Voyage

Roland Jourdain : « Pour la Route du Rhum, nous sommes fiers de naviguer sur ce bateau en lin »

Par Dimitri Mouflard (propos recueillis), le 2 novembre 2022

Roland Jourdain à bord de son catamaran We Explore ©Martin Viezzer

Vainqueur de la Route du Rhum en 2006 et 2010, le navigateur breton Roland Jourdain participe à la 12ème édition de la mythique course qui relie Saint Malo à Point-à-Pitre en Guadeloupe. Cette année, il prend la mer avec un bateau innovant et écologique fabriqué en fibres de lin. Nous l’avons rencontré sur son bateau à quelques jours du départ.

Vous avez gagné deux fois la Route du Rhum. Votre participation de cette année est un peu différente. Pouvez-vous présenter votre projet ? 

Cette année, je serai au départ de la Route du Rhum à bord d’un catamaran de 60 pieds, soit un peu plus de 18 mètres de long et d’un peu moins de 9 mètres de large pour un poids de 13 tonnes. Il est construit au chantier Outremer à la Grande-Motte. Il est plus léger que les modèles de série qui sortent habituellement de chez Outremer, qui pèsent plutôt 17 à 19 tonnes. Il ne s’agit pas d’un catamaran de course au large mais un bateau de croisière et de voyage. Sa particularité est qu’il est construit à 50% en fibre de lin, ce qui représente un champ d’un hectare de lin. Je voulais le faire à 100% mais on ne peut pas faire à 100%. En effet, on a deux coques sur un bateau qui subissent beaucoup d’effort ; on a besoin de rigidité. Elles sont donc en carbone. Il ne s’agit pas de fibres de lin seules. On parle d’un composite : des fibres, ici du lin, et de la résine. Les deux collent et ça devient plus costaud. La démarche est de remplacer la fibre de verre par la fibre de lin.

Ce bateau, nommé We Explore, sert d’exemple en matière d’innovations dans la course au large…

Fibre de lin ©Robin Christol

En quelque sorte oui.  La composition de 50% de fibres de lin est une première mondiale. On essaye d’apporter des solutions et c’est pour cela qu’on a mis notre chemin de vie dans un grand bol qui est We Explore. Le message du bateau est vraiment de montrer notre chemin technique. Ça m’énerve : toutes les cinq minutes on invente le bateau « green » ou la solution miracle. C’est valable pour le bateau comme pour d’autres objets et nous, nous voulons raconter le chemin en disant « Non, ce n’est pas si facile que ça».  Avec Kaïros (entreprise créée par Jourdain pour accompagner les projets de course au large, ndlr), nous travaillons dans les biomatériaux depuis longtemps, nous faisons le tango, deux pas en avant, trois pas en arrière. Nous sommes fiers de  naviguer sur ce beau bateau en lin et j’assume bien le fait que ce n’est pas le bateau « bio » et que ce n’est pas encore le bateau idéal mais qu’on est sur ce chemin. Les biomatériaux font partie de la solution pour réduire l’impact sur l’environnement. Certes les techniques et les technologies vont nous aider mais dans le fond, si on ne change pas d’usages, de comportements, de façons de faire, tout cela sera des coups d’épée dans l’eau.

 Vous faites la démonstration  d’un bateau éco-conçu. Qu’en est-il des autres participants ?

Catamaran We Explore ©Martin Viezzer

Les choses bougent. Un événement sportif comme celui-là, qu’il soit de la voile ou des Jeux Olympiques, c’est tous les quatre ans. Tous les quatre ans on a une reflet sociétal dans le bassin de Saint Malo. Il y a dans le port les évolutions de la société et aujourd’hui, les discours et les envies sont là, mais on est dans le monde du greenwashing et de la communication.  Beaucoup de bateaux portent des causes adossées à leurs modèles de sponsoring mais ils ne vont parfois pas assez loin.

Tout le monde va être obligé de se remuer les fesses : les coureurs, l’organisateur, les sponsors, les cabinets d’études, les classes de bateaux qui régissent les règles. On est face à un champ de questions, qui peuvent être hyper plombantes, c’est vrai, et en même temps on vit une époque où on a tous bien compris que les ressources disponibles sur la planète diminuent. L’équipage augmente mais les ressources diminuent dans les cales. Nous devons trouver des solutions  et c’est ça qui est excitant dans le projet.

Mais cela ne va pas aller sans grumeaux. Depuis trois ans, on le voit bien, entre le covid , la guerre et les problèmes énergétiques… On savait que les difficultés adviendraient et c’est pour cela qu’on réfléchit depuis  dix ans. On savait qu’il faudrait des plans B. En mer, on le sait plus facilement.

En 2017, vous déclariez « Pourtant progressivement mon horizon va commencer à s’obscurcir. Au gré des déchets plastiques rencontrés en mer, de l’augmentation du trafic maritime mondial, j’ai peu à peu l’impression que l’océan est un grand tapis sous lequel on cache la poussière » ; Avez-vous vu un changement depuis ?

Sur la partie déchets, c’est le problème le plus couramment rencontré en tant que compétiteurs. On passe notre temps à essayer d’aller plus vite donc s’il y a quelque chose de coincé dans la quille ou dans le gouvernail ça nous agace. Cela peut être des algues mais très souvent il s’agit de déchets plastiques. Il y a une trentaine d’années, cela nous arrivait près de nos côtes. Puis ces macro plastiques, au fil de mes années de navigation, je les ai rencontrés dans ce qu’on appelle le grand sud, d’abord entre l’Afrique et le Brésil puis plus au sud dans ce qu’on appelle les quarantièmes rugissants (latitudes situées entre les 40e et 50e parallèles dans l’hémisphère Sud, ndlr). Là, quand tu fais ton Vendée Globe et que tu te prends une bâche plastique dans le gouvernail à des milliers de kilomètres des côtes tu te dis « Pouah, c’est partout ». Mais près de chez nous, le plastique est aussi dans le sable sous nos serviettes de bain. Il est là, partout, en micro plastique. C’est pour cela qu’on travaille avec Plastic Odyssey. Aller chercher le plastique en mer, c’est trop compliqué, c’est trop tard. Le septième continent n’existe pas, c’est une soupe de micro plastiques.

Je souhaite faire une alimentation objectif zéro déchet à bord du bateau. Ce n’est pas facile tellement nous sommes « plastiqués ». La nourriture c’est notre premier acte de tous les jours.

Une fois arrivé en Guadeloupe, comment va revenir votre bateau ?

L’idée avec ce bateau, comme à mon sens beaucoup de bateaux dans l’avenir, c’est de réfléchir à l’utilité des choses. On va donc faire un retour utile. On va charger le bateau de fret maritime, en l’occurrence des voiles usées de bateaux des Antilles. Plutôt que de revenir en containers sur des cargos, elles reviendront à la voile. On travaille à ramener de la vanille issue d’agroforesterie.

Après la Route du Rhum, le bateau sera mis à profit comme « laboratoire » pour accueillir des expérimentations, des ateliers avec différents publics et acteurs, tels que les médias et les écoles.


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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