Culture & Solidarités et Économie sociale et solidaire

Le patron qui donne une seconde chance aux jeunes en difficulté

Par Arnaud Didier, le 4 mai 2023

Yann Paigier (patron du restaurant Léon le Cochon, à gauche) et Isaak Adigue (son employé, à droite). Photo : Arnaud Didier

Le restaurant Léon le Cochon à Rennes forme et embauche des jeunes en situation difficile depuis 1995, avec pour but de les aider et leur redonner une vie prometteuse. Une initiative sociale réussie qui pourrait essaimer dans de nombreux restaurants ! Reportage.

Mettre l’humain avant la rentabilité, telle est la philosophie de Yann Paigier, patron du restaurant Léon le Cochon, à Rennes. Voilà maintenant 28 ans, que ce restaurateur est investi dans l’embauche de jeunes en situation de difficulté. « Plus jeune, j’ai eu quelques difficultés, et comme j’ai eu un peu de chance, j’ai voulu faire profiter les jeunes de mon expérience », explique Yann. Le patron de Léon le Cochon fait sortir les jeunes de certaines « situations difficiles des quartiers » et apporte une « main tendue » à des moments de vie difficiles.

Les personnes qu’il reçoit ont des profils « hors-système » précise-t-il : « hors-système scolaire, hors-système social, hors-sol ». Ces profils, il va les chercher au travers des stages de 3ème, des éducateurs et des écoles. Par ailleurs, le restaurateur confie que plusieurs personnes en situations difficiles viennent à lui directement. « Quand tu n’as rien, tu es motivé », admet Yann. Ensuite, après leur avoir donné le goût de la restauration, lors de stages dans son restaurant par exemple, Yann les rescolarises : « Je les oriente vers les métiers de l’hôtellerie. Je les aiguille ». Depuis 1995, il y a eu près de 50 % de se salariés qui étaient issus de parcours difficiles, dans les 13 établissements qu’a possédé le patron.

Prendre un nouveau départ

A leur arrivée dans le restaurant, les apprentis réapprennent les bases. « On les forme et on les amène tranquillement de la tâche la plus simple à la plus compliquée », indique le restaurateur. Cette approche de progression est d’autant plus rassurante par l’absence de pression exacerbée. « Ici, il n’y a pas de filtres et il n’y a pas de limites. C’est-à-dire que la personne peut progresser et peut avancer. Il y en a qui sont arrivés à 14 ans et qui maintenant sont responsables chez nous ». Yann repense à l’un de ses jeunes employés qui l’a touché par son parcours difficile : « Il y en a un que j’ai récupéré au décès de sa maman, son papa était en prison. Je l’ai récupéré, puis il a fini responsable. Maintenant, il a fondé une super famille ».

Isaak Adigue, 19 ans, fait partie des employés épaulés par Yann. Après une découverte des métiers de la restauration lors de différents stages au collège et lycée professionnel, Isaak s’est exercé dans l’établissement Léon le Cochon. Depuis maintenant près de 2 ans, il ne quitte plus l’enseigne. Il est employé polyvalent (serveur, barman…). Un vrai coup de foudre patron-apprenti, en témoigne le sourire aux lèvres que possède le jeune homme lorsqu’il évoque son arrivée dans le restaurant. « Yann m’a pris dans ses mains, il m’a pris comme son propre fils », raconte-t-il. Isaak n’évoque pas son passé, mais explique simplement qu’il était « seul » et « sans famille ». Le jeune homme se plaît à travailler ici : « ce qui me plaît le plus, c’est le contact avec les clients, la cuisine et l’ambiance ». Il se réjouit d’être autonome et d’avoir acquis une certaine assurance. « Le lundi, je dirige un petit peu le restaurant tout seul avec Yann. C’est très bien car ça veut dire qu’il me fait confiance », se félicite Isaak qui a eu le privilège de servir certaines célébrités comme Yannick Noa ou Florence Foresti : « A leur venue je n’étais pas stressé. J’étais comme un enfant heureux, de voir des personnes comme ça venir manger ici. »

« J’ai été touché lorsque Yann m’a invité pour la remise du prix du meilleur coup de cœur du meilleur restaurant », Isaak.

Le jeune employé s’est révélé. « Au début, quand j’ai suivi le projet de la 3e prépa pro, c’était un petit peu compliqué, mais après, quand je vois où j’en suis maintenant, je ne regrette pas du tout mon parcours. Ça m’a permis de grandir », reconnaît-il.

« Une quête humaine »

Bien que le taux d’élèves ayant quitté le système scolaire ait diminué d’année en année (41 % en 1978 contre 8,2 % en 2019 selon l’Insee), plusieurs jeunes continuent d’être en détresse. D’après les données d’Apprentis d’Auteuil : « 110 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme (Source DEPP/Ministère de l’Education nationale). 284 000 mineurs sont pris en charge dans les départements au titre de la protection de l’enfance (Source ONED). Entre 1,5 million et 2 millionsde jeunes âgés de 15 à 29 ans sont ni en emploi, ni en formation et ne suivent pas de scolarité (NEETS) (source Conseil d’analyse économique) ».

Yann Paigier explique que les « profils sont les mêmes d’année en année ». Selon lui, « il n’y a pas d’évolution. La société fait toujours des bras cassés et des laissés-pour-compte. Et puis, c’est toujours comme ça, ça ne change pas. Par contre, ce qui change, c’est qu’il y a de moins en moins de gens prêts à s’en occuper », déplore-t-il.

Le restaurateur fait figure d’exemple en termes d’aide et de soutien aux jeunes. Yann reste humble et souriant quant à son modèle de recrutement. Il précise ne pas avoir de conseil à donner aux restaurateurs qui souhaiteraient embaucher des jeunes en situations difficiles, car « c’est plus que ça. C’est une philosophie, on ne peut pas donner de conseil. C’est un vrai sens à la vie, c’est un truc que tu prends à bras-le-corps. C’est une philosophie, répète-t-il. Il ne faut pas attendre des retours sur investissements. Il ne faut pas chercher la rentabilité. Tu fais ça pour autre chose. C’est une quête humaine ».


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