Agriculture et Énergie

Produire du biogaz grâce à l’agriculture

Par Auriane Latrémolière, le 8 décembre 2020

Méthabraye, à Savigny-sur-Braye © Auriane Latrémolière

Comment réduire les gaz à effet de serre dans les exploitations agricoles ? Dans le nord du Loir-et-Cher, à Savigny-sur-Braye, trente-quatre agriculteurs se sont associés pour créer la SAS Méthabraye pour produire du biogaz grâce aux effluents d’élevage. Reportage.

« La méthanisation, c’est le même principe que le compostage : c’est de la dégradation et du recyclage de matièreorganique. Comme les particuliers lorsqu’ils font du compost chez eux ; ils jettent leurs épluchures de légumes dans leur bac, puis des micros organismes en présence d’oxygène vont produire du compost et du CO2. Ici c’est le même principe, au lieu du compost on va produire du digestat et au lieu du CO2 c’est du biogaz », résume Christophe Beaujouan, conseiller environnement-énergie à la Chambre d’agriculture du Loir-et-Cher.

Un défilé de camions remplis de dix tonnes de fumiers des dix-sept exploitations agricoles situées à moins de trente kilomètres arrive sur le site de Méthabraye à Savigny-sur-Braye.

Le fumier est déversé dans une trémie* d’incorporation. Puis dans une cuve de pré-mélange, il est mixé et débarrassé de ses éléments indésirables. La matière organique séjourne soixante-dix jours dans un digesteur**, dans un post-digesteur où des milliards de bactéries la transforment en biogaz. Le méthane pur à 98% est alors évacué vers le haut et le CO2 vers le bas. Enfin, le méthane est liquéfié en étant refroidi à -110 degrés soit 18 barres de pression. Une innovation conçue par Verdemobil et l’école des Mines de Paris.

Injection du gaz liquide à -110 degrés dans le camion, le transportant jusqu’à Naveil. © Auriane Latrémolière

Avec un investissement à hauteur de 6.8millions financé par des banques, l’ADEME, la Région Centre-Val de Loire, les Territoires Vendômois et les agriculteurs, le projet de Méthabraye est le premier site en France à distribuer le biogaz sous forme liquide. Tous les cinq jours, une navette routière transporte le gaz comprimé à vingt barres (-110 degrés). Le voyage se termine à quinze kilomètres de là, à Naveil. Le gaz retrouve ici sa forme initiale en le déprimant à cinq barres, puis injecté dans le réseau de gaz de GRDF (Gaz réseau distribution France).C’est ainsi que depuis 2018 et après six ans de travail et de développement que Méthabraye produit du biogaz.

Une énergie durable et renouvelable

Grâce à ce processus, le site de Méthabraye évite l’émission de 3 300 tonnes de CO2 par an. Christophe Beaujouan s’en félicite : « A l’échelle d’une exploitation agricole, 10% des émissions de gaz à effet de serre proviennent des fumiers. Construire un méthaniseur en flux tendu permet de faire disparaître les tas de fumier et de moins polluer. Deuxième avantage, à l’échelle du site, le méthaniseur a la capacité de produire une énergie renouvelable. Pour une tonne de fumier de bovins, ce sont  40m3 de biométhane, soit 40 litres de fioul, d’énergie potentielle qui sont produits. »

Par ailleurs, ce gaz vert en plus de valoriser une matière première en énergie, dégage de l’engrais organique naturel liquide ou solide qui est par la suite épandu sur les champs. Ce résidu du processus de méthanisation appellé le digestat est composé de minéraux et de bactéries nutritif et riches pour la terre. Peut-on retrouver des produits pharmaceutiques dans le fumier ? « Il n’y a pas d’agriculteurs bio dans notre groupe mais la valeur du fumier n’est pas là. Il y a une absence totale d’antibiotiques puisqu’on est sur de l’excrément. Le fumier est frais et il est plein de bactéries. On est sur une méthanisation à Méthabraye où on ne met que du fumier. On n’ensemence absolument pas. On utilise les bactéries qui sont présentes dans le système ruminal de l’animal. » précise Delphine Descamps, présidente de Méthabraye SAS et éleveuse à Savigny-sur-Braye.

Mais la méthode soulève encore des questions concernant le digestat potentiellement polluant pour le sol. Certains produits pharmaceutiques ingérés par les vaches lors de l’élevage se retrouveraient dans leurs excréments et ainsi dans le digestat épandu dans les champs.

Néanmoins avec cette technique, les agriculteurs vendômois sont tournés vers l’agroécologie abandonnant le labour et n’épandant plus de fumiers, tout restant en agriculture conventionnelle.

Le digestat, un engrais organique qui sera par la suite épandu sur les champs. © Auriane Latrémolière

Le bilan positif et vu comme un levier identifié au niveau national pour émettre du gaz. Depuis 2011, l’État achète le biogaz à un prix cinq à dix fois supérieur à celui du gaz fossile pour permettre à cette filière d’émerger. « Le gros avantage de cette énergie c’est qu’on est sur une production continue toute l’année. Contrairement aux éoliennes où l’on est dépendant des conditions météorologiques. C’est donc intéressant pour des industriels qui produisent toute l’année», ajoute Christophe Beaujouan, conseiller environnement-énergie à la Chambre d’agriculture du Loir-et-Cher.

Une alternative agricole

En 2016, la cinquième directive européenne du programme nitrate qui vise la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole tombe : les éleveurs doivent garder au minimum pendant six mois leurs effluents agricoles. Impossible pour les éleveurs vendômois, la réglementation les oblige à construire de nouvelles infrastructures coûteuses pour augmenter leurs capacités de stockage. L’idée de se constituer en collectif avec le site de Méthabraye est alors apparue comme la solution. Même si après deux ans et demi de production de biogaz, les dix-sept exploitations n’ont pas encore pu se dégager un rendement supplémentaire. Mais pour l’éleveuse de vaches laitières, le contrat est rempli : « Quand on est les premiers, il y a beaucoup de choses qu’on découvre, qu’on ne savait pas. Il  y a eu des surcoûts d’installations. A Méthabraye, la promesse n’était pas de dire aux éleveurs “vous allez mieux gagner votre vie“. Le but était d’avoir une prise en charge complète de l’épandage. On est à 80% de nos objectifs. »

« Gérer des fumiers, c’est beaucoup de temps de travail et ce n’est pas forcément très agréable. Grâce à au modèle Méthabraye, le travail ne se fait pas à la ferme. Nous pouvons nous concentrer plus sur nos exploitations », détaille Delphine Descamps, éleveuse à Savigny-sur-Braye et présidente de Méthabraye SAS. Une opération séduction également, avec cette délégation de services. La jeunesse agricole voit grâce ce projet une contrainte du métier supprimée. « On a pu observer que trois exploitations agricoles ont changé de mains. Des jeunes viennent s’installer, car ils n’ont plus à s’occuper de leurs fumiers. Un peu moins cher, une dynamique de groupe, tout cela augmente l’attractivité de nos exploitations vendômoises », ajoute-t-elle.

« La méthanisation c’est une énergie locale, c’est recyclable, ce n’est pas délocalisable et c’est créateur d’emploi », conclue l’éleveuse. Des bons points pour un type d’énergie qui se développe, en attendant de se convertir au bio !


*Trémie : Entonnoir en forme de pyramide renversée qui permet de déverser une substance à traiter.

**Digesteur : Installation d’assainissement dans laquelle les déjections animales fermentent en produisant du méthane.

***Méthaniseur : Ensemble de l’infrastructure permettant d’effectuer le processus naturel biologique de dégradation de la matière organique en absence d’oxygène.


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

Soutenir Kaizen Magazine, c'est s'engager dans un monde de solutions.

Notre média indépendant a besoin du soutien de ses lectrices et lecteurs.

Faites un don et supportez la presse indépendante !

JE FAIS UN DON

Produire du biogaz grâce à l’agriculture

Close

Rejoindre la conversation