Qualifiée de 6ème extinction de masse, la biodiversité connaît une crise sans précédent, amplifiée par la densification urbaine. Dans la Métropole de Lyon, des chercheurs s’interrogent sur les aménagements possibles dans le domaine privé collectif. L’enjeu est de faire coexister les pratiques sociales des habitants et les besoins de la faune et de la flore. Pour y répondre, ils ont réalisé une opération à grande échelle de sciences participatives.
« Aucune enquête n’avait été faite sur une telle ampleur dans ce type d’habitat ! », s’enthousiasme Thomas Boutreux, doctorant en écologie urbaine et co-initiateur du projet « Collectifs ». Une initiative inédite qui a mobilisé en 2021 près de 1000 personnes (naturalistes, chercheurs et habitants) pour répertorier simultanément les plantes et les insectes présents sur 48 sites différents dans la Métropole de Lyon.
« Il nous fallait des données pour comparer la biodiversité en fonction du taux d’occupation des sols. Sans l’engament de tous ces acteurs, cette enquête n’aurait tout simplement pas été possible », explique l’écologue qui tire un bilan impressionnant : 1692 relevés de la macrofaune (insectes de taille moyenne), 658 échantillons d’insectes pollinisateurs et 768 carottes de sol réalisés. La flore a aussi fait partie des relevés enregistrés avec 925 espèces de plantes recensées dont une belle surprise… 526 espèces sauvages.
Propriétaire d’un appartement dans la commune de Saintes-Foy et initiateur de la venue du projet dans sa résidence, Olivier avoue que « le syndicat de copropriétaires met du glyphosate sur l’allée en béton pour éviter que les “mauvaises herbes“ ne repoussent. La pelouse est tondue à ras régulièrement, les haies sont composées d’une seule espèce végétale… La majorité des résidents se battent contre le vivant au lieu de le préserver. Quand vous apprenez que 80% des insectes ont déjà disparu en Europe, ça met un coup au moral. Alors on essaye d’agir à notre échelle ». Ce père de famille se désole que certains habitants aient une vision si négative du « sauvage » car jugé incontrôlable. L’écologue Thomas Boutreux confirme qu’il est difficile de faire évoluer les mentalités de tout le monde mais il veut rester positif : « Des ateliers botaniques ont été l’occasion de développer un rapport sensible et esthétique au vivant. »
« LES ATELIERS SONT AUSSI L’OPPORTUNITÉ DE SE RETROUVER ET DE CRÉER DES MOMENTS D’ÉCHANGE ENTRE VOISINS »
Avec l’aide d’associations naturalistes, le chercheur-animateur a organisé des ateliers d’impression cyanotypes solaires. Ce procédé photographique très simple a été souvent utilisé pour créer des planches botaniques d’une jolie couleur bleue. « Nous avons reproduit cette animation de notre côté avec les familles voisines car les enfants adorent ça », confirme Olivier. « Les ateliers sont aussi l’opportunité de se retrouver et de créer des moments d’échange entre voisins. Car rien n’est fait dans les résidences privées pour se rencontrer. Si nous n’avions pas réalisé un compost collectif et le pédibus (regroupement pour emmener à tour de rôle les enfants à pied à l’école NDLR) nous n’aurions même pas de moyens pour diffuser l’information et organiser les ateliers botaniques par exemple. ».
Co-aménager les espaces verts pour humains et non-humains
Pour Bleuenn Adam, chargée de projet biodiversité à l’association partenaire Arthropologia, les objectifs sont ambitieux : « Nous allons créer des groupes de travail dans les 48 résidences afin d’aménager des espaces de coexistence, favorables aux espèces sauvages et acceptables pour les résidents. » Thomas Boutreux renchérie : « Nous adoptons les principes de l’éducation populaire pour que les espaces végétalisés soient un commun pour les humains et les non-humains. C’est cela le but de notre enquête. » En septembre 2020, les chercheurs à l’initiative du projet avaient en effet appeler dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, à développer l’acceptabilité et la volonté des habitants de sauver le vivant. Ils militent ainsi pour « un apprentissage et une appropriation par la tête, le cœur et les mains », citant Johan Heinrich Pestalozzi l’un des pères fondateurs de l’éducation populaire au XVIIIème siècle.
Diminution de la tonte, zone d’herbe sèche, fauche tardive et aménagement de micro-habitats comme des tas de bois ou de pierre, les possibilités des aménagements préservant l’habitabilité des espèces sont nombreuses et faciles à mettre en place nous apprend Bleuenn Adam. L’ingénieure agronome a surtout l’expérience des parcs urbains et des espaces d’entreprise : « Ici le rapport au public est très différent. Dans mes expériences passées, tout était décidé en concertation avec le gestionnaire puis ensuite nous travaillions l’acceptabilité des riverains en posant des panneaux explicatifs par exemple. Là, tout se décide en concertation en amont. Les résidents décident des aménagements et pour cela il faut les former. » Thomas Boutreux met ainsi en pratique les principes de l’éducation populaire en demandant aux résidents propriétaires de formuler leurs besoins en formation. « Tout le monde n’a pas besoin de la même information et il ne faut pas que cela devienne rébarbatif comme à l’école où les cours sont programmés à l’avance. Là on fait du sur mesure. »
Olivier est heureux d’avoir convaincu une dizaine de foyers sur les quatre-vingt-dix que compte sa résidence à participer à l’appel à projet pour réaménager leurs espaces verts. Il raconte : « Il faut dire que l’aide financière pour la plantation des arbres proposée par la Métropole de Lyon a bien aidé. Une fois les premières réticences passées, le dernier obstacle à ne pas louper est celui du porte-monnaie. » La collectivité a débloqué une enveloppe de 5 millions d’euros pour verdir les parcs privés et propose de financer jusqu’à 50% du coût de l’opération de végétalisation. « On aura beau expliquer que la biodiversité n’a pas de prix, cela ne vaut pas pour tout le monde », commente Olivier. L’écolo commençait à fatiguer d’être si peu nombreux à faire bouger les choses au sein de sa résidence. Mais depuis peu, il peut compter sur un nouvel allié. Un hérisson a été aperçu entre les haies du parc résidentiel. Le conseil syndical a accepté de laisser un tas de bois mort pour l’abriter. Olivier est positif : « Le vivant revient. Il y a des chances d’espérer. »
A chaque espèce sa technique d’inventaire :
-Des imitations de fleurs pour les insectes pollinisateurs : plusieurs centaines d’abeilles sauvages différentes sont présentes rien qu’à Lyon. Pour les capturer, trois coupelles de couleurs accrochées à un piquet de bois sont placés à hauteur de végétation pendant 24 heures.
-Des carottes de sol pour la méso-faune : cette foule de millions d’organismes minuscules tels que les callemboles et les nématodes décomposent la matière organique et facilitent l’accès aux nutriments vitaux pour les plantes. Les carottes sont placées au-dessus d’un filtre pour ne garder que les individus les plus petits.
-Des pièges à ras le sol pour la macro-faune : préserver la diversité des insectes peuplant nos jardins est essentiel au bon fonctionnement du sol et des végétaux.
-Le métabarcoding pour identifier chaque espèce : il est difficile de déterminer l’espèce d’un insecte uniquement grâce à un microscope. L’ADN est extrait des individus prélevés et analysé en laboratoire.
Est-il paradoxal de tuer des insectes pour les sauvegarder ? « Les quelques dizaines d’insectes récupérés représentent une masse négligeable comparée aux milliers d’individus présents sur le secteur », répond le chercheur Thomas Boutreux.
Pour aller plus loin :
- Le site internet du projet Collectifs
- Participer aux animations de découverte de la biodiversité urbaine organisées par l’association Arthropologia
- Le soutien financier de la Métropole de Lyon
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