Le 1ER février 2023, les consommateurs français verront leur facture d’électricité augmenter de 20 euros. Une augmentation limitée par la mise en place d’un bouclier tarifaire par l’Etat en septembre dernier. Comment expliquer cette flambée du prix de l’électricité ? Alors que nous importons 10 à 13% de gaz pour répondre nos besoins énergétiques, quel est le rôle de la guerre en Ukraine dans cette hausse des tarifs ? Pour Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (Creden), la dépendance aux marchés de l’énergie, instaurée depuis la libéralisation du secteur électrique commencée dans les années 1990, est en partie responsable de cette envolée des prix. Décryptage.
Qu’est-ce qui a concrètement changé en France depuis l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie ?
Pour faire simple, EDF était en situation de monopole : l’entreprise française produisait, transportait, et distribuait l’électricité. Quand la production nationale – qui s’appuyait principalement sur le nucléaire – ne suffisait pas, aux heures de pointe, EDF négociait directement avec des compagnies étrangères, soit «l’EDF belge» ou «l’EDF espagnol». Si les prix du gaz ou du charbon augmentaient, les prix français pouvaient croître un peu, mais globalement ils restaient stables car ils étaient fixés sur le coût de fonctionnement du parc français.
Avec l’ouverture à la concurrence, plusieurs producteurs d’électricité sont apparus, comme Engie et Total, mais aussi de nombreux fournisseurs, c’est-à-dire de nouveaux opérateurs qui vendent de l’électricité. L’idée de la directive européenne de 1996, première étape de cette libéralisation, était d’impulser davantage de concurrence[1] entre les États membres afin de faire diminuer les prix. Un marché de gros a alors été créé, sur lequel s’échange de l’électricité toutes les heures. Ce sont les fournisseurs notamment, dont beaucoup ne produisent pas d’électricité, qui achètent cette électricité sur le marché pour la revendre à leurs clients. Comme l’électricité ne se stocke pas – si on en a trop, le prix devient négatif, et si on en n’a pas assez, le prix s’envole -, les prix y sont très volatils. Le 12 décembre 2022 à 8h, le prix du mégawattheure en France se négociait sur le marché à 750 euros, ce matin [13 janvier 2023], on était autour de 30 euros le mégawattheure.
Dans cette ouverture à la concurrence, la loi NOME a constitué une étape cruciale en 2010. De quoi s’agit-il ?
La loi NOME a été mise en place pour permettre aux fournisseurs alternatifs à EDF d’acheter de l’électricité nucléaire à un prix relativement bas et stable. Car EDF bénéficiait d’un avantage par rapport à tous les autres, car l’entreprise avait un parc nucléaire très performant avec des prix de revient relativement bas. Alors que ses concurrents achetaient sur le marché, où les prix étaient plus élevés à l’époque que le coût du nucléaire, donc ils ne pouvaient pas rivaliser avec EDF.
Ces fournisseurs ont obtenu par la loi un Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ARENH) : un quart de la production d’électricité nucléaire d’EDF a été mis à disposition de ses concurrents à un prix régulé, qui était et qui est toujours, de 42 euros le mégawattheure (MWh). En contrepartie de cet avantage, les fournisseurs doivent vendre de l’électricité à prix plus bas à leurs clients, obligatoirement des résidents français. Pour le reste de leurs besoins, ils sont obligés d’acheter le « complément marché », c’est-à-dire sur le marché de gros.
Comment expliquer aujourd’hui la flambée des prix de l’électricité ?
Il faut préciser « en 2022 ». Depuis début 2023, c’est moins vrai car les prix ont baissé. On observe deux causes. La principale, c’est l’augmentation du prix du gaz sur le marché international, suite à la guerre en Ukraine. Comme les Russes ont menacé les Européens de ne plus leur vendre de gaz, les prix se sont envolés. Mais pourquoi me diriez-vous le prix de l’électricité serait corrélé au prix du gaz ? Parce que sur un marché, le prix équilibre, pour n’importe quel type de produit, dépend du coût de la dernière unité dont on a besoin. Pour faire de l’électricité, si j’ai besoin de centrales à gaz pour satisfaire la demande, et que ce sont celles que j’emploie en dernier, il faut que je paie le coût de fonctionnement de ces centrales à gaz. Car elles ne peuvent être mises en marche que si le prix de vente dépasse le coût de fonctionnement, sinon ce n’est pas rentable. Autre règle du marché, le prix de l’électricité fixé par la dernière centrale détermine les autres prix sur le marché. Or, comme le prix du gaz a été multiplié par 10 en 2022, et qu’on en a eu besoin au niveau européen pour produire de l’électricité (20% de l’électricité européenne), alors l’envolée du prix du gaz a fait s’envoler le prix de l’électricité.
Deuxième raison de la hausse du coût de l’électricité en France : la faible production du parc nucléaire, qui nous a contraints à faire appel aux importations, notamment d’Allemagne. Et cette électricité, étant produite à partir de gaz ou du charbon, nous coute très cher.
La hausse du prix de l’électricité a-t-elle touché tout le monde de la même manière ?
Il existe en France deux catégories de prix. Pour les petits consommateurs (environ 2/3 des ménages et des petits artisans), on a laissé subsister un Tarif Réglementé de Vente (TRV), proposé par EDF et qui est fixé par les pouvoirs publics. Ce TRV suit normalement le coût de production français, mais il dépend aussi des prix de marché, simplement c’est le gouvernement qui le fixe. En 2022 ce tarif aurait dû augmenter de 35%, donc le gouvernement a bloqué la hausse à 4% en mettant en place un bouclier tarifaire. Et il a déjà annoncé qu’en février 2023, l’augmentation des prix sera plafonnée à 15%.
Les autres prix sont fixés par le marché, c’est ce qu’on appelle les contrats en offre de marché, davantage destinés aux entreprises. Les principaux, les contrats à prix fixes, sont négociés annuellement à un prix relativement stable, pour les PME, les boulangers ou encore les charcutiers. Le problème de ces professionnels, c’est qu’ils ont négocié en 2022 un contrat à prix fixe pour 2023. Or en 2022, les prix sur le marché de gros étaient très élevés (aux alentours de 250, 400 euros le MWh), donc leurs fournisseurs ont augmenté leurs tarifs en fonction. Mais début 2023, les prix de gros ont chuté, donc les boulangers et charcutiers se sont montrés sceptiques et ont réclamé des baisses de tarifs. Seulement les fournisseurs ont acheté cette électricité sur les marchés à terme en 2022, très chère, et ne peuvent donc pas la revendre au prix actuel. Par conséquent, suite à un débat entre l’Etat, fournisseurs et les clients, la poire a été coupée en deux : les fournisseurs vont prendre à leur charge une partie des surcoûts, et l’Etat va aider les entreprises en prenant en charge une partie du différentiel.
Pourquoi les prix ont-ils baissé sur le marché en 2023 ?
La baisse de la demande, de 10% environ, explique en partie cette diminution des prix. Finalement l’appel à la sobriété énergétique a porté ses fruits. Les ménages et les entreprises ont davantage fait attention à leurs consommations. Les températures très douces de cet hiver pèsent aussi dans la balance. Mais on peut parler également de sobriété subie, comme lorsque certaines entreprises ont arrêté de produire pour faire des économies d’électricité, allant parfois jusqu’à la faillite.
Aussi, le prix du gaz a chuté et le nucléaire est revenu sur le réseau avec des centrales davantage disponibles.
En juillet 2022, la Cour des Comptes a mis en cause ce marché de l’énergie libéralisé, qu’elle présente comme « ni lisible, ni pilotable ». Selon vous, quels ont été les effets positifs et négatifs de cette libéralisation du marché ?
Il y a eu plus d’effets négatifs que d’effets positifs. On a voulu mettre en place un marché, mais on a fait beaucoup d’exceptions à ce marché ; parce que certaines énergies, comme les renouvelables, n’étaient pas vendues au prix du marché, mais avec des prix fixés par l’administration ; une partie du nucléaire est vendue au prix de l’Arenh. Et comme il y a une très forte volatilité des prix, la concurrence que l’on avait espérée n’a pas trop fonctionné. Elle a marché au niveau de la fourniture, mais pas au niveau de la production.
Au départ, quand on a instauré l’Arenh pour les fournisseurs (1/4 de la production nucléaire est vendue à 42 euros le MWh, ndlr), l’idée était de leur permettre de construire des centrales pour pouvoir produire à leur tour. Mais la plupart se contente d’acheter pour revendre. Jusqu’à maintenant ils achetaient en gros pour vendre au détail, et ils se faisaient de la marge là-dessus. Aujourd’hui comme les prix de gros ont augmenté, ils ont du mal à acheter pour revendre moins cher, donc ils sont obligés de répercuter sur le prix de vente ces hausses. La question à se poser, c’est quelle est la valeur ajoutée de ces fournisseurs alternatifs ? Pourquoi EDF ne vend-il pas directement son électricité ?
Qu’est-ce qui pourrait rendre le système plus vertueux selon vous ?
Il y a deux attitudes face à ces effets négatifs : ceux qui sont en faveur d’un retour en arrière, ce que je pense peu réaliste, parce que cela signifierait remettre en cause les traités européens et les directives. Et ceux qui pensent qu’il faut améliorer le fonctionnement du marché, c’est-à-dire supprimer les effets pervers, et revenir davantage à des contrats à long terme, entre les producteurs et fournisseurs, ainsi qu’entre les fournisseurs et leurs clients. Mais ces contrats à long terme ne devraient pas suivre les prix du marché, trop volatils, comme c’est le cas aujourd’hui. Il faudrait revenir à un système où le prix payé par le consommateur soit davantage corrélé au coût de production de l’électricité française.
[1] Le Traité de Rome signé en 1957, à l’origine de la Communauté Économique Européenne (CEE), a institué l’abolition des monopoles, sauf dans certains cas exceptionnels, comme pour les réseaux. Il était inutile d’avoir deux réseaux ferrés en France ou deux entreprises de lignes à haute tension par exemple.
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