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jeudi 21 novembre 2024
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Handicap : Tandem entre voyants et non-voyants

Dans le domaine du sport, l’inclusion des personnes en situation de handicap n’est pas toujours évidente ; des clubs et des pratiques leur sont souvent réservés. En tandem, les duos avec des personnes valides sont plus fréquents. Comme au Handisport Rennes Club qui organise des sorties entre voyants et non-voyants depuis plus de vingt ans. Un moment convivial apprécié de toutes et tous. 

Maillot fluorescent et cycliste noir, lunettes de soleil sur la tête, gourde à la main. Difficile de rater les quelques pilotes ( les cyclistes à l’avant du tandem, bénévoles, tandis que les malvoyants ou non-voyants, à l’arrière, sont les « copilotes », ndlr) arrivés en avance ce mardi matin au Handisport Rennes Club, point de départ de la balade en tandem. Au programme de cette session : une boucle de 30 kilomètres au sud de la capitale bretonne. Ces passionnés de cycles chouchoutent les tandems et font les dernières petites vérifications en attendant les copilotes. 

« Voici Diesel, lance Yves, grand bonhomme en tenue de cycliste bleu et sandales, en montrant du doigt un jeune homme blond sortant du bus Handistar, qui vient de se garer. Quand on l’a sur le tandem, c’est comme une assistance de vélo électrique, il a un sacré jus ! » « Diesel », c’est bien le surnom de Jean-Baptiste, le cadet du groupe, âgé de 23 ans. Aveugle de naissance, il a longtemps pratiqué le tandem avec sa maman, avant de découvrir que l’activité existait aussi en club, ce qui lui a permis de multiplier ses sorties.

Derrière lui, une femme d’une soixantaine d’années s’aide de sa canne blanche pour descendre du véhicule. Emmanuel, pilote depuis un an, lui tend son bras, s’incline légèrement et lance sur un ton faussement solennel : « Madame la Présidente ». Georgette est en effet présidente du Handisport Rennes Club depuis 2016 et référente de la section tandem depuis 2008. Cette ancienne fonctionnaire a perdu la vue progressivement, suite à une maladie génétique. « J’ai commencé à faire du vélo dès l’âge de 6 ans, et j’aimais beaucoup cela. Quand je suis devenue malvoyante, j’ai cru que le vélo, c’était terminé pour moi », se remémore la retraitée. Et ce jusqu’en 2005, année au cours de laquelle elle a découvert le tandem dans ce club rennais, dont la section était ouverte depuis 1997. « Cela m’a fait un bien fou. J’ai retrouvé un sentiment de liberté. Sans compter qu’en tandem, on peut bavarder avec celui qui est devant », sourit-elle. 

Les binômes, formés en fonction de la taille et du gabarit des pilotes [1], se retrouvent deux fois par semaine, le mardi et le samedi. Avec dix-sept copilotes et une quarantaine de pilotes, les duos varient fréquemment. 

Jean-Baptiste, surnommé « Diesel », à droite, est fin prêt pour le départ ©Alicia Blancher

Remonter en selle 

« Et un, deux, trois… » C’est le signal de départ. Les pieds des deux pilotes s’élancent d’une même poussée sur les pédales et leurs jambes commencent à se mouvoir sur un rythme simultané. Au tandem, si la confiance dans le pilote doit être entière, la communication des coéquipiers reste primordiale pour coordonner les gestes. « On ralentit », « on tourne à gauche »… « Le pilote nous donne des consignes et il y a beaucoup de dialogue entre nous. On ne raconte pas que des bêtises ! », plaisante Georgette, installée derrière Pascal, pilote depuis presque vingt ans. Ce dernier rebondit : « Et il y a du ressenti aussi, j’imagine ; je ne te dis pas toujours quand il y a un virage, non ? » Georgette hoche la tête. 

Toutes et tous pratiquaient le vélo auparavant, en individuel ou en tandem. Sans cela, l’activité peut être déconcertante, voire trop difficile pour les cyclistes non-voyants, selon Georgette. C’est souvent l’occasion pour ces derniers de remonter en selle. Jean-Luc, ancien cycliste chevronné qui a perdu la vue en 2004, a trouvé dans le tandem une belle opportunité. « On est assez limités dans le domaine du sport. La marche, c’est bien, mais c’est agréable de pouvoir faire autre chose, reconnaît l’adhérent au club. Et pour le vélo, on a forcément besoin d’un pilote. C’est un bonheur en cela d’avoir trouvé cette association. » Haut de son 1,90 mètre, Jean-Luc s’estime aussi heureux d’avoir trouvé un tandem à sa taille. Pour bien l’adapter, un bénévole, « l’autre Jean-Luc », lui a même installé des poignées sur le guidon pour éviter qu’il ne soit trop courbé sur le vélo. 

Handisport Rennes Club compte à ce jour douze tandems. Mais Georgette souhaiterait en acquérir un treizième pour la course, voire la compétition. Dans l’idée d’attirer davantage de jeunes. Jean-Baptiste, amateur de vitesse, n’attend que cela. « Diesel » sera peut-être challengé… 

« Il y a la pratique sportive, mais le lien social prime » 

Dans la file indienne de gilets jaunes et de casques, chacun va à son rythme. Quelques pauses émaillent le voyage pour attendre les uns et les autres. C’est ce qui a plu d’emblée à Louis, bénévole référent qui gère les réservations et l’entretien des tandems (en binôme avec Jean-Luc). « J’aime bien pratiquer le vélo, mais je n’apprécie pas vraiment l’aspect compétition que l’on peut retrouver dans les clubs de cyclistes. Je suis venu suite à une annonce dans la presse locale. J’ai trouvé l’ambiance sympathique : on roule, mais on bavarde, on rigole… Donc je suis resté », relate ce pilote en selle depuis sept ans au sein du club. 

ICI, ON A VRAI MOMENT DE PARTAGE

Placé en fin de peloton, il papote ce mardi avec Annie, ancienne professeure de français langue étrangère (FLE) à la faculté de Rennes. Paraplégique, cette retraitée vient au club avec son propre tandem, équipé non pas d’un pédalier à l’arrière, mais d’un médalier, un pédalier manuel. Annie a essayé de rejoindre des clubs de cyclistes dans le Finistère, où elle passe quelques mois l’année, pour rencontrer un binôme éventuel. Rien de concluant pour l’instant. « Ils ne pensent qu’à leur moyenne, qu’à leurs résultats… Au moins, ici, on a vrai moment de partage », affirme-t-elle avec son large sourire, tout en moulinant avec ses bras pour ne pas perdre le rythme. 

Lors de leur parcours, les cyclistes s’arrêtent une ou deux fois pour s’hydrater et pour s’attendre les uns les autres. ©Alicia Blancher

Georgette abonde dans ce sens : « Il y a la pratique sportive, mais le lien social prime. » Pour la présidente du club, cette sortie est l’occasion pour certains déficients visuels de côtoyer du monde, en particulier pour ceux qui n’ont pas d’activité professionnelle. C’est le cas de Bruno, malvoyant proche de la cécité, licencié il y a deux ans : « Comme on ne voit plus, on rencontre moins de monde, et on a tendance à se renfermer sur nous-mêmes », confie le quarantenaire. S’il peut discuter plus amplement avec les copilotes dans le bus Handistar, il regrette néanmoins qu’il n’y ait pas davantage de moments de convivialité avec les pilotes, en raison des contraintes horaires de ce transport collectif notamment. 

Retrouver de l’autonomie 

De retour au club, Annie jette un coup d’œil à sa montre. « 28 kilomètres en 1 h 30 ! », s’exclame-t-elle. « Les gens n’ont pas idée de ce que l’on parcourt, ils imaginent que cela ronronne… » Avant, cette retraitée pratiquait le tandem avec son mari. « Quand on a arrêté, il m’a avoué qu’il n’aimait pas le vélo ! » lance-t-elle dans un éclat de rire. Elle a alors rejoint le Handisport Rennes Club il y a une vingtaine d’années : « C’est positif, car cela apporte aussi une autonomie dans le couple. » De la même manière, Jean-Luc faisait du tandem avec sa femme ; mais ils l’ont finalement vendu car il était trop lourd. 

Ce dernier est l’un des rares avec Annie à ne pas rentrer chez lui via le bus Handistar : Jean-Luc repart en effet à pied avec son labrador, la vedette du groupe, que tout le monde vient caresser, tandis qu’Annie rejoint son domicile en tandem avec Louis, qui vient en général la chercher au passage, ne résidant pas loin. Alors que leurs compagnons grimpent un à un dans l’utilitaire, ils finissent leurs conversations tranquillement. Les pilotes rentrent avec soin les douze tandems dans le local à vélo. « Je serai en vacances la semaine prochaine », prévient Pascal. Il lance un regard complice à Georgette, la dernière à monter dans le bus : « À qui raconteras-tu tes bêtises ? » Sa réponse fuse avant que la porte ne se referme : « J’avancerai peut-être plus vite au moins… » 

  1. Le pilote doit être au moins de poids égal avec le copilote, voire plus lourd, pour maintenir un équilibre.

Un article à retrouver dans notre K66, dont le dossier est consacré à l’handicap et au validisme, disponible sur notre boutique en ligne.


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