Économie & Gouvernance

Rassurer les marchés financiers, disent-ils…

Rassurer les marchés financiers ! Telle est l’obsession qui devrait être la préoccupation première des gouvernements. Bon, admettons un instant le propos pour tenter de voir s’il a une quelconque cohérence et posons-nous la question de savoir comment on rassure lesdits marchés ?

La meilleure façon de le savoir c’est encore de nous tourner vers la presse financière et, au sommet de cette presse, nous trouvons bien sûr son journal de référence : le Wall Street Journal… Comment donc fonctionnent ces fameux marchés ? Quelles sont leurs règles du jeu et les motivations de leurs acteurs selon la bible de la finance, surtout en situation de crise ? Tiens, voici une réponse intéressante puisqu’elle date d’un éditorial écrit au moment du krach de 1987… « Wall Street ne connaît que deux sentiments : l’euphorie ou la panique ! »

Non ce n’est pas un bulletin d’indignés ou un texte tiré de la presse altermondialiste… C’est bien le Wall Street Journal ! Nous qui étions prêts de croire que les marchés étaient régis par un arbitrage rationnel destiné à optimiser les investissements… Le pire est qu’il ne s’agit pas d’un coup de chaud isolé, sorti de l’esprit délirant d’un éditorialiste ayant un peu forcé, comme la plupart des traders, sur la cocaïne. Voici par exemple un autre propos d’un acteur ô combien impliqué et expert puisqu’il s’agit d’Alan Greenspan, l’ancien président de la FED, la banque fédérale américaine. Comment croyez-vous que ce monsieur sérieux caractérisait le comportement des marchés financiers à l’époque de sa responsabilité ? Par leur « exubérance irrationnelle » ! Rien de moins…

Euphorie, exubérance, panique… Cela ne vous rappelle rien ? Laissez-moi réfléchir… Mais oui, c’est la définition de psychose maniaco-dépressive ! Et savez-vous ce que l’on préconise dans ce type de cas où la personne perd le contact avec le réel, notamment économique, afin de la protéger elle même et ses proches ? Rien de moins que des mesures de tutelle ou de curatelle… Pourrait-on alors imaginer que la question des marchés ne relève pas de la régulation économique mais de l’organisation mondiale de la santé ?

Car, circonstance aggravante, il n’y a pas que les humains qui sont malades, les ordinateurs aussi. Savez-vous que plus de 70% des opérations financières aux Etats Unis, plus de 50% en Europe sont réalisées par des automates capables d’opérer des centaines de transactions à la seconde. Si nous sommes dorénavant face à une situation où la fameuse injonction : « il faut rassurer les marchés financiers ! »  devient : « il faut rassurer les robots financiers ! », le bon peuple finirait par se poser quelques questions… Cachons donc cette information gênante. Et si par malheur une question est posée à ce sujet, noyons là sous le jargon financier. Disons : « vous voulez parler du « high trading » ? Ou mieux … »du trading algorithmique ? » .  Rien ne vaut un flot de jargon incompréhensible pour oublier les questions embarrassantes.

Mais voilà, un nombre croissant de citoyens ont décidé de s’intéresser aux questions de la finance car si Clémenceau disait à propos de la guerre que c’était une chose trop sérieuse pour la laisser aux militaires, il est désormais temps de dire que le financement de nos économies est une chose trop sérieuse pour la laisser aux financiers. Et ce que l’on a vite fait de comprendre quand on regarde d’un peu près ces algorithmes c’est que leur sophistication mathématique est mise au service d’une logique au total très pauvre, moutonnière, mimétique si on veut avoir l’air savant, puisqu’ils amplifient les mouvements de hausse et de baisse et ne sont même pas capables du discernement propre au boursicoteur avisé qui, selon le dicton, était capable « d’acheter au son du canon et de vendre au son du violon »

Bon résumons : nous avons donc des comportements maladifs et des automates moutonniers ? Qui croire alors ? Où sont les gens sérieux et responsables ? Ah oui j’oubliais … dans les agences de notation bien sûr… Alors examinons le bilan de ces fameuses agences et puisque leur note la plus basse est le triple C. Demandons-nous s’il ne serait pas temps de leur discerner un triple D pour caractériser leur défaut d’anticipation, d’évaluation et de responsabilité.

– Défaut d’anticipation : ils n’avaient vu venir ni la faillite de grandes entreprises comme Enron, ni celle de grandes banques comme Lehman Brothers, ni l’explosion de produits toxiques comme ces prêts à taux variables nommés subprime, vendus cyniquement à des ménages américains dont on savait qu’ils ne pourraient pas les rembourser.
Tous bénéficiaient du triple A à la veille de leur faillite !

– Défaut d’évaluation : il n’existe aucun critère dans le système de notation des agences qui ressemble au minimum requis pour obtenir un label de « responsabilité sociale » intégrant les fameux piliers du « développement durable ». Non, pas l’once d’un critère ou d’un indicateur écologique, social et même d’économie réelle. Juste des critères financiers.

– Défaut de responsabilité : les répercussions d’une dégradation financière d’un pays peuvent avoir deux effets pervers. D’abord le conduire à couper dans ses dépenses sociales et mettre en cause la richesse réelle que représente, pour la grande majorité de la population, l’accès aux soins, à l’éducation, à des services publics non dégradés. Ensuite à aggraver le poids des intérêts de sa dette dès lors que les taux d’intérêt pratiqués sur les marchés financiers vont être encore plus lourds et être confrontés, comme en Grèce, au cercle vicieux de l’appauvrissement et de l’endettement. Bel exemple d’irresponsabilité allié à l’aveuglement du défaut d’anticipation et de vision.

En conclusion

Vous avez dit : « il faut rassurer les marchés financiers ? » …Dites vous ne croyez pas qu’il serait plutôt temps des les contrôler? En arrêtant la casse humaine des programmes d’austérité, en instaurant un bouclier vital plutôt que fiscal…ne serait il pas temps de commencer enfin à rassurer les peuples ?

 

Par Patrick Viveret, auteur de « Reconsidérer la richesse » (ed de l’Aube)

 


Extrait de Kaizen 2.


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Le 1 décembre 2012
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