Mouvements citoyens

Les écoféministes défendent un leadership non hiérarchique

Par Audrey Guiller, le 27 avril 2021



Coopérer et partager : en privilégiant la prise de décision collective, les écoféministes revendiquent une autre façon d’exercer le pouvoir. Un changement radical de leadership qui inclut la remise en cause, et le droit à l’erreur.

« Actuellement, en politique et dans les entreprises, le leadership est encore très viriliste, relève Eva Sadoun, entrepreneure française, cofondatrice de la plateforme d’investissement dans des projets à impact social et environnemental LITA.co1 : un bon leader ne doit jamais montrer sa vulnérabilité, il impose sans discuter, il pose ses couilles sur la table. » Faut-il y opposer un modèle de dirigeante douce et compréhensive, qui rendrait la vie plus belle ? Pas vraiment. « C’est encore l’idée de la femme “superwoman”, qui doit tout assumer, et rassurer, soupire Eva Sadoun. Mais les femmes ne sont pas naturellement capables de faire tout ça. Cela met la barre beaucoup trop haut ! » Pour Petra Kelly, qui a été députée verte en Allemagne, la perception des féministes écologistes comme des « mères Nature » aimables et bienveillantes est « un stéréotype trop facile. Nous ne sommes pas dociles, nous ne sommes pas faibles. Nous sommes en colère, pour nous-mêmes, pour nos sœurs et nos enfants qui souffrent et pour la planète entière. Et nous sommes déterminées à protéger la vie sur terre2. »

 

Se reconnecter au “pouvoir du dedans”

Pour les écoféministes, il s’agit de mettre en pratique leur conception d’une société émancipatrice, en s’efforçant d’exercer un pouvoir partagé qui viendrait remplacer le pouvoir patriarcal. En images, cela donnerait des cercles concentriques et/ou entremêlés, en lieu et place de la traditionnelle pyramide. « Il s’agit de sortir du “pouvoir sur”, qui est un pouvoir d’oppression qui mène à toutes les crises sociales et environnementales, afin de se reconnecter au “pouvoir du dedans” », pense Alice Jehan du collectif Les Engraineuses [lire page 26]. Popularisé par Starhawk, activiste féministe américaine, autrice de Rêver l’obscur : femmes, magie et politique, ce « pouvoir du dedans » incite à puiser son énergie dans les éléments : la terre, l’air, le feu et l’eau. Il devient alors inutile, pour se sentir puissant.e, d’écraser les autres.

Le pouvoir du dedans invite à se reconnecter avec son humanité, à assumer d’être traversé.e d’émotions ; soit le contraire de ce que valorise le leadership patriarcal. « Il y a cette image d’un homme droit, posé, qui parle lentement, qui ne recourt que très rarement et de manière contrôlée à ses émotions », évoque Eva Sadoun. Les écoféministes proposent au contraire de se reconnecter à ce qu’elles sont, réellement, à ne pas être hors sol. « Les gens me disent souvent que je suis très passionnée quand je m’exprime, constate Eva Sadoun, et je sens que ce n’est pas exactement un compliment. Comme si ma passion m’empêchait d’être rationnelle. » En défendant d’autres registres que l’abstraction rationnelle, les écoféministes élargissent le cadre. Elles offrent d’autres modèles, qui manquent cruellement aux leaders et leadeuses désireux de sortir de relations de domination. « À moins d’avoir reçu une culture alternative, qui remet en cause les idées de hiérarchie et de pouvoir, comment faire autrement ? », s’interroge Eva Sadoun.

« Nous souhaitons aller vers un modèle qui ne soit pas dans la compétitivité, mais plutôt dans le soin à tout le monde », décrit Véronique Moreira, présidente de la branche française du WECF [lire page 27]. De ce point de vue, les femmes ont sans doute une longueur d’avance, due à leur expérience d’opprimées. « Parce que nous portons les stigmates du pouvoir que les hommes ont exercé sur nous, nous avons davantage conscience des précautions à prendre quand nous l’exerçons », pense Caroline Lucas, députée écologiste anglaise. « Notre expérience du monde patriarcal nous permet de nous identifier à une cause oubliée », ajoute-t-elle. Par exemple, l’environnement, la protection du vivant ou le partage du pouvoir.

 


1. https://fr.lita.co

2. Extrait de l’ouvrage collectif Pourquoi les femmes vont sauver la planète, Marabout 2020.


 

« Des hommes sont fatigués de jouer ce rôle d’être viril et sans faille »

  Clovis Bonnemason est coach et organisateur de cercles de paroles « Les nouveaux hommes – Vulnérables et Inspirants » (1).

 

Les femmes gagnent-elles à imiter le leadership masculin ?

Pour moi, il n’y a pas de leadership masculin ou féminin. L’idéal serait de sortir de cette dualité qui réduit tellement les possibles et l’imaginaire ! Actuellement domine un style de leadership qui se base sur des critères virils : l’affirmation de sa force, l’ultra confiance, la performance, l’autorité. Voire la domination et l’agressivité.

Quelles sont les limites de ce leadership ?

Il laisse très peu d’espace à ceux qui sont différents du leader courant : les femmes, les non-blancs, les non-hétéros. Il se coupe de la diversité des points de vue. Il donne une vision du monde pauvre et limitée, qui conduit à des inégalités et des crises. L’autre limite, c’est que ces leaders n’ont pas l’espace pour se connecter à eux-même, à leur intimité. Cela les mène à un sentiment de « manque de soi » qui les pousse à chercher des compensations, qui ne compensent jamais vraiment : davantage d’argent, de célébrité, de pouvoir. Enfin, beaucoup d’hommes sont fatigués de jouer ce rôle d’être viril, fort, confiant, sans faille, sans lien avec ses émotions.

À quoi ressemblerait un nouveau leadership ?

La personne leadeuse serait proche d’elle-même, de ses ressentis, ses intuitions. Son aspiration profonde devient alors attirante : elle touche et fédère les autres. La personne sait écouter, se taire, se mettre en retrait. Elle est sensible et liée au vivant et aux gens qui l’entourent, car ce sont de bonnes sources d’inspiration. Je pense aussi que cette personne leadeuse serait liée à son corps grâce à une pratique de chant, de danse, de sport, de méditation ou autre. Cela lui permet de ne plus seulement parler à partir de sa tête et cela lui donne une énergie, un charisme. C’est aussi une personne qui saurait montrer ses failles et ses vulnérabilités. On est touchés par des gens qui nous ressemblent, assez transparents pour qu’on puisse leur faire confiance. Personne n’a pas envie d’être mené par des robots.

(1) https://www.facebook.com/Les.nouveaux.hommes.Vulnerables.et.Inspirants/about/


Pour aller plus loin

• Marie-Cécile Naves, La Démocratie féministe. Réinventer le pouvoir, Calmann-Lévy, 2020

• Pascale d’Erm, Sœurs en écologie, La Mer salée, 2017


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

Soutenir Kaizen Magazine, c'est s'engager dans un monde de solutions.

Notre média indépendant a besoin du soutien de ses lectrices et lecteurs.

Faites un don et supportez la presse indépendante !

JE FAIS UN DON

Les écoféministes défendent un leadership non hiérarchique

Close

Rejoindre la conversation