Économie & Gouvernance

Les cadres à vélo

Pour quelles raisons certaines entreprises favorisent-elles l’usage du vélo par leurs salariés ? Envie de réduire leur empreinte carbone, d’améliorer les conditions de vie des employés, de diminuer leurs dépenses ? Éléments de réponse… 

L’Herbier, c’est le pied pour les vélos

Comme tous les matins à 8 heures, Hélène rejoint Patrice à la sortie de Die (Drôme) pour se rendre au travail. Bien qu’ils fassent route commune vers l’Herbier du Diois, l’entreprise qui les emploie, nous ne sommes pas sur un parking de covoiturage. Chacun reste en selle, ils cheminent ensemble à vélo.

Ils sont ainsi entre dix et vingt salariés sur un total de trente à effectuer régulièrement le trajet à bicyclette. Une régularité qui leur vaut une prime de 100 euros mensuels s’ils se rendent au travail plus de 75% du temps par un moyen de transport qui n’émet pas de CO2 : à pied, à vélo, en voiture électrique ou vélo électrique – dans les faits, seul le vélo est utilisé. Les plus valeureux obtiennent une aide supplémentaire de 500 euros pour l’achat d’un vélo s’ils l’utilisent durant douze mois consécutifs (quatre d’entre eux ont pu bénéficier de cette aide). C’est une commission de salariés qui valide l’obtention de ces primes, en se fiant à la simple déclaration de bonne foi des collaborateurs.

Tisser du lien

Voilà un premier atout de ce système. « La politique de la « petite reine » tisse du lien entre les salariés. Elle les incite à aborder l’entreprise sous un autre angle que l’activité économique », affirme Tijlbert Vink, le patron de cet établissement. Il est vrai que l’Herbier du Diois était prédisposé à mettre ce fonctionnement en place dès les années 1990. Un choix qui prend tout son sens au cœur d’une démarche environnementale forte : ils sont fournisseurs en gros de plantes aromatiques issues exclusivement de l’agriculture biologique. En outre, les fondateurs sont néerlandais, un pays où l’usage du vélo n’est pas qu’image d’Épinal. Aux Pays-Bas, acheter un vélo par le biais d’un employeur est exonéré de taxe, les patrons offrant généralement un vélo à leurs employés tous les deux ans, et les kilomètres parcourus sur deux roues donnent droit à des lots sur le modèle des miles aériens.

Le vélo se déchaine

Bien sûr, pédaler au pied du Vercors dessine un cadre idyllique – quoiqu’en plein hiver, les températures sont fraiches ! Mais inciter les collaborateurs à se rendre sur leur lieu de travail à vélo essaime aussi dans tout l’Hexagone. « C’est une petite touche qui peut changer le monde. Cela plait beaucoup aux entreprises », affirme Nicolas Crabot, président de la toute jeune association « Les Cadres à vélo ». En effet, l’Herbier du Diois n’est plus un cas isolé. Aujourd’hui, différentes PME ainsi que des grands groupes ont compris l’intérêt de favoriser ce type de transport.

On retiendra trois points forts. En premier lieu, les salariés sont en meilleure forme physique, donc plus « performants ». D’après la très sérieuse British Medical Association, une demi-heure de vélo par jour permettrait entre autres d’améliorer le métabolisme, d’éveiller les sens et de muscler tout le corps. Hélène, salariée de l’Herbier du Diois, le confirme : « Malgré la rigueur des hivers, je n’ai plus été malade depuis que je fais les 28 kilomètres quotidiens à vélo (aller-retour). » S’il ne tient pas de statistiques précises, son patron constate que le nombre d’arrêts maladie dans l’entreprise est très faible. « Ce temps de pédalage offre un sas de décompression après la journée de travail », conclut Tijlbert.

Les cadres à vélo font gagner du temps et de la place

Le vélo permet de gagner du temps sur les distances courtes (voir ci-dessous). À Saint-Quentin-en-Yvelines, les bureaux de l’agglomération étaient répartis sur deux sites, distants d’environ 3 kilomètres. En 2008, après la mise en place d’un pool vélo accessible à tous les agents, « chacun a pu constater que ceux qui utilisaient le vélo pour se rendre d’un bâtiment à l’autre arrivaient avant ceux qui prenaient leur voiture », se souvient un des agents. À Rennes, le chef cuisinier du restaurant le Coq Gadby utilise un vélo triporteur aménagé pour faire ses achats au marché le samedi matin. « Il gagne un temps considérable, reconnaît Véronique Bregeon, la directrice du restaurant. Il a installé un système astucieux qui lui permet de naviguer aisément d’un étal à l’autre et d’y accrocher son vélo comme un caddie. »

Le vélo permet de réduire la taille des parkings. Ce fut un levier important lors du déménagement de la société Motorola à Toulouse. L’entreprise était confrontée à problème de places de stationnement. Florian Jutisz, en charge du Plan Déplacement Entreprise (PDE), a suggéré de mettre en œuvre une politique incitative de l’utilisation du vélo, arguant qu’elle libérerait du terrain (voir ci-dessous). Il a ainsi apporté à sa direction une solution inespérée ! Aujourd’hui, ils sont environ cinquante salariés sur un total de cent quatre-vingts à venir régulièrement travailler à vélo.

Quels freins ? Quels leviers… de pédale ?

En contact avec différentes entreprises pour promouvoir une politique d’usage du vélo, Nicolas Crabot résume les principaux freins à cette initiative : «  Les habitudes des salariés, la réticence des DRH liée au danger supposé de ce type de transport, l’accueil insuffisant des vélos dans l’entreprise, l’effort physique que cela implique et une image infondée de dévalorisation statuaire. » Mais ce ne sont là que des constructions mentales. Il existe de nombreux leviers pour desserrer ces freins.

En premier, rassurer avant tout employeurs et employés : il est important que l’entreprise souhaitant développer l’usage du vélo par ses salariés les accompagne sur ce chemin. « À Saint-Quentin-en-Yvelines, nous organisons des journées de remise en selle avec l’association AICV », rapporte la chargée de mission. « Cela rassure les agents. Même si l’on ne pratique pas depuis longtemps, le vélo ne se perd pas ! » Chez Motorola à Toulouse, les salariés ont mis en place des « bus cyclistes » pour aider leurs collègues nouvellement candidats au vélo. Neuf parcours ont été tracés et les salariés peuvent se rejoindre le matin pour pédaler ensemble. Certaines entreprises offrent ou subventionnent un kit sécurité avec gilet fluorescent, casque et sac à dos à bande réfléchissante.

Penser praticité

Ensuite, mettre en œuvre un parking à vélo sécurisé et facile d’accès. « C’est la première chose à faire ! » s’exclame Véronique Bregeon. « Et c’est facile même pour les petites entreprises. Nous avons tout simplement mis un rack au sol et à l’abri, et les premiers salariés l’ont vite utilisé. Aujourd’hui, la moitié du personnel a choisi le vélo. » Pour les grosses structures, un déménagement permet souvent ce type d’installation. C’est ainsi que le directeur du nouveau siège du  groupe ADEO (Leroy Merlin, Weldom…) a fait construire un garage à vélo de 100 m².  Il permet ainsi à 10% des salariés de venir en vélo de toute l’agglomération lilloise et de s’extraire des bouchons de la métropole.

Il ne faut pas oublier d’installer un vestiaire où les salariés-cyclistes peuvent prendre une douche et se changer. « C’est fondamental ! » admettent de concert Florian Jutisz de Motorola et Tijlbert Vink de l’Herbier du Diois. Peu importe si le parcours moyen des salariés équivaut à 3 kilomètres. On a tous un rapport différent à la transpiration. Il faut laisser la possibilité à chacun de se sentir à l’aise.

Penser à tout pour les cadres à vélo

Il faut aussi penser à valoriser la position sociale du vélo. C’est autour de ce levier que Frédéric Bedin a articulé la politique vélo de l’agence, « Le Public Système ». « Un parking réservé aux voitures des cadres de l’entreprise se trouvait au cœur de nos bâtiments. Nous l’avons transformé en parking à vélo, ça a essaimé doucement. J’ai proposé en parallèle à mes collaborateurs de m’accompagner en vélo pour nous rendre à nos rendez-vous. Si le patron le fait, il n’y pas de raison que je ne le fasse pas ! » Suivant la même logique, l’ancien DRH du groupe ADEO a instauré la notion de « vélo de fonction ». Les salariés se voient rembourser 50% de l’achat d’un vélo (à hauteur maximum de 250 euros) sur simple déclaration d’intention.

Enfin, permettre un entretien régulier des vélos : la plupart des sociétés citées organisent des journées réparation. Des professionnels se déplacent deux à trois fois par an pour s’occuper des vélos des salariés. Ils enseignent aussi des gestes simples de restauration.

Salariés comme dirigeants, tous ceux qui, de près ou de loin, s’impliquent dans ces politiques témoignent unanimement de l’aspect convivial de la bicyclette. Et nombreux sont les services et entreprises qui organisent des « bike days » ou des pique-niques vélo pendant l’heure du déjeuner, après quelques mois d’adoption de ce mode de déplacement. Reste à convaincre les élus et les promoteurs de favoriser des « espaces vélos » dans les villes, aux abords des gares pour favoriser l’inter-modularité et dans les résidences, pour qu’au retour de leur travail les habitants puissent garer leur vélo chez eux.

Pour aller plus loin

D’autres mesures
:

  • Proposer une flotte de vélos en partage pour les salariés en privilégiant les vélos électriques ;
  • Redistribuer les économies générées par l’entreprise : frais kilométriques, prise en charge des abonnements VLS (Vélo Libre Service) ;
  • Organiser des achats groupés internes à l’entreprise (type Groupon).

Quelques sites :

www.buscyclistes.org
www.aicv.net

www.lescadresavelo.org


Lire aussi : En ville, le vélo plus efficace que l’auto

Le 13 janvier 2013
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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