foncièrement de « la politique » professionnalisée. Si nous trouvions (parmi nous) ces citoyens-colibris, amateurs et dévoués à l’auto-institution de la société, dans chaque ville, les Français rependraient sûrement goût à la gestion de la Cité !
Justement, pour la première fois les sondeurs affichent un aveu d’impuissance à donner des chiffres fiables. Est-ce un signe de ce rejet par les Français ?
Je n’ai aucune confiance envers les sondeurs, qui, comme tous les rouages de « la fabrique du consentement », sont (directement ou indirectement) contrôlés par les usuriers et utilisés contre l’intérêt général. Je ressens autour de moi un ressentiment universel contre les partis politiques, plus traîtres les uns que les autres : si ces sondeurs font correctement leur travail, ils doivent le percevoir comme moi. Cependant, ce rejet n’est pas du tout pris en compte concrètement par les institutions, car il n’existe aucun quorum, dans aucune des procédures électorales, aucun seuil minimal permettant de valider (ou d’invalider) les élections : si un candidat recueille une seule voix, avec 99,99% d’abstention donc, il sera quand même « élu ». Les sondeurs feignent d’être inquiets au sujet de la désaffection du public, mais je suis certain qu’ils s’en moquent totalement, car ils savent très bien que les institutions ne prévoient aucun quorum. On nous prend pour des imbéciles (et on n’a peut-être pas tout à fait tort).
Pour avoir des institutions comportant un quorum, donc — (ainsi que les quelques règles essentielles qui protégeraient efficacement le peuple contre ses représentants : élection sans candidats et/ou scrutins à points, respect du vote blanc, révocabilité des acteurs, obligation de rendre des comptes, chambres de contrôles tirées au sort, information et monnaie sous contrôle citoyen, référendums d’initiative populaire) —, il faudra écrire ces institutions nous mêmes. Le jour où les hommes éteindront leur télé et s’entraineront enfin à rédiger et protéger eux-mêmes leur Constitution, l’histoire humaine prendra un nouveau chemin, moins favorable aux affreux. Ce n’est pas une utopie puisque ça ne dépend que de nous.
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