« La pédagogie Steiner-Waldorf cherche à libérer l’être humain »
Un siècle après sa formulation, le projet pédagogique initié par le penseur autrichien Rudolf Steiner continue de séduire un grand nombre d’individus à travers le monde. Décryptage avec le professeur Loïc Chalmel, maître de conférence en sciences de l’Éducation à l’Université de Haute-Alsace et directeur du LISEC, laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication.
La pédagogie Steiner-Waldorf fête cette année ses cent ans d’existence. Depuis 1919 et la fondation de la première école à Stuttgart (Allemagne), ses principes éducatifs ont séduit un grand nombre de parents et d’enseignants à travers le monde. Quelques 1 092 établissements scolaires s’en réclament aujourd’hui, dont 734 en Europe, 200 en Allemagne et 15 en France. La pédagogie Steiner-Waldorf est basée sur les indications de Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie. En dépit de son succès, elle est souvent critiquée pour ses liens avec ce mouvement et l’approche de la spiritualité qu’il propose.
Pour le professeur Loïc Chalmel, directeur du Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication (LISEC) rattaché à l’université de Haute-Alsace, les diverses accusations proférées à l’encontre de la pédagogie Steiner-Waldorf reposent sur une mauvaise compréhension de la pensée de Rudolf Steiner. Pour lui, il s’agit au contraire d’un projet pédagogique « profondément désaliénant et d’une grande cohérence », cherchant à libérer le potentiel individuel contenu en chaque enfant. Il inscrit la pédagogie Steiner-Waldorf dans un courant historique remontant à des grandes figures de la pédagogie tels que le tchèque Comenius, le français Oberlin ou le suisse Pestalozzi.

Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à la pédagogie Steiner-Waldorf ?
En étudiant l’histoire de la pensée pédagogique qui s’est développée des deux côtés du Rhin, dans ce que les spécialistes ont coutume d’appeler le « couloir rhénan », en Allemagne, en Suisse, mais aussi en Alsace. J’avais un intérêt tout particulier pour les penseurs qui ne proposent pas seulement des programmes pédagogiques ou scolaires, mais aussi une sagesse. C’est le cas de Rudolf Steiner. Il y en a quelques autres dans l’histoire, mais ils sont peu nombreux. Je peux citer par exemple Léon Tolstoï, en Russie, ou Nikolai Frederik Severin Grundtvig – un pédagogue danois qui a été extrêmement influent au XIXe siècle.
Quelles sont les caractéristiques liées à ce « couloir rhénan » en matière de pédagogie ?
Il y a dans la pensée rhénane une volonté d’ouverture aux autres, mais aussi un respect de l’environnement et des gens qui le composent. Elle n’a pas le même rapport avec les valeurs spirituelles et scientifiques que le cartésianisme régnant en France et dans les pays latins. La pensée cartésienne sépare totalement la dimension spirituelle de la dimension raisonnable ou cognitive.
En Allemagne ou en Suisse, notamment, règne une façon d’être et de penser singulièrement différente. Cette atmosphère est perceptible notamment chez Jean-Frédéric Oberlin, mais aussi chez Pestalozzi ou August Hermann Francke. Chez ces penseurs, la dimension pédagogique n’est pas séparée d’une réflexion plus philosophique et spirituelle sur le statut de l’homme vis-à-vis de la création. Une filiation existe entre Rudolf Steiner et tous ces penseurs, filiation qu’il est même possible de faire remonter jusqu’à Comenius (1592-1670), l’un des grands précurseurs de la pensée pédagogique moderne.
Quels sont les liens entre Comenius et Rudolf Steiner ?
Pour Comenius comme pour Steiner, un enfant est un microcosme du macrocosme universel. Cette conception implique qu’un enfant possède de façon innée un potentiel considérable. Dans cette optique, l’éducation consiste à mettre en