Charlotte Marchandise, une présidente normale en 2017 ?
En avril 2016, le mouvement laprimaire.org a été lancé, avec dans l’idée – à l’instar d’autres mouvements citoyens – de présenter un-e candidat-e pour la présidentielle de 2017 et des candidat-es aux législatives qui suivront, hors des partis politiques. Plus de 11 000 personnes ont voté début novembre lors du premier tour au jugement majoritaire1, faisant émerger cinq candidats. Parmi eux, et arrivée en tête, Charlotte Marchandise. Entretien avec une femme engagée.
Comment devient-on candidat à laprimaire.org ?

Depuis vingt ans, je suis engagée dans différents mouvements associatifs. Je me suis rapprochée parfois de partis politiques, mais sans jamais trouver ma place. En 2014, pour les élections municipales à Rennes, une personne du mouvement Colibris m’a invitée à me présenter sur une liste Europe Écologie Les Verts-Front de gauche et citoyens. Dans un premier temps, j’ai refusé. Puis, en échangeant avec différentes personnes, je me suis rendu compte qu’on avait la possibilité d’avoir une véritable place en tant que citoyen – hors parti –, y compris pour les négociations du second tour. Je me suis retrouvée avec un groupe de citoyens non encartés à travailler sur la notion d’éducation populaire.
Je suis entrée dans cette campagne sans espoir d’être élue, car, à Rennes, historiquement, si vous n’avez pas fait d’alliance au premier tour, il n’y a pas de négociations possibles au second tour. Sauf que nous avons fait un bon score [15 %], et le parti socialiste a proposé une fusion. Comme je n’y allais pas pour faire de la figuration, je voulais apporter mes compétences, je me suis retrouvée adjointe [à la santé], sans jamais avoir fait de politique, sans jamais avoir eu d’activité dans le monde public. Cela m’a amenée à réfléchir à ce qu’est vraiment la politique et je me suis mise à témoigner sur Internet de ma vie d’élue : au fond, c’est quoi être une femme politique, c’est quoi la différence entre moi et un directeur de service. J’ai constaté par exemple que bon nombre de décisions sont prises à l’échelle nationale, sans tenir compte des avis locaux, voire, dans certains cas, de leurs applications possibles sur un territoire.
Comme, par ailleurs, je suis depuis des années l’émergence des nouvelles technologies de l’information, quand j’ai vu la primaire.org se dessiner et que j’ai constaté la quasi-absence de femme, je me suis dit : « Il faut faire quelque chose. » J’avais plein de raisons pour ne pas y aller, mais je pense qu’à un moment il faut être honnête avec soi-même et prendre ses responsabilités, faire sa part. J’ai donc décidé de porter une candidature autour de la santé pour sortir des politiques de la maladie. Les politiques raisonnent en matière de soin et pas en préventif. Alors que, si on mange mieux, si on bouge plus, bref, si on vit plus sainement, on entre dans une dynamique positive de la santé. C’est cette vision positive que je veux porter.
La campagne présidentielle est un exercice exigeant, et qui coûte cher ; quel est votre objectif ? En avez-vous les moyens ?
Notre objectif [à laprimaire.org] est bien d’aller au bout du processus et de présenter un-e canditat-e à l’élection présidentielle. Pour les 500 signatures, nous sommes assez optimistes. Chaque fois que nous [tous les candidats de laprimaire.org] rencontrons des élus locaux de petites villes, ils souffrent tellement de voir la corruption qui règne dans les partis qu’un-e candidat-e non encarté-e leur paraît faire sens. Bien sûr, en fonction de la personne qui sortira de cette primaire, ils se réservent le droit de la suivre ou pas. On aimerait sensibiliser des maires impliqués sur les problèmes de la démocratie en France pour qu’ils incitent leurs collègues à nous suivre.
Pour la partie financement, nous allons de toute façon faire une campagne à moindre coût ! Dans un premier temps, il y a les aides de l’État, puis nous lancerons une campagne de financement participatif. Mais c’est un point important que nous apporterons dans le débat. Le candidat qui sortira de notre primaire sera aussi un candidat de la résilience. Quand, après la victoire de Donald Trump, je vois le tweet du premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis, « Continuons nos enfantillages irresponsables et ça sera Marie Le Pen », je me dis qu’ils n’ont rien compris. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir voter PS et à rejeter le « vote républicain » contre le Front national. Il faut qu’on ait la possibilité de voter pour [un projet] et arrêter de votre contre. Enfin, notre objectif est de présenter un maximum de candidats aux élections législatives.
Comment être crédible aux yeux des Français-es ?
On va les convaincre par la qualité de notre travail. De plus en plus d’experts nous rejoignent. Mon rôle n’est pas de savoir tout, mon rôle est de trouver les gens qui savent. Je suis dans l’étonnement permanent. Par exemple, sur le temps de travail, certains experts nous disent qu’il faut travailler 28 heures par semaine si l’on veut réduire le chômage : il faut expliquer pourquoi et comment. La politique, c’est chercher pour l’intérêt général. Les grands partis ne citent jamais leurs sources quand ils disent « on va prendre telle ou telle mesure ». Je veux qu’on présente des indicateurs en précisant le temps qu’il faudra pour y arriver et ainsi permettre aux Français de nous alerter si on ne tient pas nos promesses. Par exemple, nous sommes pour la rédaction d’une nouvelle Constitution. Mais dire qu’on va le faire en cent jours, ce n’est pas honnête. C’est permettre aux seuls professionnels de la politique d’y participer, or en nous inspirant du fonctionnement des jurés d’assises, qui sont une réussite de notre République – fonctionnement, organisation financement –, nous pensons que nous avons besoin de tout le monde. C’est pourquoi j’insiste sur cette notion d’éducation populaire. Nous estimons qu’il faut deux ans pour rédiger cette nouvelle Constitution. Et après, on démissionne : c’est l’engagement pris par les cinq candidats restants de la primaire.org.
Et c’est aussi une question de méthode et de posture. D’abord, en mettant au centre de notre projet l’application de la charte Anticor. Puis, nous voulons donner une vision positive de la politique. Une campagne, c’est dur, mais comment fait-on une campagne sans dénigrer les autres, sans être cynique ? Le film Demain a dessiné à l’écran un avenir possible. À nous de trouver les solutions pour le mettre en œuvre.
Avez-vous convenu d’un accord de soutien en faveur du vainqueur ?
Oui, bien sûr, l’idée est de profiter de cet élan citoyen et de poursuivre cette dynamique pour qu’un candidat hors parti soit présent à la prochaine élection présidentielle.
Propos recueillis par Pascal Greboval
1Le scrutin au jugement majoritaire, comment ça marche ?
Il s’agit d’un système de vote développé par deux chercheurs français : Rida Laraki et Michel Balinsky. Deux caractéristiques principales définissent le système mis en place par laprimaire.org :
- On vote en attribuant aux candidat-e-s l’une de ces mentions : Insuffisant, Passable, Ass
ez Bien, Bien, Très bien. La ou le candidat-e retenu-e est celle ou celui qui la meilleure mention-majoritaire. - On ne se prononce pas sur l’ensemble des candidats, mais sur un lot de cinq. Ces lots sont créés de manière aléatoire. Cela permet d’éviter l’effet levier de la notoriété de quelqu’un qui aurait déjà un réseau. Et cela oblige à lire les programmes.
Pour aller plus loin
Une tournée de débats est organisée en France avec les cinq candidats finalistes au mois de novembre : https://www.meetup.com/fr-FR/Cafes-LaPrimaire/
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