Agriculture biologique et Alimentation

La ferme d’Orvilliers, du grain au pain

Benjamin Pelletier, paysan-boulanger de la ferme d'Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d'utilisation commerciale 4.0 International)

Depuis la crise sanitaire, la vente directe progresse. Les paysans-boulangers de la ferme biologique d’Orvilliers (28) se sont particulièrement mobilisés pour répondre à l’importante hausse de la demande. Reportage dans ce lieu d’avenir qui porte ses fruits.

A l’heure où l’aube rougeoyante caresse l’horizon, la délicieuse odeur du pain en pleine cuisson embaume le parvis de la ferme d’Orvilliers. Alors que les coups de 6 heures sonnent bientôt, les boulangers, Benjamin, Rémi et Cisco, sont déjà à l’œuvre. Située dans la commune de Broué au cœur de l’Eure-et-Loir, la ferme s’étend sur près de 50 hectares. Elle est le fruit d’une véritable histoire familiale depuis six générations. En 2012, Benjamin et Adrien Pelletier, deux frères, s’en sont saisis en rachetant l’exploitation à leur père. Avec une intention en tête : devenir paysans, meuniers et boulangers biologiques, et ce en même temps. « L’idée était de pouvoir maîtriser toute la chaîne », résume Benjamin. En somme, travailler du grain au pain. Pour ce faire, ils ont peu à peu rôdé la mécanique : des champs jusqu’aux pétrins, de la cuisine au four, en passant par la trieuse à grains, les silos et les moulins. Sans oublier les humains. Car ces activités sont très intenses en travail.

Aujourd’hui ils ont bâti un modèle de vente directe. Et pendant le confinement, ce modèle a fait recette. « Lors des deux premiers mois, la boutique débordait. Habituellement on ne voit ça seulement qu’à Noël ou au 14 juillet », explique François, qui y est salarié quelques jours par semaine. La ferme étant considérée comme un commerce de première nécessité, elle a tourné à plein régime pendant le confinement. Pour faire face à la hausse de la demande de pain, la production a augmenté de 10% environ, sur une période qui va du confinement jusqu’aux premiers jours du déconfinement.

Les pâtes et les farines fabriquées sur l’exploitation, ont connu cette même croissance. « Le premier mois, les clients sont par exemple passés de 500g à 6kg de pâtes et de 1kg de farine à plusieurs sacs de 5 kg », rappelle Hélène Chaudy, associée des deux frères depuis 2014. Conséquence directe : la diversité de l’offre de farines a été réduite pour concentrer la production sur les farines classiques (blé, petit épeautre, etc.). Si cela a été possible, c’est grâce à la grande variété de céréales cultivées sur le site ; y sont en effet aussi cultivés du quinoa, de l’épeautre et du seigle.

Hélène Chaudy, paysane-boulangère de la ferme d'Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d'utilisation commerciale 4.0 International)
Hélène Chaudy, paysane-boulangère de la ferme d’Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d’utilisation commerciale 4.0 International)

« Mission de service public »

Si le navire a tenu bon, c’est aussi grâce au sens de l’engagement des gens qui y travaillent. Le paysan-boulanger en chef, Benjamin, ne dit pas autre chose : « Sans en faire des caisses, comme il fallait nourrir les gens, c’était presque une mission de service public. » Mais cela a parfois été difficile à vivre. « La période a été bien stressante », confie Hélène. Depuis les premiers jours du déconfinement, la ferme retrouve toutefois peu à peu son rythme de croisière, d’avant le 17 mars. Le nombre de commandes est redescendu et, avec lui, la pression. Mais il faut bien quelque chose pour naviguer sur la durée : le cœur à l’ouvrage. « On fait un travail complet et touche-à-tout, observe Benjamin. Je me réalise autant manuellement qu’intellectuellement. » En effet, quand Benjamin n’est pas au fourneau, il est aussi dans les champs, et parfois à la gestion des commandes. Avec une telle polyvalence, pas le temps de s’ennuyer.

Parvis de la ferme d'Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d'utilisation commerciale 4.0 International)
Parvis de la ferme d’Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d’utilisation commerciale 4.0 International)

C’est cette polyvalence qui plaît également à Félix, apprenti agricole sur la ferme depuis 2 ans. Il travaille dans les champs mais aussi dans le stockage, le tri et la mouture des grains. A l’image de la ferme d’Orvilliers, il a suivi un parcours atypique. Avec un fil conducteur : la nature, ou, plus précisément, la terre. Il avait commencé dans le milieu du paysagisme avec un BTS suivi d’une école, qu’il a fini par quitter car il avait « peu d’autonomie, et [ses] projets étaient toujours mis au rabais. Il était difficile de faire passer [ses] idées ». Le jeune homme s’est ensuite redirigé vers un Master 2 « Gouvernance de la transition, écologie et sociétés » à l’Agro Paris Tech. Puis, il y a eu un déclic.  « J’aimais bien faire du pain chez moi, explique-t-il. Alors quand j’ai découvert qu’on pouvait être paysan et boulanger, ça a été une révélation ».  Il s’est donc décidé à suivre une formation d’apprenti au CFPPA[1] de Montmorot dans le Jura, avec une spécialisation en paysan-boulanger. L’objectif ? Avoir sa propre exploitation dans le sud de la France en 2021.

Expérimentations concrètes

Mais Félix concède sans détour : « On ne va pas changer le monde avec 50, 100 ou 200 hectares ». Il faut selon lui un changement global qui se nourrisse des alternatives locales tangibles, « un retour d’expérience ». « Le concret doit remonter au légal, avance-t-il de but en blanc. Plus on tourne le dos au monde politique, plus il prendra des décisions qui n’iront pas dans notre sens. » La messe est dite. Ce qu’on comprend, c’est que la transition écologique et sociale doit se faire tous azimuts. Il réfléchit par ailleurs à s’engager dans la vie publique locale, « mais pas tout de suite », affirme-t-il.

Champ des expérimentations de la ferme d'Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d'utilisation commerciale 4.0 International)
Champ des expérimentations de la ferme d’Orvilliers (Banque d’images de la ferme d’Orvilliers)

La transition écologique et sociale repose aussi sur les recherches menées sur le terrain. A la ferme d’Orvilliers, plusieurs parcelles sont par exemple réservées à la création variétale de blé tendre par la réalisation de croisements. Mais attention, pas n’importe lesquels : tout est fait ici dans le respect de l’agriculture biologique. Avec des buts bien précis : améliorer le rendement et la qualité des grains et rendre les céréales plus hautes et plus rustiques face aux maladies. Les parcelles réservées aux expérimentations sont diaprées, comme une palette de nuances colorées selon les variétés cultivées. On y trouve des blés plus ou moins grands, qui poussent plus ou moins vite et qui résistent plus ou moins aux aléas climatiques. L’intention derrière ce laboratoire à ciel ouvert est de créer des blés uniques adaptés au terroir de la ferme. « A terme, on aimerait être autonome », assure Hélène, au beau milieu des blés. Mais cela prend du temps. Il faut compter au moins une dizaine d’années pour avoir suffisamment de grains purs nécessaires à une récolte.

« Le pain du futur »

Tout au moins, le pli est pris. Ils ont ainsi de l’avance sur de nombreux agriculteurs. Mais pour autant, y fabrique-t-on le « pain du futur » ? « Complètement », tranche Benjamin. Il abonde : « Alors que pour tout le monde le futur c’est la technologie, le Big Data et l’intelligence artificielle, pour nous c’est plutôt le ‘’low-tech[2]’’. » La ferme d’Orvilliers s’inscrit dans la démarche de Slow Food, un mouvement international qui promeut « l’écogastronomie » et « l’alterconsommation », et dans celle de l’agriculture biologique de conservation des sols (ABC). Il reste toutefois des progrès à faire puisque de nombreuses technologies y sont encore utilisées : tracteurs, trieuses de grains, moulins et pétris électriques, semis avec précision par guidage satellite, etc. Cependant, la philosophie est là. C’est une exploitation à taille humaine, comprenant 3 salariés, qui est sur la bonne voie. Agriculture biologique, four à bois, nettoyage des silos sans produits chimiques et agroforesterie y ont en effet toute leur place.

Boutique de la ferme d'Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d'utilisation commerciale 4.0 International)
Boutique temporaire de la ferme d’Orvilliers (Marius Matty, Creative Commons, Pas d’utilisation commerciale 4.0 International)

La démarche semble porter ses fruits auprès du public. A la boutique, les clients sont conquis. Certains y viennent par conviction. Monique et Jean-Luc souhaitent « faire travailler les gens qui le méritent » ; quand Nathalie se félicite d’une « initiative sympathique qui fait vivre le village ». D’autres s’y déplacent par goût. « J’ai vraiment adhéré au pain, à la farine et au quinoa, énonce Charline. Alors même si je fais souvent mon pain moi-même, je viens en acheter chez eux dès que possible. » Devant le petit magasin en plein soleil, chapeaux et masques sont de mise et les discussions vont bon train. Les clients, pour la plupart habitués, sont chaque année rejoints par de plus en plus d’adeptes. Preuve s’il en faut que les grains sont en train de germer…

Par Marius Matty

[1] CFPPA : Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricoles

[2] Une technologie est dite low-tech quand elle est « utile, durable et accessible », ce qui correspond aux trois piliers du développement durable : l’environnement, le social et l’économie.

Pour aller plus loin :

La ferme d’Orvilliers

IRHIR Yanis, PELLETIER Adrien, Paysans-boulangers. Le guide (très) pratique, Editions France Agricole, 2019.


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Le 10 juin 2020
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