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jeudi 12 décembre 2024
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Puits de carbone et fertilisant naturel, le biochar est-il le nouvel « or noir » ?

Il retient l’eau et fixe les nutriments dans les sols, améliore leur fertilité, absorbe les métaux… Le biochar, constitué de résidus végétaux carbonisés par pyrolyse (à 500° sans oxygène), est employé depuis de nombreuses années dans les terres d’Amérique du Sud et d’Afrique. Au-delà de ses qualités agricoles, cette biomasse transformée est capable de séquestrer du carbone sur plus d’un siècle. Pourtant, cette poudre noire granuleuse reste encore trop méconnue selon les industriels qui tentent de développer son marché, en Europe et notamment en France. «Trop beau pour être vrai» ?

Son nom, issu de l’abréviation «bio-charcoal (charbon en français, ndlr)», résume rapidement l’intérêt du biochar. Il s’agit d’un composé de résidus forestiers et/ou végétaux, mais contrairement au charbon de bois employé comme combustible qui libère du CO2 dans l’atmosphère, le biochar serait un atout pour l’environnement. Et ce dès sa fabrication.

Écorces, bois de collecte, résidus de cultures sèches (coques de grains de café, balles de riz, etc.)… Pour fabriquer du biochar, des «déchets» agricoles ou naturels sont chauffés à environ 500 degrés, en l’absence d’oxygène. On parle alors de pyrolyse. Ce procédé permet de transformer la biomasse en biochar, mais aussi de générer un flux gazeux constitué de méthane et d’hydrogène qui est utilisé en partie pour alimenter le four à pyrolyse ; le reste de ce flux gazeux peut faire tourner un alternateur pour produire de l’électricité[1]. La fabrication du biochar s’avère donc peu couteuse en énergie, peu polluante – le méthane et l’hydrogène ne sont pas rejetés dans l’atmosphère –, et même pourvoyeuse d’énergie.

Cette poudre noire a d’autres cordes à son arc. En effet au cours de leur croissance, et notamment lors du processus de photosynthèse, les végétaux captent le carbone environnant. Au moment de leur décomposition, tout ce carbone absorbé est de nouveau rejeté dans l’atmosphère. Or le biochar restant stable et se dégradant peu dans les sols, piège cette matière durant des centaines d’années. Il apparait donc comme un «puits de carbone», ce qui lui donne un avantage non négligeable lorsque l’on sait que l’Union européenne doit atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Améliorer la fertilité des sols

Bien que le terme de biochar soit relativement récent, la pratique d’amender les sols avec du charbon remonte aux siècles passés. Dans les années 1970, des scientifiques ont découvert des sols très fertiles en Amérique du Sud, les terres noires d’Amazonie, plus connues sous le nom des Terra Preta en portugais. Ces sols présentent 9% de carbone contre 5% pour les terres environnantes, et un rendement jusqu’à quatre fois supérieur. Très vite, les travaux de recherche ont mis en évidence que cette fertilité était liée à la présence de charbon dans ces sols, enfouis par les civilisations pré-colombiennes il y a des centaines d’années.

Depuis, le phénomène observé a été reproduit dans divers pays pour transformer le charbon via pyrolyse, un procédé apparu il y a une trentaine d’années. Restauration des sols tropicaux[2]dégradés, développement de la vie microbienne[3]meilleure rétention des nutriments[4] et de l’eau dans le sol[5]… De nombreuses études scientifiques ont alors mis en lumière les atouts du biochar pour les terres. Mais comme le rappelle le rapport de la Banque Mondiale de 2014, sur les «Systèmes de biochar pour les petits exploitants dans les pays en développement», «le biochar n’est pas un fertilisant en soi mais un amendement du sol.»

Une culture de maïs en Afrique du Sud (image pixabay).

«Il n’existe pas un biochar mais des biochars»

Pour David Houben, enseignant-chercheur en science du sol à l’Institut Polytechnique UniLaSalle Beauvais, il faut en effet être vigilant quant à l’emballement autour des bienfaits du biochar et poursuivre les recherches sur ce matériau, notamment en climat tempéré. «Les capacités du biochar à amender le sol et à séquestrer le carbone dépendent de la composition du biochar, de son mode de production et du sol sur lequel il est appliqué. Il y a donc trois variables à prendre en compte. Ce n’est pas une solution réplicable partout à l’identique», insiste le chercheur agro-pédogéochimiste, avant de résumer sa pensée : «Il n’existe pas un biochar mais des biochars.»

Depuis 2017, le chercheur analyse les meilleurs biochars avec du compost pour le marché horticole dans le cadre d’un projet porté par la Banque Publique d’Investissement (BPI). Résultats : le biochar n’a pas eu d’effet positif, ni négatif, sur la croissance des plantes lorsque les conditions de culture sont normales. Des effets négatifs ont tout de même été analysés sur des terres dans le Nord. A l’inverse, David Houben a observé les bénéfices du biochar sur les cultures lorsqu’elles subissent un stress hydrique.

 «Le biochar n’est pas toujours utile pour amender certains sols, notamment ceux qui sont riches, peu acides, non dégradés. Si le frigo est déjà plein, ce n’est pas la peine d’ajouter d’autres aliments. Sans compter qu’il s’agit d’un moyen de séquestration de longue durée et qu’il ne peut être retiré du sol aisément, ce qui nécessite de la précaution», précise l’enseignant. C’est pourquoi la production du biochar s’est développée dans un premier temps dans des zones tropicales. L’entreprise française NetZero, co-fondée par le climatologue Jean Jouzel, ancien membre du GIEC, s’est installée au Cameroun, pour produire du biochar à partir de résidus agricoles provenant d’une usine de décorticage et de torréfaction de café à proximité. La poudre est ensuite vendue aux agriculteurs locaux pour amender leurs sols. Mais NetZero fait avant tout partie de l’industrie de la décarbonation.

Le marché florissant des crédits de carbone

Dès les années 1990, Bruno Glaser, enseignant-chercheur en biochimie des sols en Allemagne, a observé qu’un hectare de la Terra Preta peut séquestrer plus de 250 tonnes de carbone, tandis que les sols ordinaires de la même zone n’en séquestraient que 100 tonnes.

Comme la neutralité carbone est visée d’ici 2050, il est nécessaire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES), mais certaines émissions restent incompressibles étant liées aux activités économiques (déplacements, importation de produits, etc.). C’est pourquoi on souligne désormais l’importance des puits de carbone, qui absorbent le CO2 et le séquestrent sur une longue période. Les arbres font partie des plus connus. Pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, il est aussi nécessaire de développer des «negative emission technologies», des technologies pour capter le carbone, telles que le biochar ; le GIEC évalue la capacité du biochar à stocker le carbone entre 0,2 et 3 Gigatonnes de CO2/an.

Les entreprises peuvent investir dans ces technologies, comme la production de biochar, pour compenser leurs émissions. Et pour chaque tonne CO2 equivalent retirée, ces sociétés obtiennent un certificat, soit le fameux crédit carbone. Ces crédits carbone sont souvent pointés du doigt et associés à des «droits à polluer», ou encore à du «greenwashing» par les associations environnementales ; ces certificats n’incitant pas toujours les structures à diminuer leurs propres émissions.

 Ces crédits peuvent être  échangés et achetés sur le marché de la compensation carbone volontaire[6]. «C’est un marché en pleine expansion car de plus en plus d’entreprises adoptent des démarches environnementales», affirme Claire Chastrusse, directrice générale de Carbonloop, start-up française qui entend développer la production de biochar en France. La tonne de CO2 séquestrée sur le long terme (comme pour le biochar) est évaluée entre 150 et 200 euros.

Créée en 2021, Carbonloop propose une «solution intégrée» aux entreprises pour produire de l’énergie renouvelable sur leur site : la société s’approvisionne en biomasse dans un rayon de 100 kilomètres maximum, produit du gaz renouvelable qui permet d’alimenter en électricité le site, fait certifier le biochar et obtient des crédits carbone pour l’entreprise (via l’audit d’un organisme indépendant, ndlr). Carbonloop s’adresse à des industriels qui tentent déjà de réduire leurs émissions, n’intervenant ainsi qu’en complément de leur démarche de décarbonnation.

«Trop beau pour être vrai» 

Grâce aux crédits carbone, la production de biochar a ainsi connu une croissance de 71% en 2021 en Europe. Un taux qui pourrait grimper à plus de 85% en 2022 selon la dernière  étude  de  marché  des  industriels  du  secteur  réalisée par l’EBI, European Biochar Industry. Développé principalement en Amérique du Nord, le marché du biochar s’est exporté il y a une dizaine d’années sur le vieux continent, en Allemagne et dans les pays scandinaves ; l’arrivée a été plus tardive en France.

Pour David Houben, le lent développement en Europe et en particulier dans l’hexagone s’explique en partie par «la frilosité des banques d’investissement qui considéraient le concept comme ‘trop beau pour être vrai’». «Il y a aussi la crainte que  la production de biochar se fasse au détriment d’autres filières de revalorisation de la biomasse déjà bien développées et pourvoyeuses d’emplois (biocarburants, construction en bois, etc.)», complète le chercheur. En effet cette production pourrait entrainer des changements dans la demande de certains produits agricoles, et des hausses de leurs prix. Un risque minimisé lorsque le biochar est fabriqué à partir de «vrais» déchets.

Aussi, l’efficacité du biochar a principalement été prouvée sur des sols tropicaux, moins riches et plus acides qu’en France par exemple. «Nous avons également en France des terres dégradées, contaminées par les pesticides, ou souffrant de sécheresse», nuance Claire Chastrusse. Carbonloop prévoit de collaborer avec la Maison Boinaud, productrice de cognac, qui a de la matière à valoriser, le cœur de chêne, et dont les vignes nécessitent des amendements, souffrant de stress hydrique. Des études seront menées pour analyser quel type de biochar serait le plus adéquat pour ces terres viticoles.

Pour la directrice générale de l’entreprise, les freins au développement du marché du biochar résident ailleurs : «Sur la filière agricole, il faudrait que les chambres d’agriculture françaises s’emparent du sujet et s’intéressent aux bénéfices du biochar. La production reste aussi encore couteuse. Des subventions des pouvoirs publics permettraient de réduire ce coût, comme ce qui a été mené avec les énergies renouvelables», souligne Claire Chastrusse. La jeune entreprise mettra sa première unité  en  service  à l’été 2023  en  Ile-de-France.

[1] Ce surplus d’énergie peut être diminué si la biomasse employée est constituée de bois humides qui doivent être séchés.

[2] Steiner C, Teixeira WG, Lehmann J, Nehls T, Vasconcelos de Macêdo JL, Blum WEH, Zech W (2007) Long term effects of manure, charcoal and mineral fertilization on crop production and fertility on a highly weathered Central Amazonian upland soil.

[3] Lehmann, J. and Joseph, S. (eds) (2009) Biochar for Environmental Management. Earthscan: London.

[4] Warnock, D.D., Lehmann, J., Kuyper, T.W. & Rilig, M.C. (2007) Mycorrhizal responses to biochar in soil concepts and mechanisms. Plant Soil (2007) 300:9–20

[5] Glaser, B., Lehmann, J. and Zech, W. (2002) Ameliorating physical and chemical properties of highly weathered soils in the tropics with charcoal – a review, Biology and Fertility of Soils 35, 219-230.

[6] Il existe aussi un marché règlementaire pour les entreprises les plus émetteuses de GES.

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