Mobilité

Voiture du futur : peut-on rouler au vert ?

Par Alicia Blancher, le 8 novembre 2022

© Pictos : Shutterstock/Panuwach

Les transports représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Union européenne, dont 54 % sont imputables à la voiture individuelle. Pour remédier à cette dépendance aux énergies fossiles et aux pollutions engendrées, l’UE va interdire la vente des véhicules neufs thermiques en 2035. Une solution qui décarbonera en partie nos déplacements, mais qui élude d’autres leviers primordiaux pour « verdir » notre mobilité à quatre roues, comme la sobriété.

Silencieuse, discrète, inodore… La voiture électrique est souvent présentée comme l’avenir des véhicules motorisés individuels. Plus écologique sur le papier que la voiture thermique, car moins émettrice de GES à l’usage, elle peine néanmoins à s’installer dans le paysage automobile. Son coût à l’achat, l’autonomie des batteries, et le manque de bornes électriques [1] freinent encore son succès. Depuis début 2022, un peu plus de 70 000 voitures électriques se sont vendues en France, contre environ 100 000 véhicules diesel, selon les données du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA).

Les détracteurs de la voiture électrique pointent aussi du doigt les impacts environnementaux de sa fabrication, notamment ceux liés à sa batterie, gourmande en métaux rares : lithium, cobalt, manganèse, nickel… Leurs extraction, raffinage et transport entraînent de nombreuses externalités négatives dans les territoires où ils sont exploités, comme en Amérique du Sud. Sans compter qu’une grande partie des batteries est aujourd’hui fabriquée en Chine, pays qui tire son énergie principalement des centrales à charbon.

« Sur l’ensemble du cycle de vie d’une voiture en France, les émissions d’un modèle électrique sont trois fois moins élevées par rapport à un modèle thermique »

Pour Aurélien Bigo, auteur d’une thèse sur les transports face aux défis de la transition énergétique et de l’ouvrage Voitures — Fake or not ? (2023, éditions Tana), les émissions de GES liées à la fabrication d’un véhicule électrique sont largement compensées par les émissions liées à son usage. « Sur l’ensemble du cycle de vie d’une voiture en France, les émissions d’un modèle électrique sont trois fois moins élevées par rapport à un modèle thermique », souligne le chercheur associé à la chaire Énergie et prospérité de l’Institut Louis Bachelier. Le coût énergétique de la fabrication du véhicule électrique serait compensé dès 50 000 à 70 000 kilomètres parcourus. Ce chiffre peut bien-sûr varier en fonction du lieu de production ou encore de la taille du véhicule. Plus la voiture est volumineuse, plus la batterie est lourde et riche en métaux. C’est pourquoi les petits modèles sont préconisés pour les trajets du quotidien, qui représentent la majeure partie de nos déplacements, tandis que des alternatives à la voiture serviraient pour les trajets de plus longue distance, qui nécessiteraient sinon une multiplication de la taille de la batterie du véhicule. De plus, il est fort probable que les départs en vacances simultanés de millions de Français l’été compliqueraient la recharge des batteries, dont les bornes seraient alors prises d’assaut.

Nécessaire sobriété

 Si l’interdiction des véhicules neufs thermiques à l’horizon 2035 est un « bon signal » d’après Aurélien Bigo, la mesure reste « insuffisante » pour répondre à nos objectifs climatiques. Tout d’abord, l’électrification du parc automobile en France [3] , soit quarante millions de véhicules environ, entraînera une hausse de la consommation d’électricité d’environ 100 térawattheures par an, selon l’ingénieur – la consommation annuelle est actuellement de 470 térawattheures. Une augmentation qui ne mettra pas en péril la demande d’électricité, selon les derniers scénarios du Réseau de transport d’électricité [4] , mais qui est significative. Pour le chercheur, « l’usage de la voiture électrique doit être combiné à d’autres modes de transports au quotidien, comme le vélo ou les transports en commun en ville, mais aussi le covoiturage ou l’autopartage dans les zones peu denses, où il y a moins d’alternatives à la voiture ». Le mot d’ordre : sobriété.

En finir avec l’autosolisme

Les trajets courts effectués en covoiturage ont largement augmenté ces derniers mois en France. Le Registre de preuve de covoiturage (RPC) [5] a recensé 434 169 trajets en mai 2022, soit quatre fois plus qu’en mai 2021 (105 627). Ces augmentations semblent se corréler avec la hausse récente des prix du carburant. Pour Emmanuelle Fourmil, de l’association éhop, qui encourage la fin de l’« autosolisme » en Bretagne en collaborant avec les entreprises et les collectivités, le levier économique ne permet cependant pas de pérenniser la pratique du covoiturage. « Dès que les prix reviennent à la normale, les automobilistes reprennent leurs vieilles habitudes », relate la chargée de communication.

Tugdual Le Cocq a changé sa routine il y a deux ans. Chaque lundi matin, à 8 h 25, ce trentenaire dépose ses deux filles à l’école municipale d’Acigné, près de Rennes, puis retrouve son collègue Édouard Lecalier sur le parking. « Pile à l’heure ce matin ! » charrie ce dernier en prenant place à l’avant du véhicule. Quelques kilomètres plus loin, Carole Clenet grimpe à son tour dans la voiture. Direction La Courrouze, nouveau quartier de la capitale bretonne. Ces trois salariés du groupe Legendre – qui a participé à un défi d’éhop pour faire tester le covoiturage à ses employés en avril dernier – partagent leur trajet une à trois fois par semaine, sur 22 kilomètres, pour rejoindre ensemble le siège social. « Une évidence d’un point de vue environnemental » pour Tugdual, dont les lunettes rectangulaires contrastent avec sa veste rouge à l’effigie des Vieilles Charrues.

Ce promoteur des mobilités durables – qui tient à être le chauffeur car son véhicule de fonction est électrique – fait partie d’un comité pour promouvoir le covoiturage au sein de son entreprise. Dernier accomplissement : l’installation d’une grande carte à l’accueil sur laquelle les employés peuvent indiquer leur lieu de vie à l’aide d’une pastille afin d’encourager la mutualisation des trajets. Sur quatre cents salariés, de nombreux kilomètres pourraient ainsi être évités. Voies et parkings réservés aux covoitureurs, entrée en vigueur du forfait mobilités durables, qui rembourse en partie les trajets réalisés en covoiturage, réseaux d’usagers interentreprises… Pour l’association éhop, il est crucial de « rendre la pratique du covoiturage pragmatique » et de mettre en place diverses mesures incitatives, aussi bien au niveau local que national.

Autopartage : une évidence ?

Pour des raisons économiques et environnementales, certains ne partagent pas seulement leurs trajets, mais aussi leur voiture. Le concept s’est développé principalement en milieu urbain, avec la société coopérative Citiz, partie du constat qu’une voiture restait sur une place de stationnement 97 % du temps. Le principe est simple : les usagers peuvent louer ponctuellement une des voitures, souvent électriques, mises à disposition dans des stations disséminées dans la ville, et réservables via une application. L’entreprise, implantée dans 160 communes françaises, compte aujourd’hui 1 700 véhicules dans sa flotte et 60 000 utilisateurs.

©CitizAlpesLoire / Vjuraszek-

Si les citadins peuvent se contenter d’une utilisation occasionnelle de la voiture, en se déplaçant également à pied, à vélo ou en transports en commun, la question reste plus épineuse en milieu rural. Depuis trois ans, Citiz Alpes-Loire expérimente son service d’autopartage dans des territoires moins denses. « Il n’est pas question ici d’abandonner complètement la voiture, précise d’emblée Jean Clot, responsable de la communication. La pratique peut, par exemple, être bien adaptée à la situation d’un couple qui possède une voiture pour deux, et complète ses besoins grâce à l’autopartage. » C’est ce que pratique Quentin Bérard. Cet informaticien de 33 ans utilisait Citiz lorsqu’il vivait dans l’agglomération de Grenoble ; il a décidé de poursuivre l’expérience lorsqu’il a déménagé il y a un an à Crêts-en-Belledonne, commune de 3 362 habitants située à une cinquantaine de kilomètres de la métropole iséroise. En télétravail trois jours par semaine, et n’ayant besoin que ponctuellement d’une voiture le week-end, ce Grenoblois d’origine a finalement acheté une voiture… pour la placer dans la flotte Citiz [6]. Cela est plus intéressant économiquement lorsque l’usager emprunte régulièrement le véhicule. « Cela m’embêtait d’acheter une voiture à temps plein, pour l’utiliser à temps partiel », assure Quentin Bérard. Citiz prend en charge l’entretien, les réparations, l’assurance et rembourse 25 % des frais kilométriques au propriétaire.

Côté organisation, l’informaticien doit réserver sa voiture, comme tout adhérent. Seul bémol, sa voiture est placée dans une station située à une dizaine kilomètres de son logement, qu’il peut rejoindre par le bus. Ce qui demande « pas mal d’organisation » : « J’ai toujours pu me rendre où je souhaitais aller, mais il faut un peu de bonne volonté ; il m’est arrivé plus d’une fois de remonter chez moi en stop. » Quentin Bérard sera papa l’année prochaine. Devenu ambassadeur de Citiz dans sa commune, il est actuellement en pourparlers avec la mairie afin d’y installer une station avec deux voitures. « Cela rassure les usagers, dans le cas où une voiture est réservée », justifie le trentenaire.

« La voiture du futur, ce n’est pas la voiture volante »

Si l’autopartage est souvent présenté comme l’une des solutions pour gagner en sobriété dans le domaine des transports, la pratique se met difficilement en place en milieu rural. Seules 2 % des communes de moins de 50 000 habitants disposent de ce service, tandis que les communes de plus de 250 000 habitants en disposent toutes. Nicolas Le Douarec, créateur de deux sociétés d’autopartage à Paris, qui vit désormais près de Rennes, peut en témoigner. « J’ai voulu tester avec mes voisins, car on a deux voitures par foyer, donc ce serait un peu une évidence. Cela fait trois ans que j’en parle, en vain. On arrive bien à partager nos trajets, mais l’idée de se séparer de sa voiture, c’est compliqué », regrette-t-il.

Selon l’ancien ingénieur, la priorité n’est pas de réduire l’usage de la voiture en milieu rural, « où ce n’est pas à la portée de tout le monde », mais de revoir le modèle de la voiture que l’on connaît aujourd’hui. Depuis 2021, ce consultant indépendant accompagne l’Ademe à créer une filière d’offre de véhicules intermédiaires, entre le vélo et la Clio, pour les territoires peu denses : l’eXtrême Défi. « On a des engins capables de faire des trajets de 700 kilomètres qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, avec cinq places, pour faire en moyenne 30 kilomètres à 45 kilomètres-heure environ par jour, c’est absurde, s’insurge Nicolas Le Douarec. On n’a pas besoin d’une voiture couteau suisse au quotidien. »

« Une voiture avec un pédalier, très légère, d’une centaine de kilos, qui roule à 45 kilomètres-heure, c’est cela la voiture du futur »

De la petite voiture électrique, de type Ami de Citroën, en passant par le quadricycle, jusqu’au vélo couché… quarante-trois concepts de véhicules intermédiaires sont en développement dans le cadre de l’eXtrême Défi. Ces modèles atypiques seront rendus publics fin octobre 2022, puis prototypés et expérimentés dans divers territoires, qui deviendront partenaires afin d’identifier des bêtatesteurs. « La voiture du futur, ce n’est pas la voiture volante. Une voiture avec un pédalier, très légère, d’une centaine de kilos, qui roule à 45 kilomètres-heure, c’est cela la voiture du futur », tranche Nicolas Le Douarec.

Nicolas Le Douarec aux commandes de son XYZ 2seater, tricycle biplace modulaire. ©La Fabrique des mobilités

À impulsion humaine ou électrique, ces véhicules seront aussi une réponse aux enjeux actuels de la voiture électrique, selon Aurélien Bigo, qui a participé à l’eXtrême Défi à ses débuts. « Avec des batteries moins capacitaires, le coût énergétique et environnemental de leur fabrication sera moindre. Plus légers et plus simples, ils seront aussi davantage accessibles financièrement à l’achat. »

Comme son nom l’indique, le PedaloCab se conduit même dans l’eau  ©PedaloCab

Notes :
1. La France comptait fin avril 2022 60 000 points de recharge selon le recensement réalisé par l’Avere, soit 1 borne pour 15 véhicules électriques ou hybrides en circulation aujourd’hui en France.
2. Aurélien Bigo, « Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement », thèse de doctorat en économie, gestion, sciences sociales, École doctorale de l’Institut polytechnique de Paris, 2020.
3. Si les véhicules thermiques sont interdits à la vente en 2035, l’ensemble du parc devrait être complètement électrifié vers 2050 si l’on considère que la durée de vie moyenne d’une voiture est de quinze ans environ.
4. En réponse à une demande du gouvernement, RTE a lancé en 2019 une étude sur l’évolution du système électrique, « Futurs énergétiques 2050 », proposant différents scénarios pour un mix énergétique décarboné, entre renouvelables et nucléaire.
5. Porté par le ministère chargé des Transports, ce registre, qui s’appuie sur les données de vingt opérateurs, a pour but d’aider les territoires à inciter le covoiturage courte distance.
6. Environ 5 % des véhicules Citiz ont été achetés par des particuliers.


En chiffres

• Environ 1 % des voitures circulant sur le sol français sont électriques.

• Pour des distances inférieures à 5 kilomètres, soit 15 à 20 minutes à vélo, la voiture représente encore 60 % des déplacements domicile-travail.

• En Europe, pour les déplacements journaliers domicile-travail, le taux d’occupation d’un véhicule (nombre de passagers qui empruntent un véhicule lors d’un déplacement) est de 1,1 à 1,2 personne par voiture.

• L’utilisation d’une voiture coûte en moyenne 6 000 €/an vs 550 €/an pour un vélo [coût très variable selon le modèle du vélo, N.D.L.R.]. Quand je parcours 1 km, j’émets en gCO2e


POUR ALLER PLUS LOIN

• « Atlas des mobilités. Faits et chiffres sur nos mobilités en France et en Europe », Heinrich Böll Stiftung, 2022.

xd.ademe.fr

Voitures — Fake or not ?, Aurélien Bigo, éditions Tana, 2023


Un article à retrouver dans notre K64, consacré aux énergies de demain, disponible ici.

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