Oasis

Un tour d’Europe de communautés autonomes

Par Simon Renou, le 14 avril 2022

L’équipe d’EUtopia a rencontré six communautés dans six pays européens.

Du Danemark à l’Espagne, de Notre-Dame-des-Landes en France à Biofalu Máriahalom en Hongrie, quatre jeunes Français ont parcouru les quatre coins de l’Europe à la rencontre de six communautés autonomes. Composée d’une socio-anthropologue, d’un psychologue du travail, d’un artiste sonore et d’une journaliste spécialisée en écologie, l’équipe a réalisé une série de podcast originale : EUtopia.

Est-il possible pour une communauté de s’organiser en autogestion et de faire système ? Quelle économie choisir pour sortir de l’impasse écologique et sociale ? Comment produire sans polluer dans un monde en voie de désertification ? Telles sont les questions qui ont motivées un groupe de jeunes amis poitevins à travailler ensemble. « Je souhaitais aller plus loin que la politique des petits pas, témoigne Hildegard Leloué, fraîchement journaliste et à l’initiative du projet. C’est naturellement que j’en suis venue à m’intéresser aux communautés autonomes. »

« Nous avons répertorié des collectifs qui se donnent les moyens de vivre en respect avec leurs valeurs basées sur le commun, développe-t-elle. Loin d’une vision idéaliste, notre objectif a été de les expérimenter sur le terrain et de présenter les bonnes comme les mauvaises pratiques. » La journaliste voit la recherche d’autonomie comme un mouvement de fond, un phénomène d’ampleur internationale. Elle cite le podcast La voie des oasis d’Alexandre Sattler et 2030 glorieuses de Julien Vidal qui décryptent des projets d’éco lieux dans l’hexagone. « Comment pouvions nous apporter notre part à tout ce qui avait déjà été dit sur le sujet ? », s’interroge-t-elle.

Les créateurs à l’origine de la série de podcast : Justine Robin, Hildegard Leloué, Corentin Ribeiro et Rémi Augais (de gauche à droite).

Tant du point de vue de la psychologie du travail, que de l’art, de l’écologie et même de l’anthropologie, la fine équipe composée de spécialistes aux disciplines complémentaires a choisi d’étudier le fonctionnement des communautés par une approche globale. Habitat, énergie, alimentation, économie, culture et politique, chaque épisode aborde un thème différent au travers de reportages enrichis d’entretiens de chercheurs et de chroniques originales.

« La chronique sensorielle de l’artiste Rémi Augais a surement participé à convaincre les membres du jury de l’agence Europod de financer notre projet. Grâce à elle, nous avons pu accomplir le voyage sans jamais prendre l’avion», explique Hildegard Leloué. « Mon objectif était de finir les podcasts sur une touche poétique et positive après le flot de connaissance que nous apporte chaque intervenant », ajoute l’artiste sonore.

Des bâtisses expérimentales 

Sur les sentiers enneigés de Hongrie, le premier épisode nous décrit des constructions hétéroclites, parfois non finies, parfois grandioses. L’équipe de podcasteurs s’est intéressée à la communauté de Biofalu Máriahalom, à deux heures de Budapest. Géza son fondateur, y a planté 40 000 arbres en vingt ans et utilise leurs bois pour ses constructions. Faisant la part belle aux matériaux naturels, il utilise de la paille et de l’argile mais aussi des rebus industriels qu’il collecte dans l’usine Suzuki voisine, comme des filtres à air utilisés pour l’isolation des murs.

La Maison Champignon de Biofalu Máriahalom n’a jamais été achevée. © Hildegard Leloué

Géza décrit son travail comme « quelque chose d’organique et de ludique. Je prends plaisir à expérimenter, justifie-t-il. Je n’aime pas le travail de finition, je n’aime pas me projeter dans l’utilisation future d’une construction. Les détails, je les laisse aux autres». Rendre les architectures permissives, c’est-à-dire ne pas assigner aux espaces une fonction spécifique, c’est le thème de l’entretien qui suit le reportage. L’architecte Maryse Quinton y défend une vision de l’habitat créée par les habitants eux-mêmes. Cela permettrait de libérer l’imagination vers des espaces de nouveaux espaces de socialisation.

C’est aussi l’idée développée dans la chronique de l’anthropologue Justine Robin. Elle dénonce que trop souvent « l’architecture va définir la vie sociale des individus ». Pour elle, c’est l’inverse. « La yourte est très en vogue actuellement. C’est un habitat d’hiver créé par des peuples nomades d’Asie centrale. L’été il y fait trop chaud, argumente-t-elle. Les habitants choisissent donc ces habitations pour défendre des valeurs et des pratiques sociales qui lui sont associés. Vivre en yourte permet d’entendre la nature à l’extérieur, de sortir plus souvent l’été et de se regrouper dans une pièce sans cloison l’hiver. »

Low tech locale

Dans l’épisode 3, les quatre comparses nous emmène vers la région aride d’Almeria, en Andalousie. Vingt à trente personnes réparties dans quatre maisons principales habitent l’écovillage de Sunseed Desert Technology. La communauté a été créée dans les années 1980 dans le but de reforester les lieux et d’y développer des technologies appropriées. « Pour moi la technologie appropriée signifie utiliser les ressources disponibles et créer les usages les plus cohérents avec les conditions naturelles qui t’entourent », définit Lara, habitante du lieu. Machine à laver à pédale, séchoirs et fours solaires sont évidemment de la partie. Le système d’eau est lui aussi chauffé par des panneaux solaires thermiques.

La communauté de Sunseed Desert Technology a recours à l’énergie solaire pour s’alimenter en électricité et en eau chaude. © Hildegard Leloué

«Pour cuisiner, nous utilisons aussi du méthane, ajoute Quetzal, coordinateur technique de Sunseed. Pour le produire, nous avons fabriqué un biodigesteur en matériaux de récupération. Nous y plaçons nos déchets organiques et des bactéries les digèrent et produisent du méthane que nous filtrons et récupérons dans un bidon issu de récup d’un gros pneu de tracteur. C’est une technologie appropriée car elle correspond à notre mode de vie végétarien. Le biodigesteur produit aussi un engrais liquide que nous utilisons ensuite dans le jardin. »

Pérenniser les savoir-faire 

Les habitants travaillent chaque jour entre 8h30 et 18h. Une grande part de l’épisode est d’ailleurs consacrée à l’organisation des tâches de subsistance. Corentin Ribeiro, ergonome et psychologue du travail, a consacré une chronique sur la gestion des ressources humaines, notamment, la transmission des savoirs. Santos est le plus ancien membre de la communauté. Responsable du nettoyage de l’Acéquia, la rivière qui alimente le village en eau, il témoigne « d’une activité porteuse de sens », il se sent « utile à la communauté. Mais celui qui veille nuit et jour au bon écoulement de l’eau, qu’il pleuve ou qu’il vente, peut parfois ressentir la fatigue d’une charge de travail essentielle au village ».

La communauté de Sunseed Desert Technology est située en plein désert andalou et utilise un cuiseur solaire. © Corentin Ribeiro

Le spécialiste du travail Corentin Ribeiro explique que « la transmission des compétences est souvent jugée comme allant de soi » mais que les ergonomes savent qu’il n’en est rien. Santos reconnait à l’oreille si la pompe qui approvisionne les maisons en eau a un problème. Il sait aussi quel barrage actionner en fonction de la météo du jour. L’apprentissage est long et l’écovillage entre justement dans une période de transition pour choisir des habitants qui resteraient plus longtemps afin de pérenniser les savoir-faire développés durant ces trente-cinq dernières années.

Assemblées populaires

Le « burn-out » militant est un phénomène redondant. Au sein du quartier autoproclamé État libre et indépendant de Christiana, au cœur de la capitale danoise de Copenhague, l’équipe d’EUtopia a analysé le système de gouvernance par consensus. Neuf cents personnes travaillent et vivent sur environ trente-cinq hectares de nature et de bâtiments à l’architecture insolite. D’inspiration anarchiste, la politique se fait au sein d’assemblées populaires. De grand meetings sont organisés lorsque les décisions concernent l’ensemble de la communauté. Sinon, seulement les habitants concernés sont conviés. Le consensus est trouvé lorsqu’aucun participant n’est en désaccord total avec les décisions proposées.

Quartier libre et indépendant autoproclamé, la communauté de Christiania pratique la prise de décision par consensus. © Hildegard Leloué

« Christiana est la communauté qui m’a le plus impressionnée car elle montre qu’une alternative à nos démocraties représentatives est possible», s’enthousiasme Corentin Ribeiro. Mais il fait remarquer que ce mode de décision est très chronophage. Les réunions sont omniprésentes dans le quotidien des christianites. Elles se font plusieurs fois par semaine, le soir après le travail et finissent souvent après 22h. Il cite ainsi Kirsten, une des fondatrices du quartier libertaire. Elle est tout à la foi guide touristique, élue du parti christianiste et membre du bureau d’information et de contact. Le psychologue fait remarquer que si l’ensemble des membres de la communauté adulte ne participe pas aux réunions, « la génération à l’origine du projet porte souvent ce mode de gouvernance sur les épaules quitte à ressentir une fatigue professionnelle ».

Le chemin vers l’autosuffisance

La série de podcast regorge de modèle d’organisations communautaires. « Les mentalités et les lois varient selon les pays, constate Rémi Augais. Ce qui a été rendu possible dans la communauté de Damanhur dans les Alpes italiennes ne le serait pas forcément en France. La place accordée à la spiritualité, le changement de patronyme des membres ou les constructions de temples géants par exemple, pourrait être jugés à tort ou à raison comme “sectaire“. Le statut juridique flou a aussi une importance dans l’évolution de la fédération et cela aurait forcément été différent chez nous. »

Des statues colossales jalonnent les sentiers de la communauté de Damanhur dans Alpes italiennes. © Corentin Ribeiro

Hildegard Leloué conclut que « dans toutes les communautés que nous avons visitées, l’auto-suffisance était davantage perçue comme un chemin plutôt que comme un objectif absolu. Toutes étaient conscientes que l’autonomie parfaite est impossible à atteindre, qu’il y a toujours un lien de dépendance à quelqu’un ou quelque chose. L’utopie parfaite n’existe pas à mes yeux, mais il existe des modèles qui s’en approchent de façon très pertinente et intéressante.


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© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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