Agroécologie et Économie & Gouvernance

Toutes les cultures peuvent
se passer de glyphosate



L’Assemblée nationale a tranché la question du glyphosate fin mai 2018 : son interdiction en France d’ici 2021 ne sera pas inscrite dans la loi. Si l’Hexagone est à ce jour le plus grand consommateur de pesticides de toute l’Europe, certains agriculteurs, comme Dominique Brunet, défendent des alternatives viables à l’agriculture intensive. Le cofondateur du Réseau des agroécologistes sans frontière enseigne ses techniques sur son exploitation de la Vienne mais aussi à l’international.

Arbres fruitiers, céréales, prairies, agneaux, chevaux et vaches… Comme un équilibre savamment pensé, la ferme agroécologique de Dominique Brunet regorge de diversité. En favorisant l’auto-nutrition naturelle, jamais ce producteur de Pleumartin, en Poitou-Charentes, n’a utilisé de glyphosate ni aucun autre produit chimique de synthèse – également appelés phytosanitaires – en trente-deux ans d’exploitation. Et ce, avant même que le label Agriculture Biologique ne voie le jour. « C’était comme une évidence : soit je m’installais en agriculture bio, soit je ne m’installais pas, se souvient le paysan de 62 ans. Pour moi, il n’existe aucun sol qui ne puisse pas être converti à la bio. »

Très tôt, Dominique comprend la multiplicité des pratiques agraires. À 22 ans, avec un bac spécialisé et un BTS en productions animales en poche, il part en Côte d’Ivoire, où il est embauché comme technicien agricole en 1970. La prise de conscience est immédiate : dans ce pays pauvre, trois personnes sur quatre vivent du travail de la terre. Une activité traditionnelle qui ne repose pourtant ni sur la mécanisation à outrance ni sur l’usage d’intrants chimiques artificiels comme on le lui avait enseigné. « Autre chose est possible », comprend alors le jeune homme qui, finalement, consacrera sa vie à l’agriculture sans jamais employer d’intrants chimiques.

De retour au pays quatre ans plus tard, ce petit-fils d’agriculteurs multiplie les stages dans des fermes biologiques. Dominique apprend à confectionner son purin à base d’orties pour remplacer l’insecticide. Il comprend comment élever des animaux sans leur administrer d’antiparasitaires chimiques. Avec leur fumier, il peut produire un engrais naturel. « Tout repose sur la matière organique, c’est elle qui nourrit le sol. Et inversement. » Curieux, Dominique découvre la richesse de ce que l’environnement peut lui offrir.

De la bio à l’agroécologie

En 1986, Dominique Brunet reprend la ferme de ses grands-parents qui, eux-mêmes avant lui, avaient refusé d’avoir recours aux phytosanitaires. Au lieu-dit de Languille, dans la Vienne, sur les terres où il a passé son enfance, le trentenaire décide d’aller plus loin. Il convertit immédiatement ses 50 hectares à l’agroécologie, une pratique agricole différente qui inclut des principes écologiques, comme le respect et l’influence des écosystèmes, la fertilisation naturelle des sols, l’économie d’eau et d’énergie… « Pour moi, ça signifie une ferme avec des cultures, de l’élevage, un peu de maraîchage, d’arboriculture, car toutes ces productions créent de l’équilibre », analyse le producteur-éleveur.

Ici, les échanges entre le sol et les plantes font loi. Dominique y pratique la rotation culturale. Ce système consiste en une succession régulière de différentes cultures qui permettent de lutter contre l’érosion et la propagation d’insectes, maladies et mauvaises herbes. Alors, sur ses terres certifiées bio, le paysan alterne production de blé, seigle, sarrasin, tournesol et avoine. De quoi nourrir les bêtes en pâture, tout en régénérant d’une récolte à l’autre les nutriments de la terre. Chevaux, vaches, brebis et agneaux produisent ensuite le fumier qui servira de base aux insecticides et au humus. Des arbres en agroforesterie côtoient animaux et plans de céréales afin de participer à la dépollution de leur environnement et d’en augmenter la biomasse. Enfin pour éradiquer tout herbicide, Dominique sème des engrais verts, des plantes non cultivées qui, en poussant, forment un couvert végétal et protègent les plans des mauvaises herbes. « La terre et les plantes sont plus saines, plus résistantes, et les animaux sont bien moins sujets à la maladie, témoigne l’agroécologiste et ancien président du Groupement des Agriculteurs Bio de la Vienne. Tout cela préserve la santé de ceux qui les consomment. »

Former aux alternatives naturelles

L’engagement écologique de Dominique Brunet dépasse la lisière de sa ferme. En 2010, sous l’impulsion de Pierre Rabhi, pionnier de l’agroécologie en France, il participe avec une dizaine de ses pairs à la création du Réseau des agroécologistes sans frontière, qui vise à répandre cette pratique en France et à l’étranger et à accompagner les producteurs en conversion. Ainsi, Dominique a pu contribuer à l’aménagement d’une ferme agroécologique au sein d’un collège et lycée de Madagascar. « Là-bas, même sur des sols brûlés et très dégradés, nous avons réussi à rendre naturellement à la terre une belle fertilité, comme en la couvrant de matière organique », témoigne le bénévole.

Cette expérience d’une agriculture différente, Dominique la transmet à ses stagiaires sur sa propre exploitation pour l’association Terre & Humanisme depuis près de sept ans. « La majorité des producteurs français de demain seront obligés de passer à l’agroécologie par la force des choses. Mais cette transition ne peut marcher que si elle est progressive et pédagogique. »

 


Comment passer en bio ?

65 000 tonnes de pesticides purs sont épandues sur les cultures françaises chaque année, faisant de l’Hexagone le pays le plus consommateur de produits phytosanitaires. Pourtant, « techniquement toutes les cultures sont convertibles à la bio et toutes peuvent se passer du glyphosate, assure l’agronome Jacques Caplat. Le problème majeur aujourd’hui, c’est l’accompagnement pédagogique, Avant de pouvoir rompre la dépendance à cette substance, il faut s’informer, trouver et s’approprier les pratiques, le matériel adaptés à sa culture. » Dans ce souci, les Groupements d’Agriculteurs Bio, les Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural et les structures comme Nature Et Progrès ou Fermes d’Avenir proposent formations et aides financières.

« De plus en plus de producteurs conventionnels s’inquiètent des problèmes posés par l’agriculture chimique artificielle, observe Dominique Brunet. Mais pour eux, changer de pratique est un choc culturel. » Sur son exploitation, l’agroécologiste récolte près de 30 quintaux de blé par hectares, contre 55 en moyenne en agriculture classique. Pourtant, cette baisse de production assure aux producteurs une meilleure rémunération grâce aux AMAP et aux magasins bio. D’autant plus que les coûts des produits phytosanitaires disparaissent. « On peut remplacer un désherbant par une bineuse mécanique par exemple, notamment dans la culture du maïs ou du tournesol. Mais en échange, il faut investir plus de temps », commente le formateur pour Terre & Humanisme.

Alors, pour encourager les alternatives, le ministre de l’Agriculture annonçait en avril allouer plus d’un milliard d’euros aux agriculteurs désireux de se convertir à la bio. De quoi atteindre plus facilement l’objectif gouvernemental de 15 % de cultures biologiques d’ici 2022. Parallèlement, Emmanuel Macron rencontrera en juillet les acteurs du monde agricole pour dresser un bilan sur l’utilisation du glyphosate. Le principe actif du RoundUp devrait, selon le Président, être interdit sous trois ans. « Cela laisse le temps aux producteurs de s’adapter psychologiquement et techniquement », défend Jacques Caplat, également secrétaire général de l’association Agir pour l’environnement. D’autant plus qu’aux yeux de la loi, la conversion d’une culture en bio nécessite deux à trois ans.


Par Solène Peillard

 

 

 

Le 22 juin 2018
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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