Bien-être

Ils ont décidé de changer de vie après le confinement



Boudjema Chettouh et Gérard P.* ne se sont jamais rencontrés et pourtant, ils partagent une expérience commune : pour chacun d’eux, le confinement a été un véritable électrochoc, une secousse d’énergie, de réflexion, et surtout de mise en mouvement. Rencontre avec deux citoyens qui ont décidé de devenir acteurs d’un lendemain plus écologique et social.

« Étouffement », « solitude », « vulnérabilité », « colère » : ce sont les premiers mots qui traversent l’esprit de Boudjema lorsqu’on lui demande de décrire son expérience du confinement  : « J’ai l’impression d’être dans une petite boîte, parmi une multitude d’autres petites boîtes ». Si l’envie de quitter son appartement d’Argenteuil lui avait déjà traversé l’esprit, il en est désormais certain : une fois le confinement levé, Boudjema fera ses valises direction du Sud-Ouest de la France et profitera de ce nouveau départ pour changer ses habitudes de vie : « Je ne veux plus me contenter d’étouffer dans un appartement », confie l’intéressé. Malgré l’abattement des premiers jours, Boudjema ne tarde pas à rebondir : « Le déclic, ça a été de comprendre que rien ne pouvait égaler le bon air et la nature ». Militant éco-socialiste et internationaliste depuis plus de vingt ans, il a enchaîné les engagements et les actions « coup de poing » en faveur l’environnement avant de s’affilier au mouvement des Gilets Jaunes. Cette année, il a participé à la création du collectif Argenteuil en commun pour les élections municipales, avec pour objectif de redonner à l’écologie une place centrale dans l’action politique. Mais cette fois-ci, c’est un peu différent : Boudjema doit d’abord lever le pied avant de pouvoir s’engager à nouveau dans la course : « Je veux pouvoir faire un pas dehors et me retrouver au plus près de la nature ». Pour lui, ce départ est une question « de respiration et de survie ».

À plus de 450km de là, Gérard P. semble partager le même avis. Habitué au bouillonnement des rues nantaises, c’est dans sa petite maison secondaire de Piriac-sur-Mer que cet infirmier libéral à la retraite s’est confiné. Après des années passées à s’occuper de ses patients, Gérard a accueilli cette pause forcée comme un moyen de se ressourcer : « Quand on est dans la vie active, on est comme pris dans un cycle infernal, un engrenage. On ne réfléchit pas trop à savoir si ce qu’on fait est bien ou pas ». Ces dernières semaines, Gérard a troqué la télévision pour la lecture, la précipitation pour la contemplation, l’excès pour la parcimonie : « Je redécouvre une nature à laquelle je ne faisais pas attention avant le confinement. J’ai découvert la lenteur, le silence ».

Passer à l’action

C’est en s’accordant le temps de la réflexion que Gérard en est venu à questionner ses habitudes de consommation : « Je n’ai pas remis les pieds dans une grande surface depuis le début du confinement. Je me suis principalement tourné vers les magasins locaux et j’achète en plus petite quantité ». Aujourd’hui, il a décidé de devenir acteur de son propre changement, en expérimentant ce qu’il appelle l’écologie « pratique » : « Je vais essayer de faire mes produits ménagers, par exemple. Je veux mettre en place des choses concrètes, au quotidien ». Une mise en action résultant de plusieurs années de cheminement personnel, que le confinement est venu concrétiser.

L’importance de passer par la pratique, Boudjema en a également fait l’expérience ces semaines passées : « Je ne veux plus faire semblant, je veux vraiment adopter un mode de vie plus écologique et m’extraire de la densité urbaine ». Conscient qu’il ne pourra pas rejoindre le Sud-Ouest du pays avant un moment, Boudjema a cependant entamé son projet en se mettant au tri sélectif, en évitant le gaspillage alimentaire, ou encore en apprenant à faire son propre pain. Alors que toutes les boulangeries étaient ouvertes, il s’agissait pour lui de chercher un moyen de s’auto-suffire et de se détacher de la société de consommation : « C’est un acte politique. Avec quelques ingrédients, tu deviens capable de subsister en dehors du cadre de la société de consommation à outrance », nous confie-t-il, avant d’ajouter : « Mais le plus satisfaisant dans cette histoire, ça aurait été de partager ce pain… même si ça manquait un peu de sel ! ».

Minimalisme et altérité

Se recentrer sur soi et sur ses propres pratiques n’est que la première étape du voyage. À l’issue du confinement, aucun de Boudjema et Gérard n’imagine ses projets sans y inclure autrui : « Cette période nous a rendu plus humble sur ce qu’est l’être humain et ce que nous représentons les uns pour les autres », avance Boudjema. Pour Gérard, il n’y a même aucun intérêt à s’engager dans l’écologie seul : « L’écologie peut amener à s’ouvrir aux autres, à s’enrichir, à enrichir les autres,… C’est une question d’individuel mais aussi de collectif ». Des valeurs qu’il a l’intention d’entretenir par l’intermédiaire du jardinage, des AMAP ou encore des Systèmes d’Échange Local situés aux alentours de Piriac, où il a dans l’idée de s’établir : « Je me suis rendu compte que j’y étais très bien et que je n’avais pas besoin ma grande maison nantaise ». Un projet encore en réflexion, qui lui permettrait de poursuivre ses explorations vers une simplicité au quotidien. Aller toujours plus loin dans ses découvertes, s’occuper de son jardin, s’intéresser à la permaculture « et rencontrer des gens qui partagent cet état d’esprit, de qui [il] pourrait apprendre », voilà ce à quoi aspire Gérard pour les mois prochains.

À Argenteuil, Boudjema, lui, bouillonne. Son projet de quitter la région parisienne le rapproche un peu plus encore d’une ambition de longue date : créer une ferme pédagogique. Persuadé qu’un retour à la terre est inéluctable, il réfléchit depuis plusieurs années à une manière de créer un pont entre les zones rurales et péri-urbaines. En ouvrant cette ferme, Boudjema veut se servir de son expérience d’éducateur spécialisé pour éveiller à la nature celles et ceux qui n’y ont pas accès : « Ce que j’aimerais faire, c’est accueillir des primo-délinquants dans le cadre de séjours de rupture par exemple, mais aussi des mineurs étrangers isolés, ou des enfants en rupture familiale ». Auto-suffisance énergétique, production personnelle de fruits et de légumes, achats au producteur,… Boudjema n’a même pas encore commencé ses cartons qu’il y accumule déjà un flot d’idées, sans oublier d’y placer sa casquette de militant : « Je veux utiliser cette période de confinement pour créer une dynamique de société avec des valeurs écologiques, de partage de solidarité, et donner des outils aux autres  ». De Piriac-sur-Mer à Argenteuil, Gérard et Boudjema n’ont beau pas se connaître, ils se dirigent désormais vers un une même direction : celle du vivre ensemble, au plus près de la nature.

* Le prénom et l’initiale du nom de famille ont été modifiés à la demande de la personne.

Par Clara Jaeger


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