Culture & Solidarités

Jean-Yves Doyard, un papetier d'art qui travaille le lin et le chanvre

Par Marie Thomazic, le 22 avril 2022

Jean-Yves Doyard dans son atelier ©Marie Thomazic

Non loin des monts d’Arrée, le moulin de Kereon abrite l’atelier du dernier papetier d’art de Bretagne. Jean-Yves Doyard y confectionne des papiers à partir de fibres de lin et de chanvre en empruntant les techniques du XVIIIe siècle. Ce savoir-faire ancestral (et simple !) lui permet de créer de véritables pièces uniques en leur genre, qui n’ont rien à envier au papier industriel.

« Les plus vieux papiers  du monde ont 2 000 ans, et ils sont en lin ou en chanvre ! » rappelle avec enthousiasme Jean-Yves Doyard. Résistants à l’eau et au temps, ils sont selon lui les supports idéaux pour inscrire une œuvre dans l’intemporalité. Jean-Yves Doyard a l’âme d’un artiste. Et pour cause, il en est un ! À l’entrée de son atelier, il expose l’une de ses dernières créations : un paravent, fait de plusieurs couches de son papier. « Mon approche du papier est très  différente  de  celles  des  XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, avant l’arrivée du coton, utilisé aussi pour faire du papier à moindre coût. »

D’une énergie des plus créatives, Jean-Yves fabrique du papier pour les professionnels ou amateurs d’art (peintres, calligraphes, etc.), des architectes décorateurs ou encore celles et ceux qui viennent y trouver une texture, un habillage particulier pour un usage personnel. « Un papier n’est pas parfait ; il correspond à la personne qui sait comment elle va l’utiliser. Si quelqu’un y voit un intérêt, alors il est parfait ! » argumente-t-il.

Pour cet homme attaché au patrimoine, travailler le chanvre et le lin est une évidence, d’autant que la production de ce papier était autrefois florissante en Bretagne.

« Un papier de chanvre résiste à la lumière, aux insectes et même au temps qui passe »

Dans son atelier, quelques fibres sont à portée de main près de la cuve, où elles seront bientôt transformées. On découvre combien elles sont difficiles à briser en tirant d’un bout à l’autre. De leurs qualités techniques naturelles aux multiples possibilités de création, ces papiers sont porteurs de sens et d’histoire. S’ils ne sont pas aussi blancs et lisses que le papier industriel, les encres à calligraphie et l’aquarelle s’y inscrivent parfaitement. Très résistant à l’humidité, le papier peut être lavé, en étant trempé entièrement dans l’eau, sans qu’aucune écriture ou dessin s’efface et sans que le papier se déchire. « Un papier de chanvre résiste à la lumière, aux insectes et même au temps qui passe », s’enchante le papetier. Épaté par la résistance et les multiples possibilités de la matière qu’il travaille tous les jours, l’homme l’est aussi par ses échanges avec d’autres artisans : « Un artiste m’a même demandé de collaborer pour de la sculpture. Nous avons conçu des moulages avec mon papier dans lequel nous avons pu réaliser trois coulages !

Accompagner la matière

Passionné par son métier, ce Brestois d’origine connaît chaque détail de l’histoire du papier en Occident. Ayant l’habitude d’accueillir du public ou de travailler avec des artistes, il a développé une grande pédagogie. Pour autant, il n’arrête jamais d’apprendre : « Je fais des emprunts à des techniques japonaises ou arabes pour certaines créations. Parfois, je reçois des demandes auxquelles je n’aurais jamais pensé ! Être artisan, c’est se remettre en question perpétuellement . »

Quand on lui fait remarquer l’ampleur de ses connaissances, il répond : « Je ne connais pas tout, loin de là ! » avant de détourner la conversation sur une idée, une création qui l’a marqué, ou une explication sur la fabrication du papier : « Je ne vais pas tout dire, mais voici un dernier exemple…» Incollable sur toute la ligne, il emporte avec lui celle ou celui qui cherche à connaître ses secrets ancestraux, presque druidiques : « C’est tellement simple que souvent les gens me disent qu’il manque quelque chose ! Pour faire mon papier comme au XVIIIe siècle, je dissocie les fibres de chanvre et de lin grâce à une machine qui les tape – une pile hollandaise. J’ajoute ensuite de l’eau, et les fibres restent en suspension. Avec une sorte de tamis, qu’on appelle une forme, je ramasse ce matelas de fibres. » Et le tour est quasiment joué ! Aucun produit chimique n’est ajouté, aucune colle n’est utilisée. Jean-Yves Doyard tient aussi à se servir de pigments qui ne polluent pas son eau, qu’il recycle. « Par exemple, même si la couleur serait intéressante, je n’utilise jamais de plomb ! » précise l’artisan.

Entre possibles et rêveries

Ce qui anime le papetier de 62 ans, ce n’est pas de reproduire les papiers d’époque ! Parmi la douzaine de papetiers artisanaux en France, ils ne sont que trois à utiliser le lin et le chanvre. «Mon métier, c’est papetier d’art. Je suis dans une démarche où je cherche à sortir du cadre. J’utilise ce qui peut être considéré comme des défauts, des inattendus, des accidents. Je collabore avec cette matière ; je l’accompagne et elle m’emmène ailleurs. » L’« ailleurs », c’est justement l’impression que ses créations donnent. Des textures les plus souples aux plus rigides, des couleurs les plus neutres aux plus nuancées, ses papeteries nous font voyager entre le siècle des Lumières et le monde contemporain, entre possibles et rêveries. Avec son papier, Jean- Yves Doyard fabrique des albums photo, des livres d’or ou des carnets à dessins ou à aquarelles, qu’il vend dans sa boutique. D’une vingtaine à plusieurs centaines d’euros, il y en a pour tous les budgets.

Non loin de là, sa femme, Dominique, s’occupe de la restauration et de la reliure de gravures ou d’ouvrages en tout genre. « Nous n’avons pas toujours évolué dans ce milieu. J’étais photographe de laboratoire, et Dominique travaillait au sein de centres socioculturels. Il y a seize ans, elle s’est intéressée à la reliure et à la restauration, et j’ai commencé à faire des essais de papiers pour elle. C’est ainsi qu’a débuté l’aventure de la papeterie. » Par timidité ou par pudeur, pour parler de lui, Jean- Yves évoque son métier-passion ou celui de son épouse.

Entre quelques rires pétillants, il reprend dans sa lancée : « Ici, j’ai employé des granits du secteur, là de la tourbe. Ici, ce sont des incrustations d’ardoise de Commana, et là du vitrail ! » Aux coins du jardin qu’il a aménagé en mettant en scène son métier et celui de sa femme, Jean-Yves, avec douceur et vivacité d’esprit, se plaît à le faire découvrir à ses clients et visiteurs. « Ce jardin représente mes autres passions: communiquer dans un sens très large, avec différentes générations. » Le lieu, verdoyant, cache mille et un jeux de mots, des devinettes, des références à l’histoire et aux métiers de la papeterie. Avec légèreté, humour et poésie, il donne l’impression de rencontrer le papetier pour la seconde fois. « Oh, et ici j’ai proposé une petite poésie », de Matsuo Basho-, un poète du XVIIe siècle. Dans cette grande humilité, l’homme-orchestre qu’est Jean-Yves Doyard partage sa plus grande passion : celle du partage du sens de l’art.

Envie d’en savoir plus le chanvre et ses diverses valorisations ? Retrouvez le dossier consacré à cette plante dans notre K58.


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