Du 4 au 6 février à Brest, un collectif de lutte a animé des conférences, les Soulèvements de la mer, pour s’opposer au One Ocean Summit, un sommet mondial qui débutera ce mercredi 9 février et qui entend renforcer la coopération internationale pour la protection des océans. Le but de ce contre-sommet : dénoncer la vision mercantile de la préservation des fonds marins.
Ce ne sont pas des « pros » comme l’annonce d’emblée un bénévole d’un ton hésitant au micro, ce vendredi 4 février, sur l’estrade d’un amphithéâtre de la faculté Victor Segalen à Brest. Mais en moins de deux mois, le collectif VivesEaux est parvenu à organiser un contre-sommet, les Soulèvements de la mer, pour s’opposer au One Ocean Summit. Ce sommet mondial, qui réunira une vingtaine de chefs d’Etats ou de gouvernements, ONG, scientifiques et entreprises, s’ouvre ce mercredi 9 février, également dans la cité portuaire, pour échanger sur le futur des fonds marins.
Au programme de cet évènement dont la France[1] est à l’initiative : tourisme durable, navires à zéro émission, les grands ports, les femmes dans la pêche… « Des sujets consensuels » et un « programme flou », selon le collectif VivesEaux, qui dénonce un simple « coup de com’ » du gouvernement.
Après le greenwashing, place au bluewashing
Tout commence en septembre 2021, lorsque le président Emmanuel Macron annonce la tenue prochaine d’un grand sommet international, le One Ocean Summit, pour « lancer des initiatives en matière de recherche, en matière de juridiction internationale » sur les océans. « On a tout de suite trouvé cela suspect, car il y a déjà eu auparavant des sommets avec le même nom, comme le One Planet Summit, où il s’agissait de verdir la finance. Après le greenwashing, place au bluewashing », pointe du doigt un membre du collectif, qui a préféré rester anonyme.
Ne se reconnaissant pas dans cette conception de l’écologie, où protection et exploitation font bon ménage, des usagers de la mer se sont regroupés en collectif et ont décidé d’organiser un contre-sommet, les Soulèvements de la mer. Parmi les sujets abordés, l’impact des aires marines protégées, l’exploitation des océans via le concept de l’économie bleue (« Investir dans le Bleu » est au programme du One Ocean Summit, ndlr), la privatisation des espaces marins, ou encore la question de la pêche industrielle, absente du sommet officiel. Alors même que des images de milliers de poissons morts, qui auraient été causés par un accident de pêche d’un bateau-usine, ont choqué de nombreux Français la semaine dernière. « Les gens qui défendent l’environnement, c’est nous qui les invitons », assure un organisateur.
Thibault Josse, coordinateur de l’association Pleine Mer.
Pour Thibault Josse, coordinateur de l’association Pleine Mer, qui soutient la pêche durable, ce contre-sommet est l’occasion de discuter de « vrais sujets », et de parler des « grands oubliés » du One Ocean Summit : les pêcheurs. L’association, qui est intervenue le samedi lors des échanges, assure ne rien attendre de cet événement mondial. « Des engagements, il y en a toujours eu, comme avec la COP21. Mais rien n’a changé », se désole Thibault Josse.
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La question de l’extraction minière en mer
Les Soulèvements de la mer ont abordé un autre sujet qui brille par son absence au One Ocean Summit : l’exploration des grands fonds. Le président français avait annoncé en novembre dernier sa volonté d’ « explorer » (et non « exploiter » s’était-il empressé de préciser) les océans afin d’accéder à des métaux rares, comme le nickel, le cobalt ou le zinc, composants des batteries électriques. On les retrouve notamment sous forme de petits cailloux, des nodules polymétalliques, qui attirent beaucoup de convoitise. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a adopté en septembre 2021 un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds, moratoire sur lequel la France s’est abstenue.
Alors que plusieurs ONG s’inquiètent des dégâts environnementaux liés à cette exploration, pourquoi ce sujet n’est-il pas abordé lors de ce grand sommet sur les océans ? « C’est une question trop polémique. Ils ne peuvent pas dire : ‘on va faire de l’extraction minière, on va faire du forage’, sans mettre en place des mesures environnementales pour faire passer la pilule », affirme le collectif VivesEaux.
La protection limitée des aires marines
Parmi les « mesures environnementales » promises, étendre les aires marines protégées (AMP). Il s’agit d’espaces délimités par les Etats, qui regroupent des parcs nationaux, des parcs naturels marins, ou encore des zones Natura 2000, aux différents statuts et sous divers degrés de protection. Par exemple, la France a mis sous protection 23% de ses eaux, mais seulement 1,6% sous protection « stricte ».
Betty Queffelec, juriste et autrice d’une étude pluridisciplinaire sur la planification des espaces maritimes au Sénégal et au Brésil, a également mis en évidence lors d’une conférence le vendredi les risques de ces zones protégées. Comme l’exclusion de certaines activités des populations locales, telles que la petite pêche. Ou encore, réduire l’environnement aux aires protégées, et ainsi négliger la préservation des autres espaces.
Betty Queffelec (à gauche) et Pierre-Yves Cadalen (au centre), deux intervenants du contre-sommet, accompagnés d’un bénévole.
Néanmoins, l’enseignante chercheuse a tenu à souligner qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause tout l’intérêt de ces aires marines protégées, mais de souligner les risques de cette planification souvent perçue très positivement par l’opinion publique. Certaines AMP fonctionnent très bien, comme au Brésil, car les populations locales sont parties prenantes du projet. « Il n’y pas de solution simple et unique sur la gestion des espaces maritimes, les intérêts en jeu étant multiples », a-t-elle conclu.
« Un espace sans foi ni loi »
Dans son documentaire « Océans : la voix des invisibles », diffusé le vendredi soir aux Soulèvements de la mer, la réalisatrice Mathilde Jounot a aussi insisté sur la « marchandisation » des océans, notamment via ces zones protégées. Elle l’illustre avec l’exemple des Seychelles, où une AMP de 300 000 km² est sous la « protection » de l’ONG The National Conservancy (TNC) qui a racheté une partie de la dette de l’Etat des Seychelles, en échange de cette AMP. Parmi les ambitions de cette organisation : développer le transport maritime et l’extraction pour le pétrole. Le tout sous le couvert de la protection des océans.
Pour la réalisatrice, ce n’est rien d’autre qu’une « appropriation du domaine maritime public à des fins financières privées ». Toujours dans cette logique de financiarisation de la mer, la première obligation « bleue » a été émise en 2018 par les Seychelles afin de lever des fonds pour la protection des océans. Une méthode qui rappelle les obligations « vertes », souvent dénoncées dans le cadre du greenwashing.
« La mer devient un espace sans foi ni loi », témoigne Mathilde Jounot. Cette journaliste fustige cette nouvelle gouvernance des espaces marins, concédés à des ONG aux financements opaques. Une privatisation qui mène à la perte de souveraineté des Etats, et par conséquence des citoyens.
Mathilde Jounot a réalisé trois documentaires sur les océans.
Lien entre terre et mer
Si les conférences ont abordé principalement les sujets maritimes, les enjeux de pollution terrestre n’étaient pas absents du sommet. Car comme le précise Catherine Le Gall, qui est intervenue le samedi au sujet de l’économie bleue, « 80% de la pollution des océans provient de la terre ». « Les luttes à terre sont déjà des moyens de préservation de la mer », tient à rappeler un organisateur du contre-sommet, dont le nom fait écho aux Soulèvements de la terre, un réseau de luttes locales qui organise des actions aux quatre coins du pays contre l’accaparement des terres.
Un membre du collectif ironise : « Quoi de mieux que la Bretagne, qui subit la prolifération des algues vertes, pour illustrer ce lien entre terre et mer ». Ce dernier en profite pour souligner le décalage entre l’absence de mesures environnementales au niveau local, et l’ambition de protéger les océans au niveau mondial par le One Ocean Summit.
Le sommet s’est achevé le dimanche 6 février par des débats et des échanges entre divers collectifs et les participants. « On cherche à comprendre, à débattre. On ne vise pas le consensus », avait introduit un organisateur le vendredi. Pour Catherine Le Gall, il est important « d’ouvrir un espace de réflexion » sur ce sujet. Si la journaliste reconnaît que le One Ocean Summit permet de mettre les océans sur le devant de la scène, elle s’interroge les modalités de protection. « Il faut se poser les bonnes questions », conclut-elle.
Pour s’opposer au One Ocean Summit, deux manifestations sont prévues ce vendredi 11 février à l’appel de l’association Pleine Mer et de Greenpeace. Des syndicats, dont la CGT, Solidaires 29 et FSU et d’autres collectifs ont prévu de manifester de leur côté.
Les conférences des Soulèvements de la Mer sont à réécouter sur leur site.
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[1] La France représente la seconde nation maritime en superficie, grâce à ses territoires d’Outre-mer.