Chronique de l’effondrement
Nous avons à nouveau vécu une soirée électorale déprimante, pour ne pas dire pathétique. Première constatation : l’abstention dans les pays de l’Union avoisine, à l’heure où j’écris, les 57%. Les abstentionnistes constituent donc le premier parti d’Europe. En France, l’abstention des moins de 35 ans atteindrait les 73%. Secundo, la percée des partis nationalistes est considérable : France, Danemark, Angleterre, Autriche, Hongrie…
En France, le symbole est terrible, même si les 25% réunis par le Front national ne représentent en réalité que 4,73 millions de voix, soient 7,2% de la population française et un peu plus de 10% des inscrits sur les listes. Ce qui est déjà considérable, mais ne justifie pas de se revendiquer du « peuple français » comme a pu le faire Marine Le Pen avec force lyrisme dimanche soir. Pour autant, il s’agit du meilleur score de la soirée.
Les partis émergents, qui proposaient de véritables alternatives aux politiques actuelles, n’ont pas réussi la percée que l’on pouvait espérer. Nouvelle Donne arrive à 3% (ce qui n’est pas si mal pour un si jeune parti), le parti de Corinne Lepage ne parvient même pas à émerger, pas plus que Démocratie Réelle… Quant à Europe Écologie, qui incarnait l’espoir d’un renouveau politique en 2009, son score est réduit de moitié.
Première conclusion : la politique européenne n’intéresse décidément pas grand monde. Pourtant l’Union européenne est devenue l’endroit où s’élaborent les cadres qui entraînent ou qui contraignent nos vies quotidiennes dans un sens ou dans l’autre.
Deuxième conclusion : nous vivons en Europe des crispations identitaires, liées à une grave dégradation de la situation économique, qui n’est pas loin de rappeler les années 1930.
Troisième conclusion : les partis politiques traditionnels continuent leur (trop lente) désagrégation. Toute la soirée de dimanche, leaders de l’UMP et du PS se sont succédé pour répéter les mêmes mantras : « Les Français nous ont envoyé un message », « Il faut changer de cap », « Nous devons changer notre façon de faire de la politique »… Mais lorsque les journalistes se sont aventuré à demander : « Comment ? », « Pour faire quoi ? », « Pour aller où ? », ni Jean-François Copé ni Stéphane Le Foll, ni aucun autre responsable présent n’a su répondre. Rachida Dati s’est même fendue d’un : « En définissant quelle est la ligne de notre parti ! » Sous-titre : elle ne le sait donc pas elle-même.
Quatrième conclusion : les partis se désagrègent car leurs leaders ne savent même plus où aller.
Stupeur sur mon canapé, la parole de sagesse du soir est revenue à Marc Levy sur France 2, le seul à souligner que, depuis trop longtemps, on n’avait pas proposé de véritable projet de société, susceptible d’emporter une adhésion populaire. Problème : les partis qui proposaient des projets ambitieux (jusqu’à une refonte démocratique très avancée comme pour Démocratie Réelle) ont fait de très faibles scores.
Cinquième conclusion (conclusion chorale) : la majeure partie des électeurs ne considère pas utile de voter ; une partie de ceux qui votent a tendance, dans un repli classique généré par la peur, la colère et l’incertitude, à se replier vers des leaders populistes, grandes gueules, qui n’ont pourtant donné aucune preuve qu’ils pouvaient apporter des solutions. Et ceux qui proposent des solutions sont apparemment inaudibles ou pas suffisamment convaincants… Quoi qu’il en soit, insuffisamment soutenus.
Écrire tout cela n’apporte évidemment pas de solution. Alors qu’il en existe. Certainement. Mais, ce matin, j’ai le sentiment que l’heure n’est pas à se précipiter vers des actes réparateurs. Le temps est à prendre la mesure de ce qui se produit : l’effondrement programmé de notre modèle démocratique. Et la nécessité de prendre l’entière responsabilité d’en construire un nouveau, tous ensemble, dès demain.
Par Cyril Dion