Habitat et Mouvements citoyens

Comment éviter les abus de logements dans les villes touristiques ?

Par Alicia Blancher, le 5 juin 2023

Le port de Rosmeur à Douarnenez, dans le Finistère. ©LPLT / Wikimedia Commons

Si le tourisme est souvent assimilé à une opportunité économique pour les villes qui veulent bien la saisir, cet attrait estival peut aussi avoir des conséquences sur le quotidien des locaux, qui rencontrent notamment des difficultés à se loger. A Douarnenez, dans le Finistère, un collectif s’habitant.es s’est monté pour dessiner un nouvel avenir dans ce petit port breton, et a publié le 7 avril 2023 l’ouvrage « Habiter une ville touristique. Une vue sur mer pour les précaires » (éditions du Commun). Entretien avec l’un des auteurs, Maxime Sorin.

Comment s’est monté le collectif à l’origine de cet ouvrage ?

Le collectif s’est monté suite à une mobilisation en réaction à un projet de rachats de deux friches au cœur de la ville, des friches historiques de la pêche et de l’industrie. Il s’agissait de constituer une aire de valorisation architecturale et patrimoniale (VAP), un document de planification qui classe le bâti de la ville dans plusieurs catégories : bâtiment remarquable, bâtiment à conserver, etc. A travers la mise en patrimoine de ces bâtiments-là, on s’est rendu compte qu’il y avait une partie de la ville, le bâti balnéaire et bourgeois qui était très valorisé, et à l’inverse le bâti industriel ou les logements ouvriers qui étaient plutôt considérés comme à remplacer, à cacher.

Par exemple, les couleurs blanches étaient imposées par les architectes des Bâtiments de France[1], alors que la tradition douarneniste consiste à utiliser les restes de peintures des bateaux pour effectuer les ravalements de façade. Ces normes, imposées, ne répondent pas à nos usages, et ne respectent pas forcément le patrimoine ouvrier populaire qui nous semblait aussi important, voire plus important, que le patrimoine balnéaire à Douarnenez.

Dans quelle ville voulons-nous vivre ?

On s’est alors demandé : Qu’est-ce que le tourisme fait à la ville ? Et surtout, dans quelle ville voulons-nous vivre ? A partir de là, on a essayé de produire de la connaissance depuis notre situation d’habitant et d’habitante, via un travail d’entretiens, d’enquête, et de recherches historiques.

Vous vous définissez comme un collectif de Droit à la ville. Qu’est-ce que vous entendez par « droit à la ville » ?

C’est une référence au livre du même nom du chercheur marxiste et sociologue de l’urbain Henri Lefebvre. Tout d’abord, le droit à la ville, c’est une méthode : essayer d’analyser et de comprendre que la ville se construit à partir de rapports conflictuels entre des groupes sociaux aux intérêts différents, et qui sont inégalement dotés dans l’espace urbain. En fait, la ville n’est pas neutre. On nous a souvent rétorqué quand on a commencé nos recherches « Mais c’est naturel que Douarnenez soit très touristique parce que c’est au bord de mer. » En réalité c’est une production spécifique, liée à une histoire.

Ensuite, il y a aussi une dimension positive du droit à la ville, en réponse à ces rapports sociaux, à travers laquelle chaque habitant.e peut être producteur.trice de sa ville. C’est un imaginaire politique, une forme d’auto-gestion généralisée de la cité où l’on se réapproprie nos espaces.

Loin de la gentrification des grandes métropoles[2], vous mettez en évidence une mise en tourisme, une « touristification » dans les stations balnéaires comme à Douarnenez. Comment cela se traduit concrètement sur votre territoire ?

Il y a une sorte de ségrégation entre les différents quartiers, avec une orientation des aides publiques en direction les espaces centraux d’intérêt touristique, plutôt que vers les quartiers périphériques qui pourraient en avoir besoin. La mise en tourisme, plutôt que de ruisseler sur l’ensemble de la ville, continue à concentrer les efforts sur des espaces centraux qui sont déjà les mieux dotés, et à exclure encore plus les quartiers qui n’ont pas d’intérêt touristique.

Ensuite il y a le processus de cartepostalisation, ou la mise en carte postale des territoires, porté par des représentations qui sont faites sur les territoires touristiques. Et en général, ce sont des territoires qui sont pensés comme naturels, épargnés de l’urbanisation et des troubles associés. Cela entraîne des politiques de policiarisation de l’espace, qui ont pour but d’évacuer les personnes les plus précaires, les gens qui sont à la rue et qui ne représentent pas l’image d’une petite station balnéaire. Chaque été, on observe ce « lissage » de la ville.

Vous mentionnez également les commerces fermés hors saison, l’augmentation des prix des loyers dus au tourisme…

Douarnenez reste une ville qui vit encore à l’année. On compte environ 20% de résidences secondaires, ce qui est relativement faible par rapport au reste du littoral breton, où le taux se situe plus entre 30 et 60%. Après on reste touchés par les effets du tourisme, quand il s’agit notamment des baux de septembre à juin. C’est souvent la face cachée d’Airbnb. Pour les gens qui habitent le territoire, l’offre de logement à louer sur l’année se réduit de septembre à juin, ou d’octobre à mai. L’été, alors que leurs logements sont loués à des vacanciers, à des prix bien souvent élevés, des habitants et des familles doivent partir soit au camping, soit résider temporairement chez des proches, soit quitter le territoire parce qu’ils n’ont plus que cette solution-là. Ces baux sont illégaux la plupart du temps -ne sont légaux que lorsqu’il s’agit d’étudiants ou de personnes en mobilité professionnelle -, tout le monde le sait, mais personne n’agit réellement contre ça.

De plus, les espaces touristiques cumulent souvent aussi les inconvénients de territoires ruraux, périphériques, avec un manque de services publics, et notamment médicaux, qui peuvent vite être surchargés l’été, ce qui n’est pas sans conséquence non plus pour les locaux.

Malgré vos critiques des effets négatifs du tourisme sur le territoire, vous précisez bien que vous n’êtes pas « anti-touristes », mais plutôt en faveur d’une autre forme de tourisme. De quel tourisme parlez-vous ?

On a souvent en effet été catégorisés comme « anti-touristes », ce que l’on réfute ; on est davantage pro-accueil que la plupart des élus de droite qui s’opposent à l’accueil des personnes sans papier, des personnes sans logement, etc. Ce que l’on réclame, c’est la sauvegarde du patrimoine touristique, social, catholique, ouvrier, issu des années 1850 à 1980. Quand on voit un promoteur qui rachète une colonie de vacances pour la transformer en hébergement touristique de luxe, ça nous paraît complètement aberrant socialement. Il faut rappeler que la colonie de vacances du Mans, dont on parle dans le livre et qui a été revendu, accueillait plusieurs milliers d’enfants et de familles chaque été pour les vacances, tandis que l’hôtel de haut standing en devenir ne servira qu’une dizaine, voire une quinzaine de familles. Alors même que l’on promeut pour des raisons écologiques un usage sobre du foncier. Sans compter que ces projets-là prévoient de construire deux piscines sur mer à cent mètres de la plage, à un moment où l’on s’attend à de sévères sécheresses estivales.

Vous dites aussi que « tout n’est pas perdu » pour Douarnenez. Quels seraient les leviers selon vous pour ne pas subir le « destin-déclin » de villes touristiques qui ne vivent qu’une partie de l’année ?

La première chose que l’on pourrait imaginer c’est d’imposer aux élus des villes touristiques, malgré la pression qu’ils peuvent subir de leur électorat – les résidents secondaires votent pour les élections municipales -, de prendre des mesures de quotas, de compensation, de limitation d’Airbnb, des mesures de taxation sur les logements vacants et les résidents secondaires. Ce sont des mesures déjà appliquées dans de nombreuses métropoles, mais on aimerait qu’elles entrent en vigueur dans des villes touristiques comme Douarnenez. On pourrait par exemple imposer un prix ou un bénéfice maximum à la revente. L’idée est avant tout de favoriser le logement à l’année et de lutter contre la spéculation immobilière.

Cela semble paradoxal de mettre en avant ces mesures, car vous insistez sur le fait que cet ouvrage n’est « pas un recueil de propositions pour des élus en manque d’imagination »…

Oui parce que l’on s’adresse avant tout aux habitant.es du territoire. Cela ne nous interdit pas de détailler de possibles solutions. Souvent les élus nous ont rétorqué : « Comme vous n’êtes jamais contents, vous devriez présenter une liste aux élections. » Nous, ce n’est pas de cette manière dont on a envie de lutter. Ce que l’on essaie de faire, c’est parler avec les habitant.es et leur donner des billes, de la méthodologie pour leur donner envie de se mobiliser, de monter des collectifs et de faire des propositions aux élus. On ne s’adresse pas directement aux élus, car pour beaucoup, ils connaissent depuis longtemps ces solutions, c’est juste qu’ils n’ont pas envie de s’en saisir.

Etes-vous parvenus à créer un peu de mobilisation parmi les habitant.es de Douarnenez ?

Sur la question du logement, il y a déjà eu beaucoup de manifestations à Douarnenez. En septembre dernier, on était 600 à marcher dans la rue contre la crise de l’immobilier; c’est pas mal pour une ville de 14 000 habitants. Au-delà de mobilisation physique, on a aussi permis une certaine vulgarisation des enjeux du foncier. L’année dernière, on a édité et diffusé un guide sur les baux frauduleux à des milliers de personnes à Douarnenez. Via notre travail d’analyse, de compilation et de diffusion, on a vu beaucoup d’habitant.es se saisir de cette problématique, et pour certain.es réclamer leurs droits auprès de leurs propriétaires. C’est aussi ça, la mobilisation. Ce n’est pas forcément que des grands moments où l’on est réunis ou lors de victoires électorales, même si on aimerait bien que ce soit repris par les élus. On plaide pour l’évolution du droit, tout en menant des actions concrètes de solidarité sur le terrain. Dans cette lancée, le 10 juin prochain, on accueille à Douarnenez un grand rassemblement de lutte contre le mal-logement, avec d’autres collectifs de toute la France (Pays-basque, Corse, Bretagne du sud, etc.). Ce livre, en dehors de sa vie d’objet littéraire, a aussi vocation à créer de la mobilisation et à faire réseau.

[1] Les architectes des Bâtiments de France constituent un service de l’Etat qui a pour mission de « rendre cohérent le respect du patrimoine et l’aménagement du territoire. ».

[2] Phénomène qui qui pousse les plus précaires à quitter leur quartier en raison de la hausse des prix des loyers, provoquée par l’arrivée de ménages plus aisés.

Pour aller plus loin

Habiter une ville touristique. Une vue sur mer pour les précaires, éditions du Commun, 2023


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