Notre-Dame-des-Landes : Les champs des possibles

Par Texte : Nolwenn Weiler Photos : Philippe Graton, le 20 février 2022

ZAD ND-des-Landes

Préserver la biodiversité, sauver le climat, décarboner la production agricole, offrir du travail à profusion : à Notre-Dame-des-Landes, les habitants de la Zad, après l’arrêt du projet d’aéroport, se saisissent d’immenses défis.

 Il fait frais, ce matin de juillet, à Notre-Dame-des-Landes. Située à l’ouest de la Zad, au lieu-dit du Liminbout, l’auberge des Q de plomb est un lieu atypique 1. Claude, locataire de la maison attenante et cuistot en chef, s’entretient avec Jipé, cogestionnaire, qui offre un banquet à prix libre un vendredi sur deux. « Nous avons entre quatre-vingts et cent convives à chaque fois, décrit Claude. Il y a des habitants de la Zad et des villages alentour, des gens qui viennent de Nantes, et d’autres qui sont de passage pour quelques jours. » Sur les tables, les plats sont quasi 100 % locaux. Légumes, pain et fromages sont livrés par des voisins de la Zad et des paysans du département ; la bière est brassée près de Nantes ; les poulets et cochons sont élevés sur place par les soins de Claude et Jipé. « Je te sers quelque chose ? », demande Claude à Nono, menuisière, venue poser une porte en chêne pour que le local de stockage puisse fermer.

Entre cent cinquante et deux cents personnes vivent sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, qui s’étire sur plus de 1000 hectares de bocage somptueux 2. Les premières sont arrivées en 2008. Ici, chacun cultive avec attention la dynamique de partage inventée pendant les années de lutte contre le projet d’aéroport, qui a été abandonné en janvier 2018. À la demande de l’État, une partie des activités – notamment agricoles – se sont régularisées. Mais les habitants de la Zad entendent choyer comme un trésor leur habitude de travailler collectivement, la joie et la liberté que cela leur apporte. « J’avais toujours rêvé d’avoir un truc à moi, rapporte Claude. Mais je n’avais pas assez d’argent, et je ne voulais pas avoir affaire aux banques. » Pour lui, c’était donc « plié », jusqu’à ce que l’occupation des terres et lieux de vie devienne un mode de lutte, et que le collectif ouvre des possibles jusqu’alors jamais imaginés. « Le fait d’être nombreux nous permet de réinventer une former de paysannerie collective, intervient Jojo. Moi, par exemple, je fais de l’élevage, ce qui représente une astreinte assez forte. Le fait d’être à plusieurs me libère du temps. Cela nous permet d’avoir d’autres dimensions dans nos vies que le seul travail productif. » « Personne, ici, n’a envie d’être simplement agriculteur », ajoute Pauline. « Pour la boulangerie, nous sommes trois, mais cela peut tourner à deux, illustre Uma. Cela permet à l’un de nous de partir faire autre chose s’il le souhaite. »

Le pain de la ZAD. Lara, Cécile et Guillaume au four de la ferme de Saint-Jean-du-Tertre, ZAD de Notre-Dame-des-Landes, France, été 2020. Photo © P. Graton.

Prendre des terres, partout, pour enrayer la destruction

Portée par une trentaine d’habitants de la Zad, la coopérative Bocagère fait partie des outils qui nourrissent et structurent le travail collectif sur ce lopin de terre arraché à l’artificialisation. Elle rassemble des paysans, charpentiers, forestiers qui partagent leurs ressources et savoir-faire, avec un objectif commun : préserver les terres, les forêts et le bocage de toute pratique agricole dévastatrice. « La coop vise à casser l’organisation par famille, par couple, par entreprise, pour mieux prendre soin, ensemble, du bocage et sortir du “tout-marché” », précise Pauline. Erwan, installé sur une activité de grandes cultures (blé, sarrasin, maïs, tournesol…) fournit des aliments aux éleveurs, et fabrique des galettes pour La Cagette des terres, le réseau de ravitaillement des luttes du pays nantais 3. « Prendre soin de l’environnement est l’une des dimensions fondamentales de mon travail, dit-il. Et pour moi, cela passe par une attention particulière à la vie du sol : comment l’accompagner le mieux possible ? » Il mise sur la complémentarité des végétaux, qui permet une bonne couverture des sols et empêche les mauvaises herbes de se frayer un passage. Le long d’une route qui rallie le bourg de Notre-Dame-des-Landes, son champ de trèfle, cameline, blé et féverole a plutôt belle allure.

« On passe beaucoup de temps à échanger sur nos pratiques, glisse Erwan en garnissant sa galette de blé noir avec le fromage d’une voisine. On s’observe mutuellement, on discute, on montre ce que l’on sait faire. » D’importants échanges ont lieu au sein du collectif Sème ta Zad avec des paysans « hors Zad », mais soutiens de toujours à la lutte contre l’aéroport. « Nous travaillons aussi avec les techniciens des groupes d’agriculteurs bio, précise Anne-Claire, installée en GAEC maraîcher avec son compagnon, Gibier. Là, il faut que l’on voie avec eux pour un problème de champignon, qui s’attaque à nos oignons. » Quand ces diverses ressources ne permettent pas de trouver de solution, restent le recyclage et la récup. « Il y a quelques jours, on est allés cueillir les oignons d’un voisin pour les transformer en confits avant qu’ils ne s’abîment », dit Cathy. « Ici, on n’est pas sur le schéma d’un exploitant seul sur ses parcelles. Mais sur le rapport d’habitants à leur territoire, résume Jojo. Le soin du bocage n’est pas délégué aux paysans, ou à des spécialistes. C’est délégué à la communauté. »

Pour lui, « ce qui menace le bocage, maintenant que l’aéroport est abandonné, c’est que les terres aillent à des fermes déjà immenses, qui pratiquent une agriculture industrielle. » Sur les quelque 1500 hectares que devaient couvrir les pistes, 438 ont été récupérés par le mouvement de lutte, pour quatorze installations agricoles, et une vingtaine d’activités. Le reste a été réattribué aux paysans « historiques », qu’ils aient résisté à l’aéroport ou consenti à céder leur foncier à Vinci 4. « Ici, comme ailleurs, beaucoup d’agriculteurs vont partir à la retraite ces dix prochaines années, remarque Jojo. Il va falloir mener une bataille pour préserver la biodiversité sur les terres qui vont se libérer. » En pratiquant une agriculture de type communautaire, qui côtoie et s’entremêle avec des activités forestières, de construction et de restauration, les habitants de la Zad esquissent une solution, convaincus que dans la lutte contre la dévastation du monde, le sauvetage du foncier agricole apparaît crucial.

Vers l’achat collectif des terres ?

Pour s’assurer que le bocage ne retourne pas à l’agriculture intensive, les occupants de la Zad, et des alliés paysans, naturalistes et militants ont créé un fonds de dotation, « La terre en commun », qui permet l’acquisition collective de foncier et de bâti 5. 800 000 euros ont d’ores et déjà été réunis, cadeaux de milliers de citoyens que la Zad fait rêver, et espérer. En attendant que les négociations avec le conseil général, actuel propriétaire, aboutissent, les projets continuent de fleurir et de s’épanouir. Tous les mardis, Guillaume, Uma et Cécile façonnent du pain à la ferme de Saint-Jean-du-Tertre, située à l’ouest de la Zad. Leurs miches sont écoulées sur les marchés alentour, dans des magasins de producteurs et via des Amap. Une partie est aussi consommée sur place. « Pendant le confinement, une Amap éphémère a surgi dans un village tout proche, raconte Uma. Cela nous a permis d’écouler le pain que nous ne pouvions plus vendre sur les marchés. Les magasins de producteurs ont demandé plus de marchandises. Nous avons donc continué à produire de la même façon. »

Du côté de La Noé Verte, à l’extrême est de la Zad, le confinement a été mis à profit pour lancer une cagnotte de 35 000 euros, budget nécessaire à l’installation d’une conserverie. Pour le moment, seule l’ossature du bâtiment est terminée. « L’idée, précise Cathy, c’est de mettre en place un outil commun de transformation. La conserverie veut être ouverte aux personnes de la Zad, aux producteurs voisins, mais aussi à d’autres collectifs, qui viendraient transformer ici pour donner des conserves aux squats de migrants à Nantes, par exemple. » En attendant d’avoir un labo sur mesure, le collectif de La Noé Verte transforme légumes, fruits et fleurs dans l’une des pièces de la maison qu’ils squattent depuis plusieurs années. « Les productions viennent de divers endroits de la Zad, mais pas uniquement, ajoute Cathy. On peut aussi avoir des surplus fournis par les paysans alentour. » Les conserves sont vendues sur les marchés, ou en direct à la Ferme des petits oignons [GAEC qui jouxte La Noé Verte, N.D.L.R.]. Mais certains bocaux atterrissent « gratis » dans les paniers de La Cagette des terres.

« Nous souhaitons établir des liens entre les luttes paysannes et les luttes urbaines, comme en 1968, précise Pauline. Nous nous appuyons sur nos réseaux paysans, qui nous fournissent les produits à prix coûtant, ou nous en donnent. On cuisine à l’auberge des Q de plomb, et puis on emmène cela en ville. » Sollicités par des syndicalistes ou des particuliers engagés dans les luttes, les membres de La Cagette des terres débarquent chargés de victuailles sur les piquets de grève, en début ou fin de manif, dans les universités occupées.

Les petits-déjeuners royaux – pain, galettes, crêpes, fromage, charcuterie, chocolat chaud, café – amenés à l’aube sur les piquets de grève sont particulièrement appréciés. Des liens très forts ont été noués avec la Maison du peuple, un lieu occupé par les « gilets jaunes » de Saint-Nazaire. « Nous étions présents à l’assemblée des assemblées qui s’est tenue au printemps 2019 », mentionne Pauline. La Cagette des terres coopère par ailleurs avec L’Autre Cantine, qui fournit chaque jour plusieurs centaines de repas aux migrants, sur Nantes. « Les luttes sociales sont vraiment au cœur de nos vies », sourit Pauline. « Nous travaillons pour répondre à certains de nos besoins, complète Jojo. Mais il faut toujours qu’il reste une part pour les autres luttes. L’autarcie ne nous intéresse pas. »

  1. Zad, « zone d’aménagement différée », rebaptisée « zone à défendre » par le mouvement de lutte contre l’aéroport.
  2. Des centaines d’autres font des séjours plus ou moins longs sur place. Des milliers passent chaque année, participer à des chantiers, des festivals, des débats.
  3. 297 hectares ont été récupérés par les agriculteurs résistants, qui avaient toujours refusé de céder leur foncier à Vinci. 233 autres ont été réattribués aux agriculteurs qui avaient accepté de vendre.
  4. https://encommun.eco

Pour aller plus loin

zad.nadir.org


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

Soutenir Kaizen Magazine, c'est s'engager dans un monde de solutions.

Notre média indépendant a besoin du soutien de ses lectrices et lecteurs.

Faites un don et supportez la presse indépendante !

JE FAIS UN DON

Notre-Dame-des-Landes : Les champs des possibles

Close

Rejoindre la conversation