Culture & Solidarités

Breton, corse, basque… s'épanouir avec les langues de France

Par Léopold Picot, le 6 juin 2021

Fin mai, de nombreux locuteurs de langues de France ont manifesté pour défendre l’enseignement de leurs langues.

Apprendre le breton, le basque ou encore le corse est une autre manière d’éduquer ses enfants et de faire société dans la diversité culturelle française. Rencontres avec des brittophones et des bascophones de toutes les générations, qui s’épanouissent en jonglant entre deux langues au quotidien, loin des caricatures.

Fin mai, de nombreux locuteurs de langues de France sont descendus dans la rue pour défendre l’enseignement de leurs langues. Bascophones, corsophones, brittophones, occitanophones et autres locuteurs de langues minorisées craignaient la fin du partenariat entre l’État et les écoles immersives qui suivent les programmes de l’Éducation nationale. Si aujourd’hui, comme en Corse, l’enseignement immersif ne semble pas menacé, les a priori envers ceux qui apprennent des langues dites régionales restent nombreux.

Pierre-Yves comprend mais ne parle pas breton, mais sa fille et sa mère elles, le parlent.
Pierre-Yves comprend mais ne parle pas breton, mais sa fille et sa mère le parlent.

Maya surgit à côté de son père, ses yeux rieurs fixant l’écran d’ordinateur. « Demat! » dit-elle en breton. Sa grand-mère, Marguerite Noël, brittophone, continue : « Je suis persuadé que le bilinguisme précoce aide à apprendre d’autres langues. Quand il a fallu scolariser mes deux fils, ça n’a pas été évident de les inscrire en immersif. On ne savait pas trop où ça allait. On s’est lancé : ils ont fait leur maternelle là-bas. »

Mais Pierre-Yves Noël arrête l’immersion au début des années 1980 : il n’y avait pas encore de classe de CP à Saint-Pol-de-Léon, non loin de Morlaix. Une frustration pour le quarantenaire qui habite aujourd’hui Chantepie en périphérie de Rennes : « J’ai vécu dans plusieurs pays, dont j’ai appris les langues, et je me rends compte que c’est dans l’école de mes filles que je suis confronté à une langue que je ne maîtrise pas ! »

Renforcer des liens, retrouver ses racines

Pierre-Yves a inscrit ses filles dans une école immersive, où l’on parle exclusivement breton. « Sauf dans les cours de français, où l’on parle français, et dans les cours d’anglais, où l’on parle anglais», précise Maya, 11 ans. Les enfants acquièrent très vite une autonomie car il leur est souvent impossible de se reposer sur les parents pour faire ses devoirs. Des référents sont là si besoin, mais Maya a préféré demander à sa grand-mère, surtout pendant le premier confinement. Un rendez-vous régulier, source de fierté pour Marguerite : « C’est nous, les parents, qui n’avons pas assuré la transmission. Je suis contente d’aider Maya quand elle ou sa sœur appellent. Il y a un peu de rattrapage, de transmission. »

Ce lien existe entre de nombreux jeunes locuteurs et la génération de leurs grands-parents, comme pour Yoann An Nedeleg, 34 ans, titulaire d’un CAPES brittophone en Histoire-Géographie et musicien. C’est en cohabitant avec deux retraités qu’il a réalisé son attachement à la langue bretonne : « Le collège Diwan à Plésidy n’avait plus assez de place dans le dortoir. Les enseignants ont appelé à la solidarité. Des binômes ont fini chez le maire, chez le boulanger… »

Yohann An Nedeleg (de dos à gauche), ramasse des pommes en 2002 à Plesidy, entouré de deux autres générations.
Yoann An Nedeleg (de dos à gauche), ramasse des pommes en 2002 à Plesidy, entouré de deux autres générations.

Yoann est placé avec un ami, à 13 ans, chez des cousins de sa grand-mère, anciennement agriculteurs. L’adolescent y passe deux ans, deux soirs par semaine. « C’est là que j’ai eu le déclic, j’ai ressenti un tel plaisir à rigoler en breton, à m’enrichir de ce qu’ils voulaient m’apprendre, leurs proverbes, leur accent, que j’ai continué », raconte-t-il.

Un avantage certain pour l’enfant

Philippe Blanchet est professeur de science du langage à l’université de Rennes 2. Il n’a aucun doute sur les bienfaits du bilinguisme : « En France, cela a été prouvé : ceux qui sortent des écoles Diwan, Seaska [l’association des écoles immersives basques], ont un meilleur niveau de français que le reste des enfants et ont un meilleur taux de réussite au bac .»

Cette réussite ne se limite pas aux langues. Des études ont ainsi montré des bénéfices en mathématiques : « Cela pousse l’enfant à avoir deux systèmes arithmétiques différents, l’un en français et l’autre en breton, et le fait de pouvoir comparer deux systèmes arithmétiques développe fortement la réussite en mathématique », précise Philippe Blanchet.

Jon Vernier a découvert la danse contemporaine après avoir pratiqué la danse traditionnelle basque, une langue de France. ©Marc Domage
Jon Vernier a découvert la danse contemporaine après avoir pratiqué la danse traditionnelle basque. ©Marc Domage

Le bilinguisme peut aussi offrir des opportunités professionnelles. Jon Vernier a 21 ans, il est étudiant en dernière année au prestigieux Centre national de danse contemporaine (CNDC) à Angers. Ses parents ne sont pas d’origine basque, mais l’ont inscrit dans un enseignement immersif. Bascophone, il a conscience de l’influence de la culture basque sur son parcours : « J’ai fait douze années de danse basque. En terminale, je me suis inscrit au conservatoire de danse de Bayonne puis je suis parti trois années au CNDC. »

L’ouverture aux autres cultures

La rencontre intérieure entre deux cultures vont souvent de paire avec une ouverture aux autres. Yoann ne remerciera jamais assez Stefan Moal de l’avoir encouragé à faire un Erasmus à Limerick, en Irlande, alors qu’il étudiait le breton à la faculté de Rennes 2. « Je suis venu pour apprendre l’anglais, avec des options musiques traditionnelles. J’y suis retourné quelques années plus tard pour un autre parcours : j’ai été le premier musicien breton diplômé d’une maîtrise en musique traditionnelle irlandaise. J’ai créé des liens solides là-bas ! »

Yoann An Nedeleg et sa cornemuse irlandaise, en 2014 à l'Université de Limerick.
Yoann An Nedeleg et sa cornemuse irlandaise, en 2014 à l’Université de Limerick, en Irlande.

Lorsque l’on demande à Jon, le jeune danseur, si les écoles immersives ne sont pas élitistes, il tempère : « Au Pays Basque, je pense que c’est plus vrai sur la côte, car plus riche, que dans le pays intérieur où il y a une plus grande mixité sociale. » S’il a conscience d’avoir eu une scolarité privilégiée, Jon avance que son lycée était situé dans un quartier ZUP de Bayonne : « On en a beaucoup parlé entre amis, comment se fondre dans un territoire isolé… En tant que Basques on a du mal avec les Parisiens qui viennent faire monter les prix de l’immobilier : on ne voulait pas renvoyer la même chose dans ce quartier ! »

Lui et ses amis bascophones fréquentaient beaucoup le kebab du coin, situé à quelques mètres du lycée. Ils y parlaient souvent avec les gens du quartier de l’identité basque, de sa culture : « On se rendait compte qu’on pouvait vivre les mêmes choses sur certains aspects, le décalage culturel, la place de la musique, les liens linguistiques… » A la fin de son lycée, le gérant du kébab lui parlait un peu en basque et a même fini par signer la charte de la monnaie locale du Pays Basque, alors qu’il devait faire des modifications dans son restaurant pour l’obtenir.

Des locuteurs loin des caricatures 

La caricature du militant indépendantiste renfermé sur sa région, qui déteste le français est loin, très loin. Lors du développement des écoles immersives, le fait d’y inscrire ses enfants était un choix militant, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Stefan Moal, faisait partie de la première promotion du CAPES breton, en 1986 : « À mon époque, dans les années 1970-80, ça allait main dans la main d’apprendre le breton et d’être un fervent défenseur de la culture bretonne, d’être contre la centrale nucléaire de Plogoff, d’être pour l’autonomie… c’était un package ! » Selon lui, les jeunes bilingues sont plus libres : « Ils peuvent garder le breton pour parler seulement avec un réseau de copains, faire ou écouter de la musique, comme devenir militant à différente intensité, c’est très variable ! »

Cet attachement à la musique, Jon le vit : « Quand Bayonne me manque, j’écoute du punk basque, du rock, de la musique traditionnelle et c’est comme un endroit intérieur, où je me sens léger, tranquille. »

Yoann An Nedeleg au festival YAOUANK, à Rennes en 2016 - ©ERIC LEGRET
Yoann An Nedeleg au festival YAOUANK, à Rennes en 2016 – ©ERIC LEGRET

Loin de rejeter la langue française, les bilingues passent d’une langue à l’autre naturellement. Maya n’arrive pas à choisir une langue qu’elle préfère : « Je ne sais pas, le français parce que je le parle plus mais le breton aussi c’est bien ! »

D’autres locuteurs, comme Ihintza, ont décidé de vivre en parlant basque tous les jours, même dans leur travail. Elle travaille au Pays Basque du Nord, chez Seaska, l’association des écoles basques, et habite au Pays Basque du Sud, côté espagnol. Ce n’est pas pour autant qu’elle a rejeté le français : « J’utilise le basque tout le temps. Mais s’il faut que je parle en français en réunion afin qu’un maximum de personne comprenne, pour ne mettre personne de côté, je le fais sans soucis, d’ailleurs, je lis majoritairement en français ! »

Jon, comme Yoann, Marguerite ou Pierre-Yves ont tous utilisé la même formulation à propos de leur deuxième langue : « La maîtrise de deux langues, c’est un cadeau. »


Les langues de France en chiffres (non exhaustif)

Aucun recensement national n’a été effectué depuis 1999 pour les langues métropolitaines et depuis 2007 pour les langues d’Outre-Mer. Selon les départements, les locuteurs réguliers peuvent représenter une infime proportion de la population, comme près d’un tiers. Néanmoins des ordres de grandeurs assez récents et fiables sont disponibles pour les langues suivantes :

  • Occitan : environ 542 000 locuteurs réguliers ou non (source)
  • Créoles (seulement en France) :  environ 2 500 000 locuteurs réguliers de différents créoles (source)
  • Breton : environ 207 000 locuteurs réguliers ou non (source)
  • Corse : environ 50 000 locuteurs réguliers (source)
  • Basque (seulement en France) : 52 000 locuteurs réguliers (source)
  • Langues kanaks : 68 345 locuteurs réguliers (source)

Sans oublier l’alsacien, le catalan, le flamand, le provençal, la langue d’oïl, le normand…

 


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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