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dimanche 24 novembre 2024
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« Pourquoi fumer c’est de droite » : un pamphlet contre l’industrie du tabac, ses ravages sociaux et écologiques

En France, le tabac est à l’origine de 75 000 morts par an, soit 200 morts par jour. Cardiologue hospitalier et militant du service public, Olivier Milleron ne s’intéresse pourtant pas aux effets sanitaires de la cigarette dans son récent ouvrage Pourquoi fumer c’est de droite, (éditions Textuel), mais au coût social et environnemental dévastateur de cette industrie, de ses origines à aujourd’hui (esclavage, travail des enfants, pollution, etc.). Entretien.

Vous êtes médecin, cardiologue hospitalier, et vous avez écrit un livre, non pas sur les conséquences sanitaires des cigarettes mais sur l’impact social et environnemental de l’industrie du tabac. Pourquoi s’adresser aux fumeurs en tant que consommateurs et non en tant que patients ?

Les effets sanitaires du tabac sont aujourd’hui bien documentés et bien connus. Plus personne ne conteste le fait que fumer peut engendrer des problèmes de santé. Mais j’ai autour de moi des amis qui continuent pourtant de fumer. Donc l’idée de ce bouquin c’était de leur dire : «Vous n’arrivez pas à arrêter de fumer pour des raisons sanitaires, donc je vais vous donner une raison supplémentaire d’abandonner la cigarette, une raison politique.»

Dans les milieux de gauche et anticapitalistes, auxquels nous appartenons avec mes amis, nous luttons contre la construction d’aéroports pour les effets sur l’environnement, contre la malbouffe et le productivisme, nous privilégions les librairies à Amazon… Mais rien n’est pensé contre les multinationales du tabac, pourtant aux racines du capitalisme, et dont l’impact social et écologique est colossal. D’où mon titre « Pourquoi fumer c’est de droite » ; car en fumant nous finançons une des entreprises capitalistes les plus cyniques et les plus toxiques que l’on connaît, en opposition au modèle anticapitaliste prôné à gauche.

Olivier Milleron, auteur de « Pourquoi fumer c’est de droite ».

Et pourquoi selon vous, cette consommation reste un angle mort des combats militants ?

C’est difficile de l’expliquer. Mais l’industrie du tabac est très puissante pour nourrir nos imaginaires. Dans les milieux de gauche par exemple, la figure du fumeur est associée au virilisme mais aussi à un côté rebelle, à Marlon Brando. Et il y a une telle politique menée par les gouvernements contre les fumeurs dans les espaces publics que l’on pourrait envisager que fumer constitue un acte subversif.

Depuis longtemps, l’industrie du tabac parvient à associer la cigarette à des luttes. Le tabac est devenu notamment synonyme de liberté, d’émancipation pour les femmes. Alors qu’il s’agit de l’une des premières manipulations de l’opinion par l’industrie du tabac dans les années 1930. A l’époque, un certain Edouard Bernays, fameux communiquant, a organisé à New-York une manifestation d’apparence féministe, alors qu’il s’agissait de mannequins rémunérées pour l’événement. Il a convoqué la presse et a demandé aux femmes engagées de brandir et fumer une cigarette. Une cigarette désignée par la suite par les médias comme « un flambeau de la liberté ». Cela a tellement bien marché qu’il demeure encore aujourd’hui une corrélation dans certains pays entre l’implication politique des femmes, de leur accès au pouvoir, et le fait qu’elles fument ou pas.
Tout cet imaginaire-là, une propagande très puissante, permet assez facilement d’assimiler la cigarette à une certaine résistance.

Vous parlez dans votre livre d’une « industrie cynique et destructrice », impliquée dans l’esclavage, le travail des enfants, ou encore la corruption des scientifiques[1]. Quel pan de cette industrie, quel impact, vous a le plus marqué quand vous vous êtes penché sur son histoire ?

J’ai appris beaucoup de choses en écrivant ce livre. Mais ce qui m’a le plus étonné c’est le lien entre le tabagisme et l’esclavagisme. La découverte de ce que l’on appelle le « Nouveau Monde » et la production de nouveaux produits, comme le coton, le sucre ou le tabac, marque le début de l’exploitation de populations, de l’accaparation de richesses qui ne nous appartenaient pas. On estime que plus de dix millions d’Africains ont été déportés entre le XVIIe et le XIXe siècle et une bonne partie l’a été pour produire du tabac. Et par la suite le tabac deviendra même une monnaie d’échange pour acheter des esclaves.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser précisément aux origines et à l’histoire de l’industrie du tabac ?

Parce que de nombreux amis m’assuraient que l’homme avait fumé de tout temps. Comme si le tabac était intrinsèque à l’histoire de l’humanité, que c’était un bien universel. Et j’ai voulu vérifier cette information, qui s’avère fausse. Car le tabac est un produit du « Nouveau Monde ». Avant l’arrivée des Européens en Amérique, le tabac n’était pas employé comme un bien de consommation ; il était réservé à des cérémonies religieuses ou à des fins médicamenteuses. Le tabac est en réalité devenu un produit « grand public » avec l’avènement du capitalisme, dont il partage une histoire commune : production déconnectée des besoins humains, manipulations des consommateurs grâce à l’utilisation des moyens de communication modernes, recherche de profit et d’accumulation de capital, etc.

Vous présentez également dans votre ouvrage les conséquences actuelles de l’industrie du tabac, qu’il s’agisse du travail des enfants ou de l’impact environnemental. Pouvez-vous nous les présenter brièvement ?

Depuis des années, l’industrie du tabac délocalise sa production dans des pays pauvres, afin de s’affranchir des normes sociales et environnementales. En 2011, on estimait que plus d’un million d’enfants de moins de 14 ans travaillaient dans les champs de tabac. Donc si l’on achète actuellement des cigarettes, on favorise tout simplement le travail des enfants. Il n’y a plus l’esclavage, mais une forme d’exploitation économique des populations pauvres, dont des enfants, demeure.

On observe également un impact environnemental, car le tabac est toxique, de sa culture jusqu’à son déchet : pour produire du tabac, on déforeste, on appauvrit la terre via l’utilisation des pesticides, et la prédominance de la monoculture. La fabrication des cigarettes en elle-même est très polluante, et requiert beaucoup d’eau (il faut plus de trois litres d’eau pour concevoir une cigarette). C’est sans compter les émissions de CO2. On estime que les « Big Tobacco »[2] rejettent chaque année autant de CO2 que le géant du pétrole Exxon, soit l’équivalent de trois millions de vols transatlantiques par an. Il y a enfin le mégot, le déchet le plus collecté en nombre sur la planète. Or ce mégot est un concentré de toxiques (plus de 400 toxiques). Je rappelle notamment dans mon livre une expérience assez édifiante : dans un aquarium, il faut un mégot par litre d’eau pour tuer la moitié des poissons en moins de trois jours. Et pour faire le lien avec ce qui s’est passé cet été, de nombreux incendies sont provoqués chaque année par des cigarettes.

[1] Voir à ce sujet le documentaire « La fabrique de l’ignorance » sorti sur Arte en 2021.

[2] Nom utilisé pour désigner les plus grandes entreprises mondiales de l’industrie du tabac.


Pour aller plus loin

Olivier Milleron, Pourquoi fumer c’est de droite, Editions Textuel, 2022.

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