Avons-nous besoin des OGM pour nourrir le monde ?
Et si la question pouvait se résumer à cela ? Sans même chercher à savoir si les OGM sont bons ou mauvais, dangereux ou inoffensifs, ne pourrait-on pas déjà se demander si nous en avons réellement besoin ? Tour d’horizon pour tenter de répondre à cette question complexe.
Augmenter les rendements
Sur le site de la désormais célèbre compagnie Monsanto, on peut lire : « L’augmentation de la population mondiale et de la demande alimentaire va obliger l’agriculture à accroître sa production de 70 % d’ici 2050. […] Dans ce contexte, répondre à la demande alimentaire va obliger les agriculteurs du monde à lever le dilemme suivant : soit produire plus par unité de surface, soit étendre les surfaces cultivées. […] Les cultures OGM, en augmentant les rendements par hectare, peuvent ainsi contribuer à réduire la dégradation ou même la disparition des zones riches en biodiversité. »
Nous aurions donc besoin des OGM pour nourrir la population mondiale sans avoir à détruire d’avantage d’espaces naturels. Qu’en est-il de cet argument ?
Pour y répondre nous pouvons prendre le problème pas deux bouts : celui de la productivité et celui des espèces cultivées.
Commençons par la productivité. Selon les auteurs d’une étude de l’Union of Concerned Scientists (UCS, groupe indépendant américain de recherche), intitulée « Failure to yield » (« Échecs des rendements »),
« les performances des cultures génétiquement modifiées pour accroître le rendement sont modestes et ce malgré les efforts considérables mis en œuvre depuis vingt ans. »
En effet, les données fournies par le ministère de l’agriculture américain (où les OGM sont cultivés en bien plus grande quantité et depuis plus longtemps qu’en Europe : 64 milliards d’hectares contre moins d’un million d’hectares) montrent un gain moyen de 3 à 4 % dans les cultures de maïs entre 2004 et 2008 et quasi nul pour le soja.
En comparaison, nous pouvons regarder les résultats produits par l’agroforesterie1 sur la culture de céréales. Selon l’association française d’agroforesterie :
« L’expérimentation conduite par l’INRA sur un système blé-noyers à Restinclières (Hérault) a montré qu’une parcelle agroforestière de 100 hectares pouvait produire autant de biomasse (bois et produits agricoles) qu’une parcelle de 136 hectares où arbres et cultures auraient été séparés, soit un gain de 36 %. »
Ces chiffres le montrent, et nous le verrons plus loin à propos de la lutte contre la sécheresse : l’argument des rendements apparaît assez peu décisif.
Venons-en maintenant aux espèces cultivées. Pas moins de 80 % de la production OGM mondiale (9 % des cultures du globe) se répartit entre maïs et soja. Le reste des surfaces est essentiellement consacré au coton, au colza et, dans une moindre mesure, au riz, aux pommes de terre et à la betterave. Or, le maïs et le soja sont en très grande majorité consacrés à nourrir l’élevage et constituent une matière première très prisée de l’industrie (surtout le maïs) qui s’en sert pour fabriquer des plastiques, des emballages… Quant au coton et au colza, ils ne sont pas connus pour être la base de nos alimentations, du moins en Occident.
Alors qu’il est de plus en plus communément admis que si nous voulons nourrir une population toujours plus importante sans détruire les espaces naturels, il faut surtout manger moins de viande (30 % des surfaces cultivées sont aujourd’hui consacrées à l’élevage, or il faut 323 m2 pour produire un kilo de bœuf, contre 16 m2 pour du pain), il est assez curieux de vouloir augmenter les rendements de la nourriture d’élevage plutôt que ceux de la production de nourriture humaine…
Car si nous nous intéressons à l’alimentation humaine, de nombreuses études (notamment le rapport publié en mars 2011 par Olivier de Schutter, rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation) ont montré que nous sommes en mesure de multiplier les rendements de cultures vivrières au moins par deux grâce aux pratiques agroécologiques. Ceci alors que nous produisons déjà suffisamment de nourriture pour 7 milliards d’êtres humains comme le souligne un collectif de chercheurs du CIRAD et du CNRS : « L’équivalent de 4 972 calories par habitant est produit par jour en moyenne dans le monde sous forme de productions végétales, mais seule environ la moitié (2 468 calories par jour et par habitant en moyenne) arrive dans les assiettes des consommateurs du monde. » Le reste étant utilisé pour le bétail, les agro-carburants ou simplement gaspillé. Nourrir 9 milliards d’individus en 2050 paraît donc un objectif tout à fait atteignable.
Alors, à quoi nous servent ces fameux OGM ?
Pour lutter contre les parasites
On avance aussi l’argument de la lutte contre les espèces de toutes sortes qui envahissent les cultures et les mettent en péril. La même étude de l’Union of Concerned Scientists a montré que sur des terres infestées, donc propices à l’utilisation d’OGM, la production du maïs Bt2 s’est révélée supérieure de 7 à 12 % par rapport aux cultures sans OGM (contre un gain de 2,3 % sur des terres saines).
Pour autant, de nombreux travaux agronomiques (et notamment ceux de Claude et Lydia Bourguignon sur la santé du sol) montrent que les parasites se développent plus particulièrement et à plus grande vitesse dans les parcelles de monoculture pour deux raisons :
- La résistance immunitaire des plantes diminue sur des sols appauvris, et elles sont plus vulnérables dans un environnement à culture unique.
- Faire cohabiter une grande diversité de cultures sur des parcelles uniques comme le proposent l’agroécologie et la permaculture, réintroduire des haies favorisant la présence d’auxiliaires (insectes prédateurs des parasites), faire pousser des plantes sur une terre saine sont autant de moyens bien moins onéreux de se passer de pesticides, d’herbicides ou de fongicides sans avoir recours aux OGM.
Pour lutter contre la sécheresse
L’argument suivant est à destination des pays du Sud où les conditions climatiques imposeraient, là encore, d’utiliser des espèces génétiquement modifiées.
Mais à nouveau, la réalité ne confirme pas forcément cette vision des choses. L’étude du Rodale Institute publiée en 2012, étalée sur trente ans et portant sur des cultures de soja et de maïs, a mis en évidence que l’agriculture biologique était 30 % plus performante les années de sécheresse. Meilleure que les OGM « résistants à la sécheresse » qui améliorent (seulement) de 6 à 13 % les rendements classiques. Dans les pays arides, l’étude conduite par l’ONU sur 58 pays en développement a mis en évidence les très hautes performances des pratiques agroécologiques qui, en augmentant la quantité d’humus dans le sol, permettent une rétention d’eau beaucoup plus importante.
Alors, vraiment utiles ces OGM ?
En résumé, les OGM sont avant tout une réponse technologique et marchande à des problèmes qui peuvent être résolus par des approches agronomiques, scientifiques et naturelles, bien moins coûteuses pour les paysans et bien plus sûre pour notre santé et celle des écosystèmes. Soyons donc plus intelligents et plus curieux des fonctionnements de la nature avant d’être mercantiles !
Par Cyril Dion
Dessins : Julie Graux
1 L’agroforesterie désigne l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle agricole, en bordure ou en plein champ.
2 Les maïs Bt sont des variétés qui ont été modifiées génétiquement par l’ajout du gène leur conférant une résistance aux principaux insectes nuisibles du maïs, entre autres la pyrale du maïs.
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