Au cœur de France : un webdocumentaire effectué en Vespa dans les campagnes françaises
Thomas Granovsky est un artisan de l’image âgé de 29 ans. Il est parti trois étés de suite parcourir les villages de France en Vespa pour médiatiser les grands-pères des campagnes, symboles des racines culturelles et du patrimoine immatériel de la France. Ses 60 interviews et 40 heures de travail ont été compilées en un webdocumentaire intitulé Au cœur de France.
Entretien avec celui qui pense que « sans mémoire, point d’avenir ».
Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre ce voyage en Vespa dans les campagnes françaises ?
Thomas Granovsky : L’idée m’est venue en regardant par la fenêtre du TGV. Je me suis dit que ce serait bien de découvrir les petits villages de France et de rencontrer leurs habitants. Je voulais le faire à 50 km/h et non pas à 300 km/h, pour éviter ce zapping de paysages !
D’une part, je me suis inspiré de Robert Louis Stevenson. En 1878, il avait choisi un âne pour parcourir les Cévennes. D’autre part, j’ai pris exemple sur la série de documentaires Profils paysans, réalisée par Raymond Depardon. Le mélange de ces deux influences a fait que, plus d’un siècle plus tard, j’ai choisi une Vespa pour sillonner une partie de la France !
Entre 2012 et 2014, j’ai donc parcouru 10 500 km à 45 km/h en moyenne. Avec ce moyen de transport, j’ai pu prendre toutes les routes imaginables, sans itinéraire fixe ! Aller lentement m’a permis d’apprécier les distances d’une autre manière : je ne me déplaçais plus, je voyageais !
Pendant trois étés, je suis passé par Avignon, Toulouse, les Cévennes et l’Aveyron, par la Haute-Loire, la pointe du Raz, Noirmoutier, Niort, Brive-la-Gaillarde, Bastia, Ajaccio, Toulon et Millau. Je campais ou dormais en auberge de jeunesse.
Je suis parti dans les campagnes, à la rencontre des personnes âgées. N’ayant pas connu mes grands-pères de leur vivant, je suis allé inconsciemment vers ce type de personnes, qui incarnent les racines, la mémoire et les traditions.
J’ai donc filmé, à hauteur d’yeux, les agriculteurs, les artisans, les retraités, mais aussi des personnes plus isolées. Mon but était de faire parler les personnes retirées, recluses et qu’on ne rencontre pas tous les jours.
Que retenez-vous de ces rencontres dans les campagnes françaises ?
Ces personnes ont beaucoup de savoir-faire. Elles peuvent se nourrir rien qu’en se baissant, car elles savent reconnaître une plante ou un champignon comestible. Ce sont des gens qui se nourrissent de légumes provenant de leur jardin et de produits locaux. Par exemple, j’ai découvert le fromage aux artisons, une tomme de brebis qui a une croûte vivante, fabriquée par de minuscules acariens.
Mais ce n’est pas tout. Ils ont conservé un savoir-faire ancestral, dont la machine est exclue. Je pense notamment aux râteaux en micocoulier, qui servent à ramasser les châtaignes. Dans la France rurale, il existe encore des pressoirs à huile, des bouilleurs de cru et on voit des fours à pain encore actifs autour desquels tout le village se retrouve pour faire cuire son pain. J’ai rencontré un ostréiculteur dans le golfe du Morbihan qui retourne ses sacs d’huîtres à la main, ce qui permet au mollusque d’avoir une jolie forme et de bien grandir, geste qui ailleurs devient de plus en plus mécanique.
Enfin, il y a le savoir-faire du langage avec la conservation de certains dialectes comme l’occitan, le patois ou certaines expressions d’antan.
Quel est votre regard sur la France rurale ?
J’ai un regard contrasté.
Dès que l’on avance dans les terres et que l’on s’écarte des zones touristiques, les villages commencent à être déserts. Les commerces et les volets sont fermés. Il n’y a plus de médecins et les cafés sont abandonnés. Cela m’attriste et me révolte.
D’un autre côté, les paysages de la France sont magnifiques et incroyables. La Corse, notamment, m’a ébloui ! J’ai aussi aimé l’Aubrac, région incroyablement puissante par ses traditions, la profondeur de ses habitants, ses lacs et ses pierres. Beaucoup d’autres régions françaises sont surprenantes ; pas la peine de partir à l’autre bout du monde pour être dépaysé !
Enfin, j’ai été étonnamment surpris par la gentillesse des gens. Pour l’anecdote, j’ai eu des problèmes avec ma carte bleue. Pendant dix jours, j’ai réussi à vivre avec 200 euros et surtout grâce à la solidarité de personnes qui m’ont offert à boire, à manger, des pleins d’essence ou un toit.
Propos recueillis par Thomas Masson
Photos : ©Thomas Granovsky, Au cœur de France
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