Politique

Damien Carême, maire de Grande-Synthe, met en place le premier revenu de base en France



Assurer un « minimum social garanti » à tous les habitants de la ville vivant sous le seuil de pauvreté ? C’est le pari de Damien Carême, maire de Grande-Synthe, dans la périphérie de Dunkerque (Nord), depuis 18 ans, et candidat EELV (Europe-Ecologie-Les-Verts) aux européennes. L’élu, fervent défenseur du revenu universel, souhaite « éradiquer la pauvreté en mettant l’écologie au service du social ».

Damien Carême est maire de Grande-Synthe (59), depuis 2001, et candidat EELV aux élections européennes.

 

Pourquoi et comment mettre en place un minimum social garanti à Grande-Synthe ?

L’objectif du dispositif de minimum social garanti est d’éradiquer la pauvreté, insupportable aujourd’hui, qui touche 33% des habitants de Grande-Synthe. Je veux faire sortir les habitants de ma commune de la situation d’angoisse sociale dans laquelle les met la pauvreté. L’angoisse de ne pas savoir s’ils vont pouvoir payer leur loyer, l’angoisse de se faire expulser de leur logement, l’angoisse de ne pas pouvoir donner à manger à leurs enfants… Une angoisse qui apparaît dès le 15 du mois, voire bien avant !

Officiellement voté en conseil municipal le 27 mars dernier, le minimum social garanti concerne les habitants de Grande-Synthe, résidents depuis au moins trois ans, qui vivent sous le seuil de pauvreté bas : 855€ mensuels pour une personne seule, 1800€ mensuels pour un couple avec deux enfants en bas âge. Concrètement, cela concerne les bénéficiaires de minima sociaux, comme le RSA (Revenu de solidarité active), les familles monoparentales ou les retraités, notamment les femmes qui reçoivent une pension de réversion. Au total, on estime que le programme va profiter à 3 700 familles, soit 17,2% des Grands-Synthois.

A l’heure actuelle, la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) épluche les dossiers de toutes les personnes susceptibles de recevoir le minimum social garanti. Les premiers versements débuteront le 1er mai 2019. Ils se poursuivront tant que le bénéficiaire ne justifie d’aucun changement de situation financière. Ces derniers s’engagent à venir tous les mois justifier de leur situation auprès de la CCAS, et à mettre en place un accompagnement socio-professionnel.

 

Les solutions aux maux actuels viendront-elles des villes ?

Les villes sont souvent en avance sur le gouvernement. Dans la lutte contre la pauvreté, mais aussi contre le changement climatique. Par exemple, l’intercommunalité de Dunkerque, dont fait partie Grande-Synthe, a décidé de rendre les transports publics gratuits. Cela répond à un problème à la fois social, environnemental et sanitaire. La pollution de l’air est en effet bien plus meurtrière que les accidents de la route : 68 000 morts par an pour la première, contre 3 500 morts pour les seconds. Une multitude de réponses se mettent en place au niveau local. L’Etat a le pouvoir de les soutenir – mais il ne le fait pas.

Un changement politique radical est nécessaire au niveau national. Les politiques ont fait le choix d’un modèle de développement tourné vers la société de consommation. Les gouvernements sont à genoux devant l’économie. Or cela devrait être l’inverse : l’économie au service de la société et de l’environnement. Ce modèle productiviste nous a mis dans le mur, comme en témoigne la conjonction de crises sans précédent auxquelles nous faisons face : crise environnementale, crise sociale, crise de l’accueil des migrants…

 

Le minimum social garanti est-il une étape transitoire vers le revenu universel ?

Le minimum social garanti est une réponse locale à un désespoir global. En France, la pauvreté augmente, les écarts de revenus sont de plus en plus grands et la répartition des richesses se fait de moins en moins. C’est ça le désespoir. Les choix politiques des gouvernements actuels et passés ne parviennent pas à répartir équitablement ces richesses. 2% de l’humanité possède plus de la moitié des richesses mondiales. Il faut sortir de ce modèle ! Localement, on montre que c’est possible. Le minimum social garanti permet une meilleure répartition des richesses, en permettant à ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté de s’en sortir.

Mais le dispositif que nous mettons en place dans la ville de Grande-Synthe n’est ni un revenu, ni universel. La ville seule ne peut pas décider de mettre en place un revenu universel pour tous. Ce n’est pas du ressort de l’échelon local mais bien du national. Je suis un ardent défenseur du revenu universel. A Grande-Synthe, j’ai été candidat à l’expérimentation du revenu de base. Je réclame aussi une augmentation du SMIC depuis des années. Mais les gouvernements successifs n’ont pas l’air de vouloir s’attaquer au problème de la pauvreté en France.

 

Pourquoi faudrait-il, selon vous, mettre en place un revenu universel ?

28% des habitants de Grande-Synthe sont au chômage. En France, 3,7 millions de personnes n’ont pas d’emploi. Il est illusoire de penser que l’on créera autant de millions de postes supplémentaires. Les sources des revenus vont nécessairement changer. Par exemple, aujourd’hui, un travailleur d’ArcelorMittal, l’entreprise la plus polluante de France, crée de la richesse. Il enrichit les détenteurs des capitaux de l’entreprise, la bourse de Londres, etc. Alors qu’un chômeur grand-synthois, qui encadre bénévolement des enfants dans le club de football de la ville, ne touche rien mais apporte beaucoup plus à la société que le premier. La richesse produite par le travail n’alimente plus que quelques personnes…

En plus de réduire les injustices sociales et économiques, le revenu universel interroge ainsi le sens donné au travail. La double montée du nombre de demandeurs d’emploi dans notre pays et celle des travailleurs pauvres est un signal très clair : il nous faut penser autrement le monde et notamment notre rapport au travail, au revenu, à l’emploi. Le revenu universel pose une question philosophique : quel modèle de société souhaite-t-on pour demain ?

 

Comment financer des dispositifs aussi ambitieux ?

Ce dispositif assure à chaque Grand-Synthois un minimum pour vivre de 855€ au total. On estime que cela coûtera 1,4 à 2 millions d’euros par an à la collectivité. Nous prendrons en charge nous-mêmes l’entièreté des coûts, grâce à des économies d’énergie réalisées par la commune. 700 à 800.000€ d’économies pourront être réalisées grâce à la rénovation énergétique des bâtiments, l’isolation, ou encore la connexion des bâtiments de la ville au réseau de chaleur de l’usine ArcelorMittal. Nous avons déjà économisé 500.000€ sur l’éclairage public, qui sont réinvestis pour financer le minimum social garanti. L’écologie se met au service du social.

Le revenu de base, quant à lui, doit permettre à chacun de dépasser le seuil de pauvreté : il s’agirait de donner 1.000 à 1.500€ à chacun, quel que soit sa situation. Le coût pour l’Etat français est estimé à 450 milliards d’euros ; mais avec les déductions d’impôts des plus aisés, le coût final ne serait « que » de 80 milliards d’euros par an – soit autant que pour le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). L’Etat a les moyens de faire autrement. Reste à avoir la volonté politique.

 

Quelles autres expériences la ville de Grande-Synthe mène-t-elle pour lutter contre la pauvreté ?

Le minimum social garanti est uniquement une solution numéraire pour sortir les gens de la pauvreté. On leur donne de l’argent pour pouvoir payer leurs factures d’énergie, leur loyer, leur nourriture : c’est un levier essentiel. Mais il existe plein d’autres aspects sur lesquels la ville de Grande-Synthe s’engage déjà : la cantine 100% bio et local à 50 centimes, la prime à l’achat d’un vélo et celle pour la réhabilitation énergétique, des ateliers ‘do it yourself’ organisés pour autonomiser les habitants, mais aussi une outilthèque, une médiathèque gratuite, des cartes culture ou sport, des repair café pour réparer plutôt que jeter…

Toutes ces mesures sociales et ces événements de sensibilisation à l’écologie sont des réussites ! 1.000 primes à l’achat de vélo ont été distribuées, sur les 8.000 foyers que compte la commune. Les habitants de Grande-Synthe, même les plus précaires, participent en nombre et avec plaisir. Ils se rendent compte que c’est bon pour leur pouvoir de vivre et pour la planète. Ce sont également des événements créateurs de lien social. Les gens se rencontrent, discutent, rient… À Grande-Synthe, on ne fait pas d’écologie triste.

 

Propos recueillis par Marion Dugrenier


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