Agriculture

Mathieu Courgeau – « La PAC, c’est notre alimentation, nos territoires ; on ne peut pas se contenter d’une micro réforme »

Par Maëlys Vésir, le 19 octobre 2020

©Pour une autre PAC

Alors que le Parlement s’apprête à voter, le 21 et 22 octobre prochain, la nouvelle réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) pour 7 ans, la plateforme Pour Une Autre PAC exige des eurodéputés sa refonte totale et appelle les citoyens à exiger une PAC juste et durable pour les paysans et le contenu de leurs assiettes. Explications avec son président, Mathieu Courgeau.

 

Votre plateforme, réunissant 43 organisations, exige des eurodéputés d’entamer une transition agroécologique en réformant en profondeur la PAC. Est-ce que le prochain vote du Parlement ne va t-il pas justement dans ce sens ? 

En mai dernier, la nouvelle commission européenne avait mis en avant un “Pacte Vert européen” (Green Deal) promettant des éco-dispositifs ambitieux pour réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2030, baisser de 20 %, l’utilisation des engrais et de développer l’agriculture biologique, à hauteur de 25 % des terres cultivées. Le problème c’est que sa mise en place n’est pas contraignante et non intégrée dans les objectifs concrets de la PAC.

Les discussions en cours au niveau européen confirment malheureusement une volonté de maintenir notre modèle alimentaire et agricole européen en l’état, c’est-à dire un modèle clairement malade.  En France, 200 fermes disparaissent chaque semaine, le quart des paysans vit sous le seuil de pauvreté et dans dix ans, la moitié de nos agriculteurs partira à la retraite. Sur le plan environnemental, c’est 70% des insectes qui ont disparu en 30 ans, c’est 25% de pesticides en plus qui ont été utilisés, sans parler des taux d’émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture intensive… Un constat lié directement à notre PAC car c’est la politique mère en terme agricole depuis des décennies.

« Les discussions en cours au niveau européen confirment malheureusement une volonté de maintenir notre modèle alimentaire et agricole européen en l’état, c’est-à dire un modèle clairement malade. »

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Pourtant la France est le premier bénéficiaire de la PAC qui lui verse 9 milliards d’euros par an. Comment cet argent est-il distribué ?  

C’est le souci majeur de la PAC selon nous : une répartition inégale et injuste des aides. Les aides directes aux agriculteurs – comprises dans le premier pilier de la PAC- sont versées majoritairement à l’hectare et donc profitent encore aux plus grandes exploitations. Une logique non seulement antinomique avec l’environnement parce que l’on sait bien que plus une ferme possède des surfaces importantes, plus l’utilisation de pesticides sera conséquente mais aussi incohérente avec l’emploi, car l’agrandissement des parcelles crée moins d’emplois et rend plus difficile l’installation des jeunes avec les problèmes de foncier qui s’ajoutent. C’est véritablement un mode de distribution qui engendre de vrais effets pervers. Tout ce qui se fait sur de petites surfaces comme le maraîchage, l’arboriculture ou encore l’apiculture sont alors très peu aidés. C’est incompréhensible en termes de santé humaine puisque dans le cas du maraîchage par exemple, il y a un enjeu extrêmement fort sachant que nous importons encore aujourd’hui 50% de nos fruits et légumes.

« C’est le souci majeur de la PAC selon nous : une répartition inégale et injuste des aides. »

D’autant plus que même si le budget de la PAC est assez conséquent, la plupart des paysans ont des revenus proches de la misère parce qu’il y a une vraie captation des aides par l’amont et l’aval des filières agricoles. Par exemple dans le secteur de la viande bovine, un secteur qui reçoit beaucoup d’aides, la captation de la valeur comme des grands groupes comme Bigard (propriétaire de Charal) est très importante. Les contribuables donnent ainsi de l’argent à la PAC, via les impôts, qui passent certes, dans la poche des agriculteurs mais pour repartir automatiquement dans celles de l’agro-alimentaire…

 

 

Quelles sont les mesures concrètes que vous proposez pour réorienter l’argent de la PAC ? 

Notre ambition depuis 2017 est de redessiner l’architecture globale de la PAC pour permettre une véritable transition agricole et alimentaire. Nous avons rédigé des amendements spécifiques qui favoriseraient plusieurs leviers comme le plafonnement des aides, soit d’arrêter d’arroser des fermes géantes en Europe, mais aussi d’aider les petites fermes et se concentrer sur un paiement redistributif aux premiers hectares.

Pour permettre aux paysans de réadapter leurs pratiques, nous militons également pour que 40% du premier pilier de la PAC soit réorienté sur les éco-dispositifs du « Pacte Vert européen ». On ne peut pas demander aux paysans de ne plus mettre du jour au lendemain moins de pesticides et moins d’engrais sans leur donner les moyens de le faire. Un véritable accompagnement financier pour entamer une transition est donc primordial et cet argent est déjà présent dans l’enveloppe globale de la PAC.

 

« Les enjeux dans les dix ans sont tellement importants qu’on ne peut pas se contenter d’une micro réforme de la PAC. »

 

Quels moyens d’actions mettez-vous en place pour peser sur les décisions des instances européennes à venir ? 

Nous interpellons directement les eurodéputés, notamment français pour faire pression. Plus on arrivera à faire pression sur le cadre européen, mieux ce sera. Nos 43 organisations représentent une force et permet de jouer sur tous les tableaux, soit une bataille au niveau des conditions de vie des agriculteurs, des pesticides, de la santé alimentaire, du bien-être animal etc. Nous multiplions nos forces pour faire monter le niveau du consensus européen au niveau de la réforme 2021-2027.  Les enjeux dans les dix ans sont tellement importants qu’on ne peut pas se contenter d’une micro réforme de la PAC.

 

 

Au-delà de ce rôle de plaidoirie, comment les citoyens peuvent se réapproprier tous ces enjeux autour de la PAC ? 

La sensibilisation des citoyens est notre deuxième levier d’action pour faire avancer les choses. La PAC est un sujet abscons, technique mais en même temps central parce que c’est l’affaire de tous au quotidien. La PAC, c’est notre alimentation, nos paysages, nos territoires, notre environnement, etc. On essaye de faire prendre conscience au maximum que les politiques agricoles ont des répercussions sur nos vies de tous les jours, en essayant de décrypter, expliquer comment toute cette grosse machine fonctionne et permettre à chaque concitoyen de s’en emparer.

« La PAC est un sujet abscons, technique mais en même temps central parce que c’est l’affaire de tous au quotidien. La PAC, c’est notre alimentation, nos paysages, nos territoires, notre environnement, etc. On essaye de faire prendre conscience au maximum que les politiques agricoles ont des répercussions sur nos vies de tous les jours. »

Pour cela, nous appelons à manifester et avons aussi lancé une campagne Good Food Good Farming pour que les citoyens eux-mêmes interpellent les députés directement via les réseaux sociaux. Et on le sent, la prise de conscience est grandissante. L’agriculture et l’alimentation sont des sujets centraux pour les gens et la crise sanitaire, le confinement a amplifié cette prise de conscience et la volonté de retrouver du sens à nos modes de vie alimentaires.


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