Éducation et Pédagogie

Atelier Fresque du Numérique, penser la sobriété par le jeu

Par Hildegard Leloué, le 3 février 2023

Le numérique représente 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Si internet était un pays, il serait en sixième position, sur le classement des plus pollueurs (selon BercyNumérique). © Hildegard Leloué

Dévoiler le prix caché du pixel. Depuis 2020, l’association La Fresque du Numérique organise des ateliers pour mieux saisir l’impact des usages numériques sur l’humain et l’environnement. Originalité de l’intervention : elle utilise comme support un jeu de carte fondé sur la recherche scientifique. Reportage à l’occasion d’une session organisée à l’ESS Cargo, sur le campus de l’Université Rennes 2.

 

Une pédagogie innovante

« Sur votre main droite, levez un doigt pour chaque smartphone que vous avez déjà possédé. Sur la gauche, indiquez le nombre d’ordinateurs », invite avec enthousiasme Rémy Sergent, animateur bénévole à La Fresque du Numérique, une initiative inspirée de La Fresque du Climat. Face à lui, sept participant·es, oscillant entre la vingtaine et la cinquantaine, convoquent leurs souvenirs pour amorcer une prise de conscience vis-à-vis de leur consommation d’équipements numériques. Le groupe, dont la majorité étudie ou projette de travailler dans le secteur du numérique, est réuni en cercle dans l’ambiance feutrée des locaux de l’ESS Cargo, un espace de la maison des étudiants de l’Université Rennes 2 dédié à l’accueil d’initiatives sociales, solidaires et écologiques.

« Le but, ce n’est pas que vous vous sépariez de tous vos équipements numériques, mais de vous permettre de réfléchir aux enjeux qu’ils recouvrent, pour mieux trouver un équilibre », contextualise l’animateur. Ce dernier distribue ensuite les cartes qui composeront ladite fresque. Tour à tour, les participant·es révèlent une carte décrivant un aspect du numérique (data center, obsolescence technique, pénurie de ressources, etc.), avec des explications inscrites à son verso.

Illustré ou schématisé de façon attrayante, leur contenu est extrait de données produites par la communauté scientifique ; preuve que le « jeu » peut également rimer avec « sérieux ». Il s’agit ensuite d’agencer et de relier les cartes entre elles avec des flèches, pour mettre en lumière les liens entre l’utilisation d’équipements numériques, la consommation de ressources et les conséquences sur l’environnement, la biodiversité et l’humain.

 

Une fois la fresque constituée, les participant.es sont incité·es à la décorer pour se l’approprier. Une phase de restitution permet ensuite de faire le point sur les apprentissages. © Hildegard Leloué

Malgré sa proximité avec les amphithéâtres de l’Université, l’atelier est donc loin de se présenter comme un cours magistral. Il repose en réalité sur l’intelligence collective, puisqu’il nécessite des capacités d’écoute et de débat, pour s’entendre sur le rendu final de la fresque.

Conscientiser l’empreinte du numérique

« Les déchets électroniques sont-ils vraiment des épluchures ? », s’interroge tout haut Damien, consultant en démocratie, le regard songeur derrière ses lunettes. Si la question peut paraître hors-de-propos, elle fait pourtant partie intégrante de la « recette » de l’atelier. « Pour comprendre les relations de cause à conséquence du numérique, on va vous demander de réfléchir comme si vous faisiez une tarte aux pommes, a introduit Rémy dans un sourire malicieux, Cuisiner une tarte implique d’avoir un four et des ingrédients, qui eux-mêmes impliquent d’utiliser de l’électricité, des ressources pour sa fabrication et de générer des déchets ». Un parallèle clair est dressé entre nos besoins numériques (pour le divertissement, le travail, le commerce, etc.), l’ensemble des équipements que ces besoins mobilisent, et les ressources nécessaires pour fabriquer, alimenter et gérer la fin de vie de ces mêmes équipements.

La métaphore de la création d’une tarte aux pommes permet aux participants de mieux appréhender le contenu de l’atelier, en partant des usages numériques pour réfléchir à ce qu’ils impliquent. © Hildegard Leloué

« Puiser les ressources nécessaires à la fabrication de nos équipements nécessite de mettre en place des processus d’extraction et de raffinage, ce avec des machines très gourmandes en eau et dans des zones où l’approvisionnement est déjà en tension », synthétise l’animateur, une fois la fresque achevée.


Les chiffres clés du numérique présentés dans l’atelier :

  • 62 % de l’humanité utilise internet.
  • 80 % des flux mondiaux de données internet sont des flux vidéo.
  • Ce trafic a une croissance exponentielle : il a été multiplié par 10 entre 2010 et 2020.
  • En tout, 34 milliards d’équipements sont en service dans le monde.
  • La fabrication d’un ordinateur de 2kg nécessite de mobiliser 800 kg de ressources (600 kg de minéraux, 200 kg d’énergies fossiles et plusieurs milliers de litres d’eau douce).
  • Au moins 60 % des déchets électroniques sont gérés par des circuits illégaux.

Définir des solutions concrètes

Comment tendre vers le numérique responsable ? Après avoir exposé les effets délétères des usages, l’atelier se concentre sur la mise en place de solutions concrètes. Dé-numériser les activités pouvant s’effectuer sans écrans, acheter ses équipements d’occasion ou en reconditionné, réduire sa consommation électrique… À tour de rôle, les participant·es s’emparent d’un nouveau lot de cartes sur lesquelles sont inscrites des leviers concrets, pour réduire son empreinte numérique personnelle ou celle de son entreprise. Consigne : positionner ces cartes sur une feuille divisée en deux axes – la complexité et l’impact de l’action – tout en débattant de leur faisabilité. Une fois cette étape achevée, les membres du groupe sont invités à verbaliser des engagements concrets.

« Je pense continuer de questionner mes pratiques et les outils que je recommande dans le cadre de mon activité », déclare Vivianne, consultante en communication engagée. « De mon côté, je vais éteindre mon téléphone la nuit », statue Sylvie, étudiante en Master Stratégies Digitales. Après la séance, les participant·es recevront par mail un condensé des points les plus importants, ainsi que la marche à suivre s’ils souhaitent à leur tour devenir animateur·ice de La Fresque du Numérique. « À chaque atelier, j’ai environ deux personnes qui reviennent vers moi pour être formé », indique Rémy Sergent. Une conversion efficace a déjà permis à cet outil de toucher d’être diffusé auprès de plus de 25 000 participant·es, en deux ans d’existence à peine. De quoi dissiper de nombreux écrans de fumée.

 

Lire aussi :

Naviguer sur internet : guide des bonnes pratiques

Le numérique, c’est plus écologique ?

 


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

Soutenir Kaizen Magazine, c'est s'engager dans un monde de solutions.

Notre média indépendant a besoin du soutien de ses lectrices et lecteurs.

Faites un don et supportez la presse indépendante !

JE FAIS UN DON

Atelier Fresque du Numérique, penser la sobriété par le jeu

Close

Rejoindre la conversation