Pédagogie

« Prox’ », le village sportif et citoyen qui veut rapprocher jeunesse et police

Par Clara Jaeger, le 23 juillet 2020

Un policier bénévole de l'association Raid Aventure, présent à la journée "Prox'" explique les gestes de premiers secours à un groupe de jeunes filles © Clara Jaeger

Alors que les critiques et les manifestations à l’encontre des méthodes des forces de l’ordre françaises ont redoublé d’intensité depuis mai dernier, les policiers bénévoles de l’association Raid Aventure oeuvrent depuis plus de vingt ans pour un rapprochement police-population. Depuis 2014, c’est au travers de son dispositif « Prox’ », un village sportif et citoyen, que l’association cherche à renouer avec la jeunesse. Le 9 juillet dernier, adolescents, élus municipaux et policiers bénévoles se retrouvaient à Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis pour une journée placée sous le signe du sport et de la rencontre.

« Quand je suis arrivée, je m’attendais à voir un autre genre de policiers ! », s’exclame Asma, quatorze ans. Elle et ses camarades du centre social Louise-Michel-Mikado, situé à Tremblay-en-France, en Seine-Saint Denis, sont venus rejoindre des dizaines d’autres jeunes et les policiers bénévoles de l’association Raid Aventure pour la journée « Prox’ » : « Le fait qu’ils soient sans leurs uniformes, ça a vraiment favorisé l’échange, reconnaît Sarah, l’une des accompagnatrices du centre social, c’est seulement lorsque l’un d’entre eux nous a montré son écusson qu’on a compris qu’ils étaient policiers. » Un peu plus loin, Anaïs, bénévole du Raid Aventure confirme. Comme l’ensemble de ses collègues présents sur la journée, elle est venue pour se rapprocher des jeunes : « Quand on porte l’uniforme, une distance s’installe alors que là on est dans un contexte et une tenue décontractés. Les jeunes sont plus ouverts, posent des questions auxquelles on peut répondre franchement. », confie cette agent de Police secours. Pour Sarah, la jeune accompagnatrice du centre Louise-Michel, le dispositif « Prox’ » permet aux adolescents de se faire leur propre opinion, « sans être influencés par les médias et leur entourage. » Car si le sport et la prévention sont au coeur de la journée, personne n’est dupe : il ne s’agit en réalité que d’un prétexte pour provoquer la rencontre.

Apprendre à s’appréhender et essayer de se comprendre au travers d’activités et d’ateliers, c’est ce que sont venus faire pour la quatrième année consécutive les policiers bénévoles de l’association Raid Aventure et certains jeunes de Tremblay-en-France. Crée en 2014 par les policiers bénévoles de l’association Raid Aventure – elle-même mise en place par l’ex-policier Bruno Pomart en 1992 – le village citoyen et sportif du « Prox’ » se déplace un peu partout en France pour rencontrer et sensibiliser les jeunes de tous quartiers confondus à la citoyenneté et aux métiers de la police – il n’y a qu’à traverser le terrain pour rejoindre le stand du service de recrutement et de communication de la Police Nationale. Pensées en partenariat avec les mairies, associations locales, mais aussi des pompiers, ou encore des transporteurs, le dispositif varie en fonction de la demande : « Chaque municipalité décide de la couleur qu’elle veut donner à sa journée, explique Quentin Gourdin, porte-parole du dispositif et brigadier-chef, les temps de débats sont de plus en plus récurrents, mais certaines journées peuvent être orientées vers la réinsertion des jeunes, ou la découverte de nos métiers. » Si cette année, les conditions sanitaires ont fortement restreint le nombre d’activités et de participants à la journée « Prox' » de Tremblay-en-France, la motivation des 12-14 ans du centre Louise-Michel n’en a pas été altérée pour autant : « Cette journée a intéressé beaucoup de nos jeunes, confie Sarah, ils voulaient venir pour les activités, mais aussi pour l’échange qu’elles permettaient avec les policiers. »

Un groupe de jeunes inscrits à la journée « Prox' » et des policiers bénévoles partagent une partie de football © Clara Jaeger

Aller « dans les deux sens »

Pour convaincre les jeunes du centre à s’inscrire, il a tout de même fallu trouver les bons arguments, confie Sarah : « On fait en sorte de les sensibiliser à beaucoup de choses, et particulièrement à tout ce qui a un rapport avec la police et la sécurité, explique l’accompagnatrice, beaucoup d’entre eux vivent dans des cités, et ont une image particulièrement négative de la police. Ils ont parfois grandi avec l’idée qu’on négligeait leur sécurité. » Un peu plus loin, Selma, treize ans, complète : « Mon point de vue sur les policiers n’était que négatif. Après aujourd’hui, peut-être que je les regarderai moins mal quand je les croiserai dans la rue ! », rigole la jeune fille. Pour Doriane, adjointe au chef de service de la police municipale de Tremblay-en-France et en charge d’un des parcours de la journée avec quatre autres de ses collègues, ces avancées sont de vraies victoires dans son travail quotidien : « Tout à l’heure, on a retrouvé un jeune qu’on avait déjà rencontré sur un autre événement, avance la fonctionnaire, s’il nous arrive de le retrouver dans une situation indélicate sur la voie publique avec d’autres jeunes, il saura qu’on est des gens avec qui il peut communiquer. » Mais selon cette agent, au-delà de créer du lien, le dispositif « Prox’ » est aussi une démarche nécessaire d’introspection : « Nous aussi, nous devons nous remettre en question, affirme la fonctionnaire de police, cela doit se faire de tous les côtés, et le contexte difficile qu’on connaît aujourd’hui est le moment idéal pour mettre en place ce genre d’action. »

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Alors qu’une partie des jeunes qu’elle encadre se sont éloignés, Sarah l’admet. De prime abord, venir à la journée « Prox’ » n’était pas une évidence pour elle non plus : « Je n’ai pas peur de la police, ce n’est juste pas ceux en qui j’ai le plus confiance, confie la jeune femme, mais j’avais envie de découvrir le projet, de discuter avec eux, et que le lien entre jeunes et police aille dans les deux sens. » Une démarche bi-latérale que l’ensemble des bénévoles du dispositif semble promouvoir. Clotaire, le coordinateur de la journée, est catégorique : s’il n’est pas question d’éluder les « violences et les fautes de certains policiers, qui salissent toute une profession », cette journée permet également d’en rappeler l’aspect social et humain : « C’est à nous de montrer ce qu’est notre métier, affirme le gardien de la paix, faire un pas vers les jeunes et montrer qu’on peut se parler et briser la glace est possible. Le plus important, c’est qu’ils voient la démarche. » Un axe sur lequel l’association met l’accent depuis deux ans en favorisant les temps de débats, et qu’elle compte affiner avec le dispositif des « Prox’Talks », sur le modèle de « tables rondes ».

Un agent de la police municipale de Tremblay-en-France explique un des parcours de la journée « Prox' » à une jeune inscrite © Clara Jaeger

Retour à la proximité

De son côté, Patrick Martin, maire-adjoint en charge du sport et de la sécurité de Tremblay-en-France reste lucide : si des actions comme les journées « Prox’ » ne règleront pas tous les problèmes, elles restent nécessaires : « Une telle initiative contribue à faire que chaque habitant ait en tête une journée au cours de laquelle s’est tissée une relation différente avec la police de celle à laquelle ils sont habitués. » Cet objectif, c’était déjà celui du « City Raid », un parcours citoyen également organisé par les bénévoles de Raid Aventure, auquel a succédé le dispositif du « Prox’ » : « Le sujet est sensible, et la première année où nous avons crée le « Prox' », les gens se demandaient si on serait capables de tenir le rythme et de mobiliser assez de policiers bénévoles sur le dispositif », se souvient Quentin Gourdin. Finalement, le projet convainc, et d’une vingtaine de demandes en 2014, le dispositif grimpe aujourd’hui à environ soixante-dix interventions par an sur toute la France. Un moyen de prouver aux collègues potentiellement réfractaires qu’il s’agit d’un véritable temps de rencontre : « Je pense toujours aux jeunes policiers qui sortent d’école et veulent attraper la planète entière, sourit Quentin, des dispositifs comme le nôtre permettent aux jeunes policiers de comprendre que nos métiers ne sont pas uniquement répressifs. »

Alors qu’en 2017, une étude comparative [1] sur les relations entre police et population dans le monde pointait du doigt, entre autres, le manque de dialogue des policiers français lors de leurs interventions, Raid Aventure semble essayer d’aller à rebours de ce constat. Au travers du dispositif « Prox’ », mais aussi avec des ateliers de prévention 2 roues, l’accueil de jeunes sur leur site de Dreux dans le cadre de séjours multi-sports, ou encore la multiplication d’actions caritatives tout au long de l’année, c’est une police de proximité, tour à tour instaurée et démantelée depuis 1997, que défend l’association : « Notre but sera atteint lorsqu’il n’y aura plus besoin du « Prox’ » », conclut Quentin Gourdin.

[1] Police-citizen relations across the world. Comparing sources and Contexts of Trust and Legitimacy, Dietrich Oberwittler et Sebastian Roché, Routledge, octobre 2017, 308 pages.

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