Nature et Politique

Jean Jouzel : « L’urgence climatique ne disparait pas devant l’urgence sanitaire »

Par Auriane Latrémolière, le 16 novembre 2020

Jean Jouzel - ©Alexandra Khlopotova

A l’occasion du Festisol 2020 de Rennes du 13 novembre au 2 décembre, nous avons interviewé le climatologue, Jean Jouzel, sur les liens entre réchauffement climatique et crise sanitaire. L’ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC nous exhorte à ne pas oublier l’urgence climatique face à la pandémie.

Propos recueillis par Auriane Latrémolière

Quel lien y a-t-il entre la crise sanitaire et le réchauffement climatique ?

Il n’y a pas clairement de lien. Mais ce qui est très crédible, c’est l’existence d’une zoonose*, c’est-à-dire la transmission probablement entre une chauve-souris et un intermédiaire – que l’on ne connait pas bien – du virus. Il est clair que la déforestation, la diminution des espèces naturelles a un lien. Les espèces et les populations sont de plus en plus en contact. L’explication d’une origine par zoonose, puis une transmission d’une espèce animale aux humains est tout à fait crédible.

Depuis la pandémie, on a pu observer une diminution de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre. Une bonne nouvelle pour la lutte contre le réchauffement climatique, non ?

La baisse d’activité n’est pas suffisante. Cette baisse d’activité s’est traduite par moins de pollution, moins de CO2, moins de particules dans l’air, moins de circulations automobiles, aussi moins de pollution sonore… Vu sous cet angle, cette pandémie a plutôt été bénéfique pour l’environnement. Sauf que toute notre vie collective est complètement bouleversée, donc ce n’est pas la solution. En plus, la seule diminution de l’activité n’est sûrement pas une voie pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, puisqu’il faudrait des réductions d’émissions de gaz à effet de serre de cet ordre là pratiquement chaque année pour respecter l’objectif des Accords de Paris**. Il ne faut pas dire : « On a diminué le CO2 cette année, tout va bien ». On est loin du compte. L’enseignement que l’on doit retenir, c’est qu’il faudrait faire tous les ans. Il est extrêmement urgent d’aller vers un autre mode de développement sans carbone pour moi. C’est ça, la solution.

La crise sanitaire et la crise environnementale relève donc d’un même combat ?

Je n’irai pas jusque là. On sait très bien ce qu’il faut faire pour lutter contre le réchauffement climatique. D’ailleurs, les 150 citoyens lors de la Convention citoyenne*** ont apporté des réponses qui me semblent très satisfaisantes. Je ne sais pas si elles seront suivies. Il y a certaines similitudes entre crise sanitaire et environnementale mais je crois qu’il ne faut pas aller trop loin. Il y a certainement l’idée dans les deux cas, de trait de modération. Ça c’est très clair ! Dans le cas du réchauffement climatique on a envie de parler de sobriété qui sera indispensable si on veut réussir maîtriser le réchauffement climatique.

La pandémie actuelle de la Covid-19 n’est pas la seule conséquence sanitaire liée au réchauffement climatique. D’autres conséquences sanitaires sont-elles à prévoir ?

La première conséquence sanitaire, je pense que c’est l’insécurité alimentaire dans certaines régions. C’est le risque à moyen long terme. A la clé, on peut penser à certaines parties de l’Afrique, si les populations augmentent.

Par ailleurs en Europe, on en est actuellement à 3 000 décès en moyenne chaque année lié à des évènements climatiques. Mais avec un réchauffement de 3 degrés, ce chiffre pourrait être multiplié par 40 ou 50. On pourrait voir régulièrement en Europe, 100 000 personnes victimes d’évènements climatiques chaque année. Et pour 90% de ces victimes se seraient liées à des vagues de chaleur. Parce que l’intensité des pics de chaleur augmente plus rapidement que les températures moyennes. Un réchauffement de trois degrés supplémentaires conduirait à des vagues de chaleur importantes. En Asie du Sud Est, au Moyen-Orient la vie pourrait devenir invivable ; c’est-à-dire qu’on ne pourrait pas sortir ou avoir des activités normales pendant l’été. Il y aura des conséquences aussi sur la santé mentale. Il y aura beaucoup d’autres conséquences : des évènements climatiques extrêmes, des risques d’insécurité alimentaire, des risques d’accès à l’eau dans d’autres régions avec comme première conséquence des sécheresses à répétitions avec des conséquences fortes sur l’agriculture.

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La crise sanitaire a-t-elle permis de relancer l’écologie ?

Oui ça c’est clair ! Ceux qui avaient un regard disons limité comprennent, enfin j’espère, qu’il est important d’avoir un regard plus large. Qu’il y a cette nécessité d’un respect d’équilibre entre la nature et nos populations. Ils ouvrent un peu les yeux. Ils regardent autour d’eux, c’est un des enseignements de la Covid. C’est vrai.

La ministre de la Transition écologie, Barbara Pompili, a annoncé de nouvelles mesures en faveur de la préservation de l’environnement. Qu’en pensez-vous ?

On va voir. On va faire le bilan des propositions de la Convention Citoyenne*** dans les semaines et les mois qui viennent avec la nouvelle loi****. Je suis persuadé qu’il faudrait que toutes les mesures des citoyens soient mises en œuvre de façon urgente. On peut toujours parler comme notre président de temporalité, sauf que le problème c’est que l’urgence climatique ne disparait pas devant l’urgence sanitaire ou devant l’urgence économique. Ça sera toujours comme cela dans ces cas là. Depuis 30 ans, c’est ce qu’on nous dit. On verra le réchauffement climatique, on s’en occupera un peu plus tard. Et on ne s’en occupe pas, c’est-à-dire que depuis 50 ans les émissions de gaz à effet de serre ont doublé entre 1970 et 2020. On voit bien l’inefficacité. Pourtant le discours des climatologues sont suffisamment clairs sur les risques.

La réalité c’est qu’on trouve quand même toujours des raisons pour dire le réchauffement climatique, on ne s’en occupe pas la semaine prochaine. Mais la France a du retard par rapport à sa feuille de route, c’est très clair. C’était l’objet de cette venue de la Convention citoyenne pour le Climat***. Et je ne suis pas certain que les mesures qui vont être mises en œuvre seront suffisantes pour mettre la France sur des bonnes trajectoires, sans parler du reste du monde bien sûr.

Quels enseignements peut-on tirer de cette crise sanitaire ?

Je pense aussi qu’il faut faire confiance aux scientifiques. Début juillet, tous les scientifiques étaient d’accords. Si on ne se déconfine pas sérieusement il y aura une seconde vague. Quand on voit la communauté scientifique en France, ils ont eu un peu près tout bon. Ce qui a manqué, c’est faire confiance, je le redis. Le climat que l’on a aujourd’hui c’était un modèle anticipé il y a 30 ans.

On sait bien qu’en terme de rythme de réchauffement climatique : on est sur deux dixième de degrés par décennies, l’amplification du réchauffement dans la région polaire. Tout cela c’était déjà envisagé il y a 30 ans et cette confiance dans les scientifiques on ne l’a pas, alors qu’on a sous les yeux la réalité de ce qui avaient été prévu par notre communauté. Le moins qu’on puisse dire c’est que ça devrait inciter chacun d’entre nous, mais aussi nos gouvernants et tous les décideurs économiques à prendre au sérieux les scientifiques. Le message est clair.

On a toujours dit que l’année 2020 était une année charnière. On le dit depuis 15 ans, c’est vraiment la dernière chance. Notre dernière chance pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, de préserver un climat qu’auquel les jeunes d’aujourd’hui pourront s’adapter dans la deuxième partie du siècle. C’est au cours de cette décennie, qu’il faut le faire. Les chiffres sont là. Divisé par deux l’accord de Paris, il faudra multiplier par trois les objectifs de deux degrés entre 2020 et 2030 par 5 pour 1 degrés 5. Ce sont des choses qu’on dit, qu’on écrit, qu’on reredit. Et voilà on passe à autre chose. Un des principaux enseignements : faites confiance à la communauté scientifique !

Vous êtes optimiste pour la suite ?

Je crois vraiment que le réchauffement climatique va encore prendre deux dixième de degrés d’ici 2030. En Chine ça bouge, pourquoi ? Parce que les jeunes chinois, les jeunes générations souhaitent une prise en compte de l’environnement. C’est une raison d’être optimiste. Disons que je suis modérément optimiste quand je vois la réalité d’aujourd’hui. C’est-à-dire que les mêmes qui affichent cette neutralité carbone en 2050-2060 et bien ils pensent qu’on pourra s’en occuper en 2040. Et ça c’est faux ! D’ailleurs, il aurait dû s’en occuper dès le protocole de Kyoto. Il y a un manque de réalisme de nos gouvernants. On ne peut pas annoncer quelques choses dans les textes et faire le contraire dans l’action de tous les jours.


*Zoonose : un groupe de maladies infectieuses qui se transmettent naturellement de l’animal à l’homme.

**Les accords de Paris :  ils définissent un cadre mondial visant à éviter un changement climatique en limitant le réchauffement de la planète à un niveau nettement inférieur à 2 °C et en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5°C.

***La Convention citoyenne pour le Climat : elle a réuni 150 citoyens français tirés au sort. Elles avaient pour objet de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale.

****La nouvelle loi : le gouvernement français proposera une loi découlant des propositions de la Convention citoyenne pour le Climat. Celle-ci ne devrait pas être connue avant la fin de l’année 2020. Sur les 149 mesures, Emmanuel Macron avait déjà demandé trois jokers : un sur la révision du préambule de la Constitution, un autre sur la limitation à 110km/h sur autoroute et le dernier sur la taxe de 4% sur les dividendes.


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