Animaux

Dans l'ex-zoo de Pont-Scorff : le long processus de réensauvagement des animaux

Par Marie Thomazic, le 21 mai 2021

Loïck Aubry, près du bassin où quatre phoques cohabitent. ©MarieThomazic

En 2019, le collectif Rewild rachète le Zoo de Pont-Scorff, près de Lorient. L’objectif était de réintroduire dans la nature les 400 animaux lorsque cela est possible, et transformer le site en centre d’accueil d’animaux saisis. Après de nombreux conflits entre ONG et ex-gérants, le site vient d’être racheté par « Breizh Park » pour être rouvert au public tout en poursuivant les engagements de Rewild. 

 

Ils sont déterminés. Après deux années à lutter contre l’acharnement médiatique, les soigneurs, anciennement salariés du zoo et désormais membres du collectif Rewild, s’activent pour s’occuper des animaux. Le site est divisé en plusieurs secteurs et chacun doit inspecter, nettoyer et soigner leurs pensionnaires. Certains peuvent cohabiter ensemble. C’est le cas de ces capybaras (les plus gros rongeurs du monde), ces pélicans et ces deux atèles, de petits primates. Loïck Aubry, soigneur et représentant du personnel, les connait bien. Ancien activiste de Sea Shepherd, qui co-gérait Rewild, il affirme avec assurance : « Nous sommes dans une époque où le bien-être animal est plus que jamais devenu un sujet d’actualité, et qui se politise aussi. »

 

« Un tremplin pour les animaux »

C’est ainsi que les membres de Rewild définissent l’ex-zoo, « qui n’est plus un parc et pas encore un centre d’accueil », développe Loïck Aubry. Plus aucune musique d’ambiance dans les allées, plus de chlore dans les bassins, plus de spectacles d’oiseaux ou d’otaries, les 120 espèces n’ont pas encore retrouvé la liberté, mais une atmosphère tout de même plus saine. Certains d’entre eux ne feront jamais partie d’un programme de réintroduction. C’est le cas de Chivko et Jane, deux capucins aux comportements instables : l’un a été sauvé d’un particulier, l’autre d’un laboratoire.

Les états psychologiques et comportementaux font partie des critères de « sélection » pour pouvoir être réintroduit ou intégrer un sanctuaire. Ils doivent être en bonne santé générale, ne pas présenter de particularités physiques et avoir un bon patrimoine génétique (la consanguinité est très fréquente dans les zoos). Autant de critères très précis qui doivent être respectés. En effet, une maladie bénigne peut être facilement traitée par l’homme, mais peut être fatale dans la nature, et ce pour l’ensemble des individus déjà sur place.

Depuis l’arrivée de Rewild, certains changements comportementaux ont pu être observés. « Le fait qu’ils ne soient plus exposés toute la journée leur a permis d’être nettement moins contraints. Par exemple, chez nos primates, nous avons vu les mâles se parfumer avec leurs fruits pour plaire à leurs femelles. C’est quelque chose qu’ils ne faisaient pas du tout auparavant », explique Loïck Aubry.

L’équipe de soigneurs de Rewild et leur ancien représentant, Jérôme Pensu ©FacebookRewildRescueCenter

« Un processus colossal »

Le cas des deux Gorilles réintroduites au Gabon par le zoo de Beauval en est un exemple. L’opération a pris plus de quatre ans et plus de 100 000 euros « rien que pour le transport », explique Rodolphe Delord, directeur du zoo de Beauval. Deux avions, un bateau, un hélicoptère et cinq salariés ont été mobilisés pour leur transfert au Gabon en 2019. « La réhabilitation est une sorte de rééducation. Il a fallu leur apprendre à avoir peur des serpents par exemple. Il s’agit aussi de changer progressivement leur alimentation, leur donner des traitements antipaludiques, etc. »

Une batterie de tests et des analyses génétiques sont aussi nécessaires : introduire un élément pathogène n’existant pas dans le milieu naturel serait une pollution génétique avec de graves conséquences. Côté administratif, la bataille a duré deux ans. Autorisations du pays exportant et accueillant l’animal, mandat de validation de l’Union International pour la Conservation de la Nature, … « Une réintroduction est un processus colossal, » conclut Rodolphe Delord.

Selon les scientifiques, le « réensauvagement » doit primer à l’espèce, et non à l’individu. Les risques encourus pour l’animal sont importants : prédateurs naturellement présents, mais surtout les braconnages ou encore la déforestation, etc. « Il faut que toutes les causes de menaces ou d’extinction de l’espèce soient éliminées avant de procéder à une réintroduction », explique Julie Lasne, éthologue spécialisée dans la conservation des grands fauves et des éléphants. En moyenne, il y a 30% de réussite pour chaque réintroduction. « C’est une condamnation à mort pour plus de la moitié des individus. Mais si les survivants se reproduisent, c’est un bénéfice pour l’espèce », poursuit-elle. Elle met également un point d’honneur à la définition du réensauvagement. Selon elle, c’est un processus de protection de l’environnement en réintégrant la faune mais aussi la flore, sans contrôle humain, contrairement à la réintroduction qui nécessite tout de même un suivi scientifique et sanitaire.

A Pont-Scorff, plusieurs individus étaient prêts à être relâchés. C’était le cas des tortues des Seychelles, qui devaient retrouver leur pays d’origine en décembre dernier. Une première mondiale selon Loïck Aubry. « Nous avions tout : les autorisations françaises et seychelloises. Mais un zoo italien a déposé une instance au tribunal en revendiquant être les propriétaires des tortues. Elles ont cinquante ans ! Il s’agit d’une affaire complexe avec l’ancien capacitaire du zoo de Pont-Scorff, avant notre arrivée. Mais le projet n’est que ralentit », explique-t-il. La liquidation judiciaire a mis en suspens les autres procédures. Des pélicans devaient rejoindre la Grèce ce mois-ci, ou encore un iguane bleu devait s’envoler pour l’Amérique du Sud.

 

Un projet ambitieux et impopulaire

Le projet a fait l’objet d’un certain acharnement médiatique ces derniers mois. Ne voyant aucune preuve d’action de la part de Rewild après une communication incisive, l’opinion publique a très vite déchanté. « Nous avons été critiqué sur l’état du parc, notamment du bassin des phoques car l’eau n’était plus transparente, explique Loïck Aubry. En réalité, nous avons cessé de chlorer cette eau, qui n’était pas du tout adaptée aux animaux. Ils ont pu retrouver leur pelage naturel. Le chlore provoque aussi des ulcères aux yeux des animaux marins, ce qui les font énormément souffrir. »

Cet ancien zoo de 13 hectares accueillait auparavant plus de 225 000 visiteurs par saison. De lourdes dettes et une gestion floue auraient poussé le parc vers la faillite. Médicaments périmés, structures et accès jugés dangereux, l’AFdPZ (Association Française des parcs Zoologiques) avait exclu Pont-Scorff lors de leur derrière inspection un an avant le rachat du parc. Pour Rodolphe Delord, qui est aussi le président de l’association, le site était vétuste. « Peut-être que nous n’avions pas inspecté suffisamment tôt, je connaissais personnellement la directrice, qui ne nous a pas tout dit. Peut-être que la DDPP (Direction Départementale de Protection des Populations) n’a pas été assez ferme non plus », confie-t-il.

A la suite de la mise en vente du parc, six ONG de protection de la faune sauvage dont Sea Sepheard, le Centre Athenas, Hisa, Le Biome et Wildlife Angels ont co-créé Rewild, récolté 743 000 euros grâce à une campagne de financement participatif et racheté le parc. Leur campagne de communication a fait scandale auprès des scientifiques conversationnistes car il s’agit selon certains, d’une promesse qui ne peut aboutir. Julie Lasne, est ferme : « Il est impossible de libérer tous ces animaux nés, et élevés en captivité. Mais leur campagne a fonctionné car les donateurs avaient envie d’y croire, et c’est normal. Mais la réalité est tout autre. Il est extrêmement difficile de réintroduire des individus et cela est très coûteux. »

 

 

Depuis la reprise du parc, l’équipe de Rewild affirme s’être constitué un solide réseau de professionnels, de généticiens, vétérinaires, centres de soins à l’international pour les animaux prioritaires. Selon Loïck Aubry, la pandémie a lourdement freiné les relations internationales. « Il est évident que chaque animal ne sera pas réensauvagé du fait de la complexité du processus, mais nous voulons leur offrir une meilleure vie pour ceux qui resteront, et laisser une chance à ceux pour qui c’est possible », conclut-il.

Suite à de profonds désaccords, l’ONG Sea Shepherd a coupé les fonds qu’ils versaient à Rewild, les plongeant en liquidation judiciaire. Deux projets de reprise du site ont été discuté ce jeudi 20 mai au tribunal de commerce de Lorient. Celui de Sea Sherpherd a été écarté au profit du projet « Breizh Park », d’un entrepreneur costarmoricain, qui prévoit un investissement de 5 millions d’euros, une réouverture au public, et la conservation du programme de réensauvagement et de centre de soin de Rewild.  

 


Pour aller plus loin : Dianken, un refuge pour les animaux sauvés de l’élevage intensif.


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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