Pierre Larrouturou - « La finance doit être mise au service du climat »



Financer la transition écologique en Europe à l’aide d’une banque et d’un budget européen pour le climat.  C’est le projet que défend l’économiste Paul Larrouturou, co- initiateur du Pacte-Finance-Climat. Une idée qui fait son chemin auprès des dirigeants comme des citoyens européens. Rencontre.

 

Pour pousser l’Union Européenne à engager enfin la bataille climatique, vous proposez depuis 2012, avec le climatologue Jean Jouzel, un Pacte-Finance-Climat. Que prévoit – il exactement ?

Ce pacte a pour but de financer une transition accélérée dans tous les domaines : de l’isolation du bâtiment privé et public à la transformation de l’agriculture en passant par le développement des énergies renouvelables et des transports en commun. On souhaite mettre en place un nouveau traité européen qui proposerait deux outils de financement :

D’abord, la création d’une banque européenne du climat, une filiale de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), qui pourrait accorder chaque année des prêts à taux zéro aux pays signataires à hauteur de 2% de leur PIB pendant 30 ans, qui seraient entièrement consacrés à financer la transition écologique. La France aurait ainsi 45 milliards d’euros par an. D’autant plus que cette banque, en étant inscrite dans un traité, garantirait la stabilité. Pour des agriculteurs qui souhaiteraient se reconvertir apr exemple, il y aurait un réel accompagnement financier et humain dans la durée et non pas des aides qui varient d’une année à l’autre avec des règles qui changent tous les six mois.

Lors de la chute du Mur de Berlin, six mois ont suffi à Helmut Kohl et François Mitterrand pour créer la Banque Européenne pour la Construction et le Développement alors qu’on ne partait de rien. Cette banque du climat pourrait être mise en place en moins d’un an.

 

À l’image du sauvetage des banques lors de la crise de 2008 par la Banque Centrale Européenne (BCE), cette création monétaire que vous proposez pourrait donc sauver le climat ?

En effet, lors de la crise financière de 2008, la Banque Centrale Européenne a injecté 1000 milliards d’euros d’un coup pour sauver les banques. Et même si cela répondait à une situation exceptionnelle, ce n’est pas un cas isolé puisque depuis avril 2015, la BCE a créé 2600 milliards en 3 ans pour « relancer la croissance » ! Et le pire c’est que seulement 11% de cette somme est allée directement dans l’économie réelle et 89% à la spéculation… Donc il suffirait de rediriger cet argent et l’investir pour la transition écologique pour passer ainsi concrètement à la vitesse supérieure.

D’autant plus qu’en 2017, la Cour des Comptes a publié un rapport qui fustigeait l’inefficacité de la politique climat de l’Union Européenne et rejoignait les climatologues sur le fait que l’essentiel se jouait dans les dix ans qui viennent. Elle estime à 1115 milliards d’euros le montant nécessaire annuellement , entre 2021 et 2030, pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

 

« … Depuis avril 2015, la BCE a créé 2600 milliards en 3 ans pour « relancer la croissance » ! Et le pire c’est que seulement 11% de cette somme est allée directement dans l’économie réelle et 89% à la spéculation… »

 

C’est pour cela qu’il est aussi nécessaire selon vous de mettre en place un budget climat européen…

Oui c’est le deuxième outil de financement du Pacte. On ne questionne pas le fait qu’il y ait un budget pour l’Education ou pour la Défense. On propose alors un budget européen pour le climat doté de 100 milliards d’euros chaque année avec trois grands axes : 50 milliards pour payer la moitié de la facture d’adaptation des particuliers, collectivités et entreprises. Autrement dit, si vous devez faire 20 000 euros de travaux d’isolation dans le logement dans lequel vous vivez ou dans le bureau dans lequel vous travaillez, au moment de payer la facture vous recevrez un chèque de 10 000 euros de l’Europe et de la France.

On souhaite également lancer un « plan Marshall » de 40 milliards par an pour l’Afrique, continent où l’on parle aujourd’hui de « sida climatique ».  C’est un principe de justice climatique parce que l’Europe est pour l’instant assez bien protégée des conséquences du réchauffement climatique alors qu’elle est l’un des plus gros émetteurs, contrairement au continent Africain qui est le plus touché alors qu’il n’a provoqué que très peu d’émissions de CO2 et de méthane. Et pour finir, on souhaite accorder 10 milliards à la recherche pour inventer d’autres modes de transports et de télécommunication respectueux de l’environnement.

Depuis 2012, Pierre Larrouturou sillonne l’Europe pour promouvoir son Pacte-Finance-Climat qu’il a imaginé avec le climatologue Jean Jouzel. Fondateur du parti politique « Nouvelle Donne », il a rejoint la liste que conduira Raphaël Glucksmann pour les européennes. ®DR

 

Où comptez-vous trouver cette somme de 100 milliards d’euros ?

Pour nous c’est simple, il faut arrêter la concurrence fiscale intra-européenne qui a divisé par deux la taxe sur les bénéfices (de 45% à 19%) en Europe depuis 30 ans. Jamais les dividendes versés aux actionnaires n’ont été aussi importants alors que jamais nous n’avons taxé aussi peu les bénéfices. L’idée est de créer un impôt européen sur les bénéfices qui serait de l’ordre de 5% en moyenne et qui dépendrait de l’évolution du bilan carbone de l’entreprise. Ce serait une solution fiscale acceptable qui est juste politiquement et socialement et viable économiquement puisqu’elle ne toucherait pas les artisans et les petites entreprises mais demanderait un effort aux actionnaires.

 

Mais comment convaincre les actionnaires justement ?

Quand Roosevelt a créé l’impôt sur les bénéfices aux Etats-Unis en 1933, il était de 38% ! Et même si certains l’accusaient d’être un communiste qui souhaitait tuer l’Amérique, l’impôt a tenu plus de 80 ans sans nuire à la prospérité du pays le plus libéral au monde. Même sous Donald Trump, l’impôt sur les bénéfices est encore à 24% aujourd’hui alors qu’il est à 19% en Europe, c’est tout de même paradoxal !  Donc demander un impôt entre 1 et 5%, c’est objectivement très raisonnable. C’est normal que les actionnaires soient récompensés puisqu’ils prennent des risques en créant une entreprise mais on demande à chacun de faire un effort pour le climat. On part du principe qu’on ne peut pas demander ce « sacrifice » à des gens qui n’ont pas un euro d’économie et sont dans le rouge tous les mois, et on l’a bien vu avec les Gilets Jaunes, alors que les dividendes explosent. Demander cet effort va d’autant plus renforcer l’économie puisque l’argent récolté retournera en partie aux entreprises et servira à créer des emplois.

 

L’idée de banque européenne du climat a été reprise sur les listes de plusieurs partis dont Renaissance de la République en Marche (LREM) pour les élections européennes. Est-ce que cela vous réjouit ?

Très honnêtement, Emmanuel Macron, en deux ans de présidence, n’a jamais évoqué cette idée au Conseil Européen ou ailleurs. Cela ressemble à un énième effet d’annonce avec rien de concret derrière. Lors de sa démission, Nicolas Hulot a rappelé qu’il y a une énorme inertie avec un blocage colossal des lobbies. Et en ce qui concerne la création d’une Banque, LREM reste assez vague sur les méthodes de financement. D’autant plus que la majorité n’a jamais parlé d’un budget européen du climat qui est indispensable d’appliquer en complémentarité d’une banque pour le climat selon moi. Je ne pense pas que le parti remette en cause la taxe sur les bénéfices et encore moins de demander un effort aux actionnaires… Je ne pense pas qu’ils se rendent compte qu’il faut d’ici 2021 des financements à la hauteur des enjeux sur tous les territoires d’Europe.

Depuis 2012 on se bat pour montrer que notre Pacte est solide avec la preuve que c’est un projet qui fédère puisque des gens de tout bord nous ont rejoint. On a d’un côté Laurence Parisot et de l’autre Laurent Berger, le patron du syndicat européen, Alain Juppé et Jean-Marc Ayrault ou encore Manuela Carmena (Podemos) mais aussi des gens qui n’ont jamais fait de la politique.  On a en même temps des mouvements citoyens non violents comme Alternatiba, ANV COP21 et des institutionnels, on a des économistes et des banquiers qui approuvent le projet et des juristes qui nous disent que c’est possible. Ce Pacte a créé un véritable collectif, un vrai lobby citoyen européen.

 

Pourtant n’est-ce pas contradictoire d’avoir rejoint la liste Envie d’Europe de Raphaël Glucksmann tout en ayant créée ce « lobby citoyen » que vous défendez à travers le Pacte ?

J’ai décidé de rompre avec la naïveté qu’il suffit d’écrire un bouquin ou écrire un article intelligent et que les idées se vendent toutes seules. Je suis convaincu qu’il faut une stratégie « en tenaille » c’est-à-dire à la fois d’être sur le terrain, dans les mouvements non violents, dans les manifestations qui mobilisent les citoyens et interpellent les dirigeants et en même temps gagner une place en tant que député pour inverser ce manque de volonté politique qui est le véritable souci. Il faut, au Parlement, argumenter en faisant un travail d’explication sur l’urgence de la situation auprès des dirigeants qui n’ont pas encore compris l’ampleur de la bataille sociale et climatique et qu’on a les moyens de le faire. Le choix des socialistes est tactique car d’autres partis européens de la même famille comme celui de Pedro Sanchez en Espagne ont décidé d’appliquer le Pacte-Finance-Climat avec un objectif clair : si l’on gagne, on se met autour de la table dès lundi et ont choisi qui remplace Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission Européenne pour pouvoir mettre en place le Pacte-Finance-Climat le plus rapidement possible.

 

Vous pensez que l’Europe peut donc sauver le climat mais est-ce que le climat peut lui relancer le projet européen ?

Je pense que c’est le seul sujet qui parle à tous. Aux jeunes et aux personnes âgées, au Danemark comme au Portugal, à ceux qui votent pour Salvini comme ceux qui votent pour Mélenchon. C’est un vrai sujet fédérateur qui concerne tout le monde. Quand Kennedy suggère en 1962 qu’il faudrait aller sur la lune, beaucoup l’ont pris pour un illuminé mais a en même temps donné beaucoup de frissons à des millions de gens. Sept ans plus tard on est allé sur la Lune en créant 400 000 emplois. Alors se dire qu’on peut sauver la planète, ou plutôt sauver notre humanité doit être un cap qu’on doit se fixer et que rien ne peut arrêter.

 

Propos recueillis par Maëlys Vésir

Le 24 mai 2019
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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