Nuit debout, les citoyens prennent la République en main
Le mouvement Nuit debout a émergé après la manifestation du 31 mars 2016 contre la loi El Khomri. Les opposants y voient une manière de reprendre leurs avenirs en main. Leur méthode ? Prendre la place de la République et la transformer à la tombée de la nuit en agora. Ainsi émergent groupes de discussion, commission d’action, assemblée et prise de décisions.

A l’initiative du collectif la Convergence des luttes, le mouvement Nuit debout ne faiblit pas place de la République. L’idée d’une nuit debout est venue lors des avant-premières du film Merci patron ! de François Ruffin. Le 31 mars après la journée de mobilisation qui a rassemblé entre 390 000 manifestants selon les autorités et 1,2 millions selon la CGT, le film était projeté sur écran géant place de la République suivi du discours de Frédéric Lordon, économiste, sociologue et membre du collectif Les économistes atterrés. Depuis, les manifestants occupent la place de la République à partir de 17 heures jusqu’à minuit.
Assis sur le bitume, ils sont des centaines à échanger et à débattre de la loi Travail et de bien d’autres questions économiques et sociales actuelles. Chaque soir, les mains se lèvent vers 18 heures pour voter en assemblée générale les futures actions à mener. Maïté, jeune éducatrice, nous explique en cinq points le mouvement Nuit debout. Elle, n’est pas engagée au quotidien dans un parti politique mais tenait à faire sa part en agissant pour le mouvement et en prenant part aux commissions et aux assemblées générales où la prise de parole est libre.
- Pourquoi occupez-vous la place de la République?
Le 9 mars, lors de la première journée de mobilisation contre la loi El Khomri, des tracts circulaient incitant les manifestants à rester dans la rue après le rassemblement du 31 mars. Présente à chaque manifestation contre la loi Travail, j’ai voulu participer à cette contestation citoyenne. L’ambiance qui règne ici est impressionnante. Ces mouvements nous font réaliser que nous ne sommes pas seuls. Nous discutons tous ensemble, prenons des décisions collectives : chacun a le pouvoir de changer les choses à son échelle.
Après la projection de Merci patron !, Frédéric Lordon a pris la parole et a remercié les membres du gouvernement d’avoir permis un rassemblement autour de plus grandes problématiques au-delà de la loi Travail. Ici, émergent des groupes de discussion et le mouvement grandi jour après jour.
- Comment définissez-vous le mouvement Nuit debout ?
Ici, il n’y a ni chef, ni leader. Nous ne voulons ni personnaliser le mouvement ni avoir un représentant. A priori tout le monde est contre la loi El Khomri. Être contre cette loi signifie vouloir une vie plus démocratique. Nous sommes tous d’accord pour dire que c’est une critique du capitalisme en général. D’autres contestations nous rassemblent : la question des réfugiés, l’état d’urgence. Beaucoup de choses s’accumulent et dépassent la loi Travail.
- Comment s’organise un mouvement qui se veut « sans chef » ?
Des petites commissions discutent et réfléchissent ensemble autour d’un sujet dans l’après-midi puis le présente en assemblée générale. Si je prends la gestion d’une commission demain je laisse la place à une autre personne quelques jours plus tard. Chaque soir à 18 heures, une assemblée générale a lieu, tout le monde y est convié et peut voter. Pour ma part, je fais partie de la commission action et tout est très concret. Nous avons appris qu’un colloque avec Manuel Valls avait lieu lundi 4 avril dans le centre de Paris. Nous nous sommes postés dans la rue et à sa sortie, nous l’avons entouré brandissant nos pancartes. Lors de la Nuit des débats organisée par la maire de Paris, le mouvement a décidé de faire irruption dans l’église Eustache et d’interpeller Anne Hidalgo. D’autres actions vont être mises en place après la manifestation prévue le 9 avril.
- Selon vous, un mouvement des Indignés français est né ?
Il y a des connexions avec les Indignés d’Espagne, nous ne sommes pas les premiers et heureusement. C’est un mouvement global. Les Indignados sont venus nous parler de leur expérience et du chemin qu’ils ont parcouru : de la rue au pouvoir, des Indignados à Podemos. Nous avons repris leurs codes d’organisation notamment lors des prises de parole collective : utiliser des moyens simples pour communiquer facilement avec un grand nombre de personnes. Lors de chaque assemblée, les prises de décisions se font grâce à la gestuelle des mains et permettent d’avoir une vision globale des avis divergents et éviter la cacophonie. Podemos nous épaule et nous fait profiter de son expérience. Bien que nous n’ayons pas repris le terme d’Indignés, nous sommes indignés par beaucoup de choses.
- Déjà une semaine d’échanges, quels sont vos objectifs ?
L’écriture d’une constitution alternative se dessineDes cahiers de doléances tournent parmi les opposants. Pour l’instant, l’avenir de ces textes n’est pas défini, la décision sera prise lors des prochaines assemblées. Des efforts restent à faire, nous devons nous structurer, comprendre qui nous sommes et où nous voulons aller. Il faut rassembler le plus largement possible, sensibiliser et surtout ne pas exclure.

Jessica Robineau
© Kaizen, construire un autre monde… pas à pas
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