Marcher, une thérapie pour se reconstruire



Partir sur les chemins est un bon moyen de se reconstruire physiquement et moralement. Retours d’expérience.

« À 17 ans, j’étais en conflit avec mes parents. J’ai fugué et je me suis retrouvée en foyer. L’Aide sociale à l’enfance (ASE) a estimé que je n’avais rien à y faire et m’a proposé d’effectuer une marche de rupture pendant trois mois. J’ai un peu halluciné, mais j’ai accepté le challenge. Avec Marie, mon éducatrice, on a traversé l’Espagne : 1 600 kilomètres à pied ! Au retour, j’étais quelqu’un d’autre… » Océane, âgée aujourd’hui de 23 ans, garde un souvenir marquant de ce périple. « À l’époque, j’étais complexée par mon physique. Je ne faisais pas de sport. J’étais persuadée que j’allais abandonner en route. Mais dès que j’avais des doutes, mon accompagnatrice me remotivait. Et ma famille, avec qui j’étais pourtant en froid, m’écrivait des messages de soutien. Quand je suis rentrée, ils étaient là pour m’accueillir, c’était hyper émouvant. Aujourd’hui encore, quand j’ai un coup de mou, je repense à cette marche. J’en retire de la fierté. C’est un socle. Six ans après, alors que je suis devenue mère de famille, elle continue de m’accompagner au quotidien. »

Comme Océane, chaque année, une trentaine de jeunes en rupture sociale partent marcher avec l’association Seuil, sur les chemins de Saint-Jacques. « À travers la marche, nous les amenons à devenir les acteurs de leur propre réinsertion, explique Paul Dall’Acqua, directeur de cette association fondée à Paris en 2003. Ils partent sans téléphone portable et sans musique. C’est un vrai sacrifice pour ces adolescents mineurs, dont une moitié a commis des actes de délinquance. Certains sont sous le coup d’une condamnation en justice. La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) leur propose alors cette marche comme une alternative à la peine. Avant de partir, on définit ensemble un objectif qui peut être un retour en famille, en foyer, la reprise des études, la recherche d’un emploi… » 73 % des jeunes vont jusqu’au bout. Pour certains, c’est un tremplin immédiat. Pour d’autres, le déclic viendra plus tard. Cette marche constitue un élément sur lequel s’appuyer durablement. « Sur le sentier, ils sont confrontés à leurs doutes, à leurs erreurs, à leurs peurs. Peu à peu, ils découvrent leurs forces et peuvent envisager un autre chemin, témoigne Julie Tanniou, éducatrice spécialisée. C’est aussi un bon exercice de sociabilisation. Les ados regardent souvent les adultes avec méfiance. Là, ils croisent des randonneurs impressionnés par leur démarche. C’est gratifiant. Ils retrouvent la confiance et l’estime d’eux-mêmes. »

« Je suis parti en boitant, je suis revenu en marchant »

Pour renaître à la vie et se reconstruire après un grave accident qui l’a cloué quatre mois sur un lit d’hôpital, l’écrivain voyageur Sylvain Tesson s’est lui aussi mis en marche. « J’avais le crâne fracassé, le corps brisé… Vingt-six fractures au total ! Je me suis fait le serment que si je m’en sortais, je traverserais la France à pied », explique-t-il dans son livre cathartique, Sur les chemins noirs (Gallimard, 2019). À un médecin qui lui propose de partir en centre de rééducation, il répond : « Je préfère demander aux chemins ce que les tapis roulants sont censés me rendre : mes forces. Me rééduquer commence par ficher le camp. » Et il se lance sur les sentiers pour un périple de trois mois qui le mènera de l’arrière-pays niçois au nord du Cotentin. 1 000 kilomètres à pied en évitant les villes et les routes goudronnées pour échapper aux « zones de laideur » et privilégier les sentes pleines de ronces, à la manière d’un animal.

Des tracés oubliés, tout juste visibles sur les cartes au 25 000e sous forme de petits traits, les fameux « chemins noirs ». Sylvain Tesson choisit, malgré la douleur, de bivouaquer à la dure, dormant à la belle étoile, bercé par le cri des chouettes, ne louant que rarement une chambre d’hôtel. « Je suis parti en boitant. Je suis revenu en marchant. Chaque jour pourvoyait à une amélioration de mes fonctions physiques. Parfois c’était la souplesse que je sentais revenir, un autre jour le souffle était moins court et aujourd’hui, je n’ai pas ressenti la moindre douleur au dos », écrit-il encore. Une lente reconquête de son corps pour arriver à éprouver « ce sentiment d’être à nouveau à la verticale de soi-même ». Une thérapie par la marche, physique et mentale : « l’effort faisait son office de rabot, il ponçait mes échardes intérieures. » Et une reconquête de sa liberté : « Quand on marche, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre. À chacun de trouver ses chemins noirs. »


Réapprendre à marcher

« Une heure de marche quotidienne est la meilleure façon de rester en forme. À condition de le faire correctement. Quand j’observe les gens dans la rue, je suis saisi par les mauvaises postures, les boiteries inconscientes, les déséquilibres, les compensations… Ils me donnent du travail pour les vingt prochaines années », note avec humour l’ostéopathe parisien Jacques Lachant. Lassé de voir ses contemporains « marcher n’importe comment », il s’est mis en tête de leur réapprendre les bases. « Bien marcher, c’est d’abord se tenir droit, le regard porté vers l’avant, la démarche souple, déliée, légère… C’est une vraie chorégraphie, normalement naturelle, mais les accidents de la vie et les mauvaises positions au travail peuvent dérégler la machine. Quand quelqu’un vient me voir pour un problème de cheville, de genou, de hanche, de dos, mon premier réflexe consiste à examiner sa marche. » D’abord, repérer les défauts. Une personne avec une entorse mal soignée marchera trop sur son talon à cause d’une raideur de l’arrière-pied. Une autre avec une lombalgie chronique se déplacera « comme un marin ivre », le ventre en avant et les jambes écartées. Ensuite, corriger. « En quelques séances, on peut retrouver de la légèreté et du plaisir à marcher. Et la pathologie va disparaître. Je travaille beaucoup sur la présence, la proprioception. Quand la marche est juste, elle rassemble : les mains sont présentes dans le mouvement, le regard est mobile, les abdominaux travaillent, le tonus musculaire revient et le cerveau se remet également en mouvement. Savoir marcher, c’est se donner un vrai confort de vie. »

Pour aller plus loin

www.jacqueslachant.com

Le 4 juin 2020
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

Soutenir Kaizen Magazine, c'est s'engager dans un monde de solutions.

Notre média indépendant a besoin du soutien de ses lectrices et lecteurs.

Faites un don et supportez la presse indépendante !

JE FAIS UN DON

Marcher, une thérapie pour se reconstruire

Close

Rejoindre la conversation