Agriculture biologique, Alimentation, et Animaux

Le premier abattoir bovin mobile et éthique en France

Par Marius Gouttebelle, le 10 mars 2021

©Cécile Chevalier

Émilie Jeannin, créatrice du premier abattoir bovin mobile en France qui intégrera le paysage agricole français à partir de juin 2021, a la volonté de lier abattage, bien-être animal et respect des éleveurs français. Une mini révolution dans un secteur dicté par les grands industriels qui privilégient la productivité au respect humain, animal et environnemental.

« On essaye de faire la meilleure viande possible, avec des ressources naturelles, des animaux qu’on élève en bio depuis leur naissance. Mais finalement ce travail peut être ruiné au dernier moment avec le maillon de l’abattage qui nous échappe », explique Émilie Jeannin. L’agricultrice élève ses ruminants avec son frère tout en proposant une vente directe de ses produits depuis 20 ans dans une petite région vallonnée de bourgogne.

Ses animaux, elle les aime, elle les respecte, tout comme elle respecte le paysage et la biodiversité qui les entourent sur 250 hectares traités biologiquement dont peuvent profiter une grande réserve d’hirondelles de fenêtres en voie de disparition attirées par les insectes qui y prolifères mais également et surtout ses 200 herbivores. « Elles ont toutes un prénom, un caractère diffèrent. Certaines très discrètes et d’autres plus agitées, toujours prêtes à faire des bêtises un peu comme l’élève au fond de la classe », dit fièrement Émilie. Elle garantit une viande de qualité supérieur par respect et par amour de sa région, de ses animaux. Cependant, les voyages jusqu’aux abattoirs souvent longs, les bruits des machines d’abattage et les cadences infernales de mise à mort stressent les vaches, participent à leur maltraitance et tuent la qualité originale de la viande au mépris d’une majorité d’éleveurs en France impuissants face à ce problème.

Lorsqu’Émilie Jeannin découvre l’existence d’un abattoir mobile en Suède en 2016, cela lui apparaît comme une évidence : « Ça a été une révélation. Je me suis dit maintenant qu’il est possible de déplacer un abattoir, de transporter ces technologies vers les animaux et non pas l’inverse, je ne veux plus élever mes herbivores et les emmener dans un abattoir loin de chez moi. C’est comme ça que le projet a démarré il y a quatre ans. »

 

Camion de l’entreprise Hälsingestintan en Suède de Britt ©Marie Stegs & Sättra Gard

Changer les rapports entre l’abatteur, l’éleveur et l’animal

Aux allures d’un grand camion itinérant, ce mastodonte de technologies si petit à l’échelle d’un abattoir, contient tous les outils susceptibles de révolutionner l’abattage et mettre en lumière les dysfonctionnements qui règnent en France depuis bien trop longtemps. Après avoir réuni plus de 1 800 000 €, l’abattoir bovin mobile sillonnera les routes de France à compter du mois de juin 2021.

Dans un abattoir classique, les vaches et veaux sont séparés de leur troupeau, mélangés avec d’autres et entassés pour un long et stressant périple ou affrontements, rixes et coups sont coutumiers par besoin de rétablir une hiérarchie dans leur nouveau groupe social. Émilie Jeannin propose elle d’abattre l’animal dans son habitat habituel sans le déstabiliser ou même lui faire subir de stress. Il sera étourdi dans un délai de dix secondes depuis sa sortie du troupeau.

L’abattoir mobile ne s’arrête pas ici dans ses innovations. L’éleveuse bourguignonne a également cette volonté de réduire le bruit métallique des machines vecteur d’angoisse pour le bétail : « Nous on limite automatiquement les à-coups des barrières métalliques parce qu’à une échelle plus réduite on en manipule moins. On a également remplacé les chaines en fer de l’arrache-cuire qui s’entremêlent par des cordes. Les animaux ne seront pas chamboulés. »

Mais la réduction de la cadence d’abattage voulu dans la conception de l’abattoir mobile constitue sans aucun doute un des maillons essentiels à l’amélioration du bien-être animal et humain.

Avec son projet, au maximum 12 bovins seront abattus par jour, là où dans un abattoir industriel 80 ruminants en moyenne sont tués chaque heure. « Ça nous assure qu’aucune saignée ne sera faite sans être certains que les animaux soient totalement inconscients. Et puis au-delà de ça, cette cadence infernale établie par l’abattage de masse casse physiquement et psychologiquement les abatteurs. On a cette volonté de faire moins mais mieux», soutient la créatrice du projet.

L’abattoir mobile réfléchit également à un model plus rémunérateur pour des éleveurs bovins en détresse. En 2019, leur revenu annuel moyen atteignait les 10 500 euros d’après le président de la fédération nationale bovine. En 2020,  une chute de 25% de ces revenus est estimée. «On s’est rendu compte qu’il est possible de bien payer les agriculteurs en achetant leurs bovins pour vendre la viande sous notre propre marque « le bœuf éthique ». On a besoin de soutenir ceux qui tous les matins se lèvent pour nourrir leurs animaux, nourrir des populations », ajoute Émilie Jeannin.

À terme, l’objectif est de développer le concept, de multiplier les abattoirs mobiles et de montrer que l’on peut rémunérer les éleveurs de manière viable, respecter l’animal, respecter la biodiversité et proposer une viande qualitative à un prix abordable.

La pression des lobbyistes

Les problèmes liés aux abattoirs en France sont profonds et complexes. Dictés par les intérêts économiques de quelques industriels formants un oligopole, les avancées sont lentes, les avancées sont rares. De la rémunération dérisoire des éleveurs au prix de vente qui augmente d’année en année, ils ont un contrôle total sur toute la chaîne de production. Le pouvoir qu’ils exercent ralentit considérablement la transition éthique qui va à l’encontre de leurs stratégies. « Les projets ont du mal à voir le jour, ils sont souvent portés par des éleveurs mais freinés par l’administration et l’industrie. Leurs intérêts économiques basés sur la productivité sont vus à court terme, ce n’est pas une vision résiliente et durable », explique Agathe Gignoux, chargée d’affaires publiques pour CWF une ONG internationale dédiée à la protection des animaux d’élevage.

La volonté de freiner les projets ambitieux d’un point de vue éthique et écologique se ressent pleinement dans le processus de création de l’abattoir mobile d’Émilie Jeannin, qui a subi pendant plusieurs années d’innombrables pressions et difficultés : « Les lobbyistes ne cessaient de dire auprès du ministère de l’agriculture qu’autoriser la création de nouveaux abattoirs n’étaient pas possible aux vues des faillite que certains faisaient ; prétexte bien entendu ridicule. Des banques ont refusé leur investissement sans argument précis alors que notre dossier économique est très solide. Il y a également eu des pressions pour nous empêcher d’obtenir des subventions. Je pense que les industriels nous mettent la pression parce qu’ils mentent à tout le monde et qu’ils ont peur que tous s’en rendent compte ».

Les disfonctionnements sont encore nombreux, la transition prendra du temps, mais le projet d’Émilie porté par des investisseurs qu’elle a finalement pu trouver grâce à un appel sur les réseaux sociaux, porté par un levé de fond participatif de 250 000 € réunis en 5 jours montre que les citoyens français sont engagés, montre que les mentalités changent et que beaucoup sont solidaires,  et surtout qu’il est possible de respecter l’animal, l’éleveur et le consommateur.

« Il faut rester positif et motivé pour faire bouger les comportements individuels et collectifs. Il faut que les bonnes initiatives comme celles d’Émilie se propagent mais qu’on les porte aussi collectivement pour bouger les lignes », conclue plein de conviction la représentante de CWF.

Pour aller plus loin

« le bœuf éthique ».


© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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