Solidarités

L'ashram de Gandhi : textile et énergies vertes pour les campagnes

© Pauline Garaude

À Ahmedabad, dans l’Ouest de l’Inde, le Mahatma Gandhi fit de son ashram[1], fondé en 1915, un modèle social et économique de village autosuffisant. À sa mort, en 1948, ses disciples ont repris le flambeau, élargissant les activités de l’ashram qui fait office aujourd’hui de véritable ONG.

« Toutes les activités de l’ashram reprennent le message clef de Gandhi : l’autosuffisance. Pour y parvenir, il misait sur la nature, le recyclage, la coopération avec la mise en commun des savoirs et du matériel, l’autonomie économique des villageois par l’apprentissage et la vente de leur artisanat, et enfin l’éducation des pauvres et des hors-castes », raconte Umret Modi, responsable de l’ashram. À 82 ans, ce petit homme vêtu de blanc a toute sa vivacité ! « Regardez ! », dit-il en pointant du doigt un rouet posé sur un coin de son bureau. « C’est ce qui a rendu l’Inde indépendante. Et c’est ce qui, 70 ans après, continue de rendre les villageois indépendants. » Le rouet a été le symbole de Gandhi et de l’indépendance de l’Inde, au point qu’il est représenté au centre du drapeau national. Le textile est le pilier de l’activité économique de l’ashram. Dans plus de 2 000 villages aux alentours, les habitants, toutes générations confondues, filent le coton au rouet et tissent ensuite sur le khadi, sorte de métier à tisser. Au total, ce sont quelque 600 000 ruraux qui tirent des revenus du textile dans l’État du Gujarat [2].

Grâce à la Sabarmati Ashram Preservation and Memorial Trust, fondation créée par des disciples et admirateurs de Gandhi, l’ashram a pu financer et élargir ses activités : fabrication de rouets traditionnels en bois et de khadis ; recherche et développement pour des rouets mécaniques ; création d’un pôle formation ; et ouverture d’une branche commerciale pour la vente des produits artisanaux.

Les centaines de bénévoles de l’ashram se déplacent dans les villages, forment les habitants et les aident à se mettre en commun pour acheter un rouet ou un khadi. C’est ainsi qu’Umma, une veuve de 57 ans, a gagné son autonomie financière il y a trois ans. « Une équipe est venue dans notre village. On était une dizaine de femmes intéressées, car, avec le rouet, on peut rester à la maison tout en travaillant. » Elles ont mis 60 roupies (moins d’un euro) chacune et se sont procuré deux rouets. « À tour de rôle, on tissait chacune des mètres de fil qu’on vendait à une coopérative locale. En deux ans, avec les bénéfices, on a pu s’acheter un khadi. C’était cher, 2 000 roupies (29 euros), mais notre vie a vraiment changé, car, depuis, on vend directement aux boutiques de l’ashram nos produits finis : des nappes, des saris, des écharpes… Nos revenus sont presque dix fois supérieurs ! », lance-t-elle fièrement. L’ashram reverse 95 % du prix de vente de ces produits aux villageois.

gandhi
© Pauline Garaude

Nangir Narayan, 85 ans, a rejoint l’ashram en 1958, à la demande de Krishna Das Gandhi, le cousin du Mahatma. « Comme je suis ingénieur, il m’avait demandé de venir expérimenter des machines à tisser », se souvient-il. Aujourd’hui, le vieil homme continue d’expérimenter de nouvelles machines. Assise sur un petit tabouret, une femme tisse du coton avec un rouet électrique qui permet d’aller dix fois plus vite qu’avec un rouet traditionnel. « Avec cet outil, le revenu des femmes est passé de 6 à 70 roupies [de 0,09 euro à 1 euro] la journée », se réjouit Nangir Narayan.

Autre volet fondamental de « l’ONG Gandhi », le département d’énergies vertes, qui a vu le jour en 1957. Il est dirigé par l’ingénieur Arvind Patel. Sa priorité ? Des toilettes qui consomment très peu d’eau et dont les déchets sont recyclés en biogaz pour le chauffage et la cuisson. « La moitié de la population indienne ne dispose pas de toilettes et la majorité des maladies proviennent des défécations en plein air », explique-t-il. Révolutionnaire et pourtant si simple, son idée de toilettes « à la turque » avec un plan incliné à 70 degrés permet 50 % d’économie d’eau par rapport aux latrines indiennes classiques ! Lancées il y a dix ans, ces latrines publiques sont devenues populaires. « On en a vendu 150 000 dans toute l’Inde, à raison d’une à trois par village, selon le nombre d’habitants. » Le coût ? 13 000 roupies [186 euros] l’unité dont 9 000 sont subventionnées par le gouvernement. C’est donc 4 000 roupies à débourser pour le village. C’est « 70 % moins cher que des toilettes classiques avec, à la clef, du compost gratuit ! », rappelle Arvind Patel.

Financé à 70 % par la Sabarmati Ashram Preservation and Memorial Trust, à 20 % par le gouvernement et le reste en fonds propres et donations directes, l’ashram ne fait que moderniser les activités de Gandhi avec les technologies actuelles. « C’est là qu’on mesure à quel point il était pionnier d’un modèle économique solidaire basé sur le recyclage », s’enthousiasme Umret Modi, heureux de transmettre le flambeau du Mahatma.
[1] Ermitage en Inde.

[2] L’État du Gujarat compte plus de 50 millions d’habitants.

Par Pauline Garaude

Article publié initialement dans Kaizen 19


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Le 8 novembre 2016
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