Le vrai prix du vrac

Par Texte : Fanny Costes Illustrations : Le Cil vert, le 6 juin 2022

Le vrac s'est développé dans un premier temps dans les épiceries, pour prendre ensuite son essor dans les supermarchés.

Le prix est l’une des raisons qui poussent de plus en plus de Français à consommer en vrac. Ce mode de consommation est-il vraiment moins cher ? La réponse est nuancée, mais n’enlève rien aux atouts du vrac. En plus de redonner de l’autonomie au consommateur, il réduit de facto la pollution et, dans l’absolu, peut faire baisser la pression fiscale des collectivités qui intégrent le critère poids dans leur taxe ordures ménagères. Enquête.

 « Pour me rendre au travail, je passais tous les jours devant l’épicerie spécialisée vrac Le Petit Pot et j’ai fini par y entrer par curiosité. Je fréquentais déjà des magasins bio dans lesquels il y avait des petits rayons de produits secs en vrac. J’achetais par exemple des amandes, mais je ne connaissais pas vraiment l’offre, raconte Audrey Kaidi, 33 ans, habitante d’Avignon. Donc c’est au Petit Pot qu’au fur et à mesure j’ai augmenté mes achats en vrac. Aujourd’hui, j’y prends tous mes produits ménagers (lessive, liquide vaisselle, vinaigre blanc…), de l’épicerie sèche, comme du riz, des pâtes, de la farine, des biscuits ou des flocons d’avoine. Et j’achète aussi huile, vinaigre ou encore des olives. »

Cette transition vers le vrac, Audrey Kaidi n’est pas la seule à l’expérimenter. L’appétence des Français pour ce mode de consommation s’est très largement développée ces dernières années. D’après une étude de l’institut Nielsen, quatre foyers sur dix achèteraient en effet du vrac, dont 37 % régulièrement. L’offre grandissante le prouve : outre les magasins dédiés ou enseignes bio pionnières en la matière, 80 % des supermarchés proposent aujourd’hui du vrac, selon l’UFC-Que Choisir. En 2021, le chiffre d’affaires du secteur s’élevait ainsi à 1,3 milliard d’euros selon l’association Réseau Vrac. Il a été multiplié par douze en six ans. 10 % de ce chiffre est réalisé en épiceries spécialisées, 31 % en magasins bio et 59 % en grandes surfaces alimentaires. Les raisons de ce succès ? La possibilité d’acheter la juste quantité et de maîtriser son budget, répondent 37 % des acheteurs, quand 22 % évoquent la réduction des déchets d’emballages jetables. Le prix, comme souvent en matière de consommation, explique donc en partie le choix du vrac. Mais celui-ci est-il vraiment plus avantageux que celui de produits emballés équivalents ?

Vrac bio, la bonne affaire

Une récente étude menée par l’Ademe et l’Institut national de la consommation, publiée dans le numéro de décembre 2021 de 60 Millions de consommateurs, apporte un premier éclairage. « Des enquêteurs professionnels ont effectué des relevés de prix et ont soumis des questionnaires aux acheteurs dans 511 magasins en France : des hypermarchés et supermarchés, des magasins bio et des épiceries spécialisées vrac », raconte Patricia Chairopoulos qui a rédigé le dossier. Huit produits étaient comparés dans leurs versions emballée et vrac : les lentilles vertes, le sucre cristal, les amandes décortiquées, le riz long blanc, le vinaigre de vin, l’huile d’olive, le savon liquide et la lessive. Résultat : les produits bio en vrac sont globalement moins chers que les mêmes produits emballés, de 7 % pour les lentilles vertes, de 15 % pour les amandes et jusqu’à 22 % pour le sucre cristal et le savon liquide.

« Mais le vrac est aussi cher ou plus cher que les produits emballés quand il s’agit de produits conventionnels, non bio. C’est particulièrement flagrant pour le riz long blanc dont le prix au kilo est supérieur de 84 % par rapport au prix moyen observé en paquet, ou pour les lentilles vertes (+50 %) », souligne Patricia Chairopoulos.

Néanmoins, ce résultat est à prendre avec précaution. Car si les enquêteurs professionnels ont établi des comparaisons sur la base de marques identiques ou similaires, et en retenant les prix les plus bas et les plus hauts pratiqués, le manque de références disponibles au rayon vrac pour les produits conventionnels par rapport à la quantité disponible des mêmes produits empaquetés apporte des limites à l’exercice de comparaison. Comme l’explique Patricia Chairopoulos, « il semble plus compliqué d’acheter des produits conventionnels en vrac. Les enquêteurs ont trouvé très peu de références, notamment dans les grandes surfaces. C’est le cas pour le sucre cristal par exemple (28 références en vrac contre 232 préemballées) ou pour l’huile d’olive (25 en vrac v.s. 300 en bouteille) ». En l’absence de données suffisantes, ils n’ont donc pas pu établir de prix moyen du vrac pour les amandes, l’huile d’olive, la lessive et le vinaigre de vin conventionnels, et mentionnent pour les autres prix (hors lentilles vertes) qu’ils sont à prendre avec précaution en raison du nombre de références disponibles.

Pour les produits bio, en revanche, la tâche des enquêteurs a été plus aisée et les résultats sont donc plus solides.

« Il est assez logique que la comparaison ait été facilitée pour les huit produits bio étudiés puisque le vrac s’est développé avec la bio, explique Célia Rennesson, cofondatrice et directrice de l’association Réseau Vrac. Mais pour comprendre le prix du vrac, regarder les tarifs pratiqués au kilo ne suffit pas. D’abord parce que nombre de produits n’ont pas encore trouvé leur équivalent en vrac. De plus, sur le vrac lui-même, les produits vendus sont de qualité et de provenance différentes. »

La question de la qualité revient d’ailleurs souvent chez les consommateurs que nous avons interrogés. Clément Le Fur, qui fréquente régulièrement l’épicerie spécialisée Ty vrac de Trégunc en Bretagne, précise à ce sujet : « Il faut faire attention, car si je compare les coquillettes proposées en bac à silo chez Ty Vrac et d’autres coquillettes vendues en vrac, en supermarché par exemple, le produit n’est pas le même. Dans l’épicerie où je me fournis, ce sont des coquillettes produites localement et bio, ce qui n’est pas le cas partout. »

Même son de cloche chez Anne-Laure Dupont, également cliente de Ty Vrac à Trégunc : « Il y a vrac et vrac. Chez Pauline [prénom de la gérante, N.D.L.R.], ce sont des produits français, locaux même, majoritairement bio. Et le prix n’est pas toujours plus élevé qu’en grande surface. Les céréales en vrac de l’Intermarché à proximité de chez moi sont plus chères et clairement de moins bonne qualité. » Quand on parle de prix du vrac, il importe de tenir compte de l’origine et de la fabrication du produit.

Les coûts cachés des emballages

Au-delà de la question de la qualité, qui justifie des tarifs potentiellement plus élevés, le prix des produits non emballés doit être considéré dans toute sa complexité. Si dans l’esprit de beaucoup encore, l’absence d’emballage est synonyme de prix plus bas, en réalité cet élément en moins ne compte que peu dans le montant payé par le consommateur. « L’emballage n’a pas forcément un coût significatif. Surtout quand on parle de simple film plastique. Cela coûte peut-être un peu plus cher pour une bouteille de shampoing et encore. Pourtant ces emballages jetables coûtent beaucoup à la société et au contribuable », souligne Célia Rennesson. La gestion de ces déchets d’emballages constitue notamment un coût non négligeable pour les collectivités : 117 euros HT par an et par habitant.

« Si on réincorporait dans le coût de ces emballages l’enlèvement des ordures ménagères, le retraitement des eaux et des sols ou encore les impacts sur la nature et la santé, alors il serait dix fois plus cher. C’est la conclusion d’une étude de WWF1. Les produits vendus emballés devraient donc coûter plus cher puisque le matériau de l’emballage devrait coûter dix fois plus. » Le résumé est connu. On mutualise les coûts, on privatise les profits. En achetant en vrac, on diminue de fait les charges liées à la gestion des déchets.

Le prix des produits en vrac intègre des charges fixes spécifiques. L’électricité et le loyer des commerces comme pour les produits emballés, mais aussi l’équipement et la main-d’œuvre. Or, il faut savoir qu’on compte en moyenne 1,75 employé temps plein dans un magasin vrac contre 1 dans un magasin classique2. Car proposer une offre de vrac diversifiée, propre et toujours disponible, nécessite de remplir et de nettoyer régulièrement les bacs à pelle et les silos notamment, des gestes plus chronophages que le rangement de paquets sur des étagères. « C’est donc une filière génératrice d’emplois3, mais cela a un coût », rappelle Célia Rennesson.

Quantité ajustable, budget maîtrisé

Néanmoins, « si on doit ne parler que de l’impact sur le porte-monnaie du consommateur au moment de faire ses courses, alors le vrac est économique car il permet d’acheter seulement X centimes ou X euros d’un produit et donc de maîtriser son budget », ajoute-t-elle. Acheter une quantité imposée peut en effet conduire à de la surconsommation et du gaspillage. « Prendre seulement la quantité dont j’ai besoin est important pour moi, car mon compagnon, cuisinier, mange peu souvent à la maison. C’est bien plus pratique de ne stocker que des quantités limitées et ainsi être sûre de ne pas jeter ensuite », témoigne encore Audrey Kaidi.

Le gaspillage est bien l’autre coût caché des produits emballés. Selon l’Ademe, dans les ordures ménagères et assimilées, on trouve en effet l’équivalent de 20 kilos par habitant et par an de déchets alimentaires, dont 7 kilos de produits alimentaires encore emballés.

« Quand on entre dans un magasin, on a généralement besoin d’acheter un produit. Mais avec les pratiques marketing courantes des supermarchés, comme l’offre “2+1 gratuit”, on nous pousse à penser qu’on va faire des économies en achetant plus. Sauf qu’en réalité, on peut perdre deux fois de l’argent. D’abord, malgré la promotion, on dépense mécaniquement plus que le budget initialement prévu, décrypte la directrice de Réseau Vrac. Ensuite, on perd une deuxième fois de l’argent quand, parce qu’on a acheté trop, on finit par jeter un des trois paquets ou une partie à la poubelle ! »

Pour aborder l’économie du vrac au sens large, il faudrait donc prendre en compte les réponses qu’il apporte aux enjeux du mieux-manger et de la consommation responsable. Dans leur ouvrage Vrac, mode d’emploi, Chloé Liard et Célia Rennesson rappellent que les emballages se retrouvent trop souvent dans la nature et dans les océans : « À l’heure actuelle, 1,6 million de kilomètres carrés dans l’océan Pacifique sont recouverts de plastique et forment ce que l’on a appelé le 7e continent. Il est estimé que cet immense amas de déchets, composé à 90 % de plastique, pèse près de 80 000 tonnes. » Quant à ceux qui verraient dans la consommation vrac une contrainte ou une forme de privation, les deux autrices l’assurent : « On peut acheter les produits qui nous font plaisir avec en plus un aspect ludique et esthétique : voir de beaux produits dans les silos, se servir soi-même la quantité désirée, tester de nouveaux aliments sans avoir peur de se tromper pour découvrir de nouvelles recettes, remplir ses bocaux à la maison, et pourquoi pas les utiliser en décoration pour sa cuisine (c’est plus joli qu’un paquet de riz entamé !). Finalement, si on réfléchit bien, les pratiques d’achat en vrac se retrouvent au quotidien : que ce soit pour les fruits et légumes au marché, auprès des commerçants de bouche ou au stand de bonbons dans les fêtes foraines. »

Pour aller plus loin

  • reseauvrac.org
  • Chloé Liard et Célia Rennesson Vrac, mode d’emploi, La Plage-Réseau Vrac, 2020

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