Économie & Gouvernance et Mobilité

Entretien | Xavier de Mazenod : « Le confinement est une formation accélérée au télétravail »

Xavier de Mazenod (Laurent Rebours ©)

Avec les mesures de confinement prises par le gouvernement, de nombreux Français se sont mis au télétravail. Xavier de Mazenod, fondateur de Zevillage, un média en ligne pour « repenser et transformer le travail », nous éclaire sur la notion de télétravail, qu’il porte en France depuis une quinzaine d’années. Il appelle aussi à favoriser la « démobilité » pour réduire le temps de déplacement domicile-travail. Entretien.

Les mesures de confinement prises par le gouvernement amènent une partie de la population à télétravailler. Sommes-nous dans des conditions normales de télétravail ?

Non. Le télétravail se fait normalement sur la base du volontariat, sur un maximum de 3 jours par semaine pour ne pas causer de problèmes de rupture sociale et sur d’autres jours que le mercredi pour que ceux qui ont des enfants n’aient pas à s’en occuper. De plus, en cette période, le télétravail se fait forcément à la maison, alors qu’il pourrait se faire dans les transports mais aussi dans des tiers-lieux [NDLR : les espaces de coworking, actuellement fermés]. Il faut enfin rappeler qu’on télétravaille environ 1,2 jour par semaine en France. On pourrait pousser jusqu’à 3 jours sans que cela ne pose aucun problème. Mais en ce moment, le télétravail c’est tous les jours de la semaine. On cumule là toutes les difficultés. Si on a assez d’espace pour pouvoir s’isoler, cela peut aller. Mais c’est plus compliqué lorsqu’on est confiné dans un petit appartement.

Quelles conséquences le confinement produit-il sur le travail ?

Les gens multiplient actuellement les activités (télétravail, préparation des repas, jeux avec les enfants…), ils sont donc beaucoup moins productifs qu’en télétravail classique. Cela se serait sans doute mieux passé si les entreprises avaient commencé le télétravail depuis longtemps. Mais tout le monde est désormais prêt : il y a eu une formation accélérée au télétravail. Après le confinement, il n’y aura plus d’excuse pour mettre en place le télétravail à plus grande échelle.

Vous expliquez que le télétravail repose sur le volontariat. Est-ce précisé dans la loi ?

Il y a deux grands principes en télétravail qui reposent notamment sur un accord interprofessionnel de 2002. Celui-ci a été adapté en droit français en 2005. Il a donné lieu à deux lois en mars 2012 : une pour le secteur public, une pour le secteur privé. Les deux principes sont le volontariat et la réversibilité. Vous pouvez par exemple vous rétractez au bout d’un ou deux mois si cela ne vous plaît pas.

Êtes-vous favorable à ce que la loi oblige les employeurs à fournir à leurs salariés les moyens nécessaires au télétravail ?

C’était autrefois prévu par la loi. Mais ce n’est plus obligatoire depuis les ordonnances Macron de 2017 [NDLR : loi dite Pénicaud du 22 septembre 2017]. Il faut maintenant un accord collectif ou une charte interne à l’entreprise. Et c’est une bonne chose. Si demain un salarié va voir son DRH [NDLR : Directeur des ressources humaines] ou son manager, et qu’il demande à télétravailler, je pense qu’on trouvera une solution. L’employeur doit donner les moyens à son salarié de télétravailler s’il le demande.

Êtes-vous favorable à ce que les organismes socio-professionnels fournissent aux chômeurs et aux auto-entrepreneurs les moyens nécessaires au  télétravail ?

En France, un télétravailleur est forcément salarié. Les lois sur le télétravail ont été faites pour protéger les salariés. La plupart des auto-entrepreneurs ont un ordinateur parce que c’est indispensable à leur métier. Beaucoup travaillent en autonomie, chez eux ou dans des tiers-lieux. La bonne solution, c’est de laisser les gens libres, de les laisser faire ce qu’ils ont envie de faire : télétravailler s’ils ont envie ou pas.

Xavier de Mazenod (Stéphane Dévé ©)
Xavier de Mazenod (Stéphane Dévé ©)

Le rapport des Français au télétravail va-t-il se modifier ?

Depuis début avril, il ne se passe pas une seule journée sans un sondage sur le sujet. Un coup : « 76% des gens regrettent leur bureau ». La semaine dernière, c’était : « 62% des gens ont envie de télétravailler après la crise ». On a des informations très contradictoires. Je pense que l’on peut distinguer deux directions. D’un côté, des gens qui vont saturer et des entreprises se dire que c’est moins productif. D’un autre côté, d’autres personnes qui vont y prendre goût et des entreprises qui vont penser que le télétravail peut fonctionner. Des vocations vont sans doute se créer.

Quel est votre regard sur la durée légale de travail ?

En France, elle est bien. Mais il existe aussi d’autres beaux exemples à l’étranger : par exemple, 4 journées de 7h de travail [NDLR : un syndicat de travailleurs métallurgistes allemands a obtenu en 2018 une semaine de 28h dans la région de Bade-Wurtemberg]. Pourquoi pas ? Mais je pense qu’il ne faut pas recommencer comme avec les 35h, avec la manière française : autoritaire, bureaucratique, technocratique. On sait très bien que la productivité des gens augmente. Donc on observe qu’on n’a plus besoin de travailler autant qu’il y a 50 ans. 

Mais on pourrait montrer la voie…

Montrer la voie et laisser de l’autonomie aux gens. Le télétravail permet d’ailleurs de repenser le temps de travail. Car si vous vous faites des trajets de 2h par jour pour aller au bureau, c’est autant de temps libre perdu. A Zevillage, nous militons justement pour la « démobilité » On souhaite une mobilité choisie et non subie. Cela pose également la question du bilan carbone des déplacements pour aller au travail. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe avec le « Grand Paris » : on repousse les limites de la métropole toujours plus loin, ce qui éloigne les gens de leur lieu de travail. On a le même phénomène dans toutes les métropoles. S’il y a une vertu à la crise sanitaire actuelle, c’est qu’elle nous permet de nous poser ce genre de questions.

Vous évoquez le bilan carbone des déplacements. Qu’en est-il de celui de la numérisation du travail ?

Vous allez effectivement consommer de l’énergie via les serveurs en télétravaillant. Ce n’est pas négligeable. Mais il y a des progrès à faire dans l’optimisation de la consommation numérique, des mails et des réseaux. On pourrait par exemple privilégier l’utilisation de serveurs locaux plutôt que situés à l’autre bout de la planète. Néanmoins, je pense que le bilan carbone du numérique est plus faible que celui des transports.

Avez-vous des livres, des films et des séries à conseiller ?

Pour la distraction : Le Bureau des Légendes. Et sinon : Le Confinement expliqué à mon boss, dont Ze Village a participé à la rédaction. Pour ce livre, les droits d’auteurs sont reversés à la Fondation de France.

Propos recueillis par Marius Matty


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Le 23 avril 2020
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Louise S. le 25/04/2020 à 09:50

"En France, un télétravailleur est forcément salarié. Les lois sur le télétravail ont été faites pour protéger les salariés. La plupart des auto-entrepreneurs ont un ordinateur parce que c’est indispensable à leur métier."
NON ! En France comme ailleurs, le télétravail en tant qu'en auto-entrepreneur est souvent imposé par des entreprises qui ne veulent pas s'embêter avec des contrats. Ce ne sont donc pas des salariés mais bien des indépendants, contraints de faire parfois 8h de travail par jour, avec forcément aucune poses, aucun jours fériés, et pas de congés payés (et pas de mutuelles de l'entreprise). Ces gens-là sont totalement oubliés par tout le monde, et pourtant il en existe de nombreux alors que c'est aussi illégal de "travailler" seulement pour une entreprise en tant qu'auto-entrepreneur, mais cela se fait beaucoup et cela arrange les entreprises, par celui qui travaille, qui paie des cotisations.
Tout cela est déjoué aussi souvent grâce à des entreprises intermédiaires, souvent étrangères, qui servent de relais entre le travailleur indépendant (que l'on pourrait qualifié d'esclave moderne) et l'entreprise bien française dans certains cas. Cherchez du côté des entreprises de jeux vidéos... vous trouverez...