Agriculture

Ton jardin tu prêteras,
la récolte vous partagerez

Par Clarisse Briot, le 7 juin 2016



Prêter à un particulier le potager dont on ne peut pas s’occuper contre une partie de la récolte ? Cette pratique solidaire et conviviale se développe grâce à des sites d’annonces qui facilitent les échanges et offrent ainsi de nouveaux terrains de rencontre.

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Tous les deux affairés, elle au milieu des parterres de fleurs, lui au potager, ils forment un duo de jardiniers peu commun. Simone a 90 ans, François en a 66 de moins. On pourrait les croire grand-mère et petit-fils, mais il y a quelque temps encore, ils ne se connaissaient pas. Pour la troisième année consécutive, le jeune homme emprunte la parcelle de cette habitante de Villebon-sur-Yvette (91). Durant son temps libre, François sème, cultive et récolte les produits du potager que Simone n’a plus la force d’entretenir. En retour, elle reçoit avec plaisir sa part de courgettes, haricots verts, salades ou carottes au gré des saisons.

La rencontre s’est faite par l’intermédiaire du site Internet Savez-vous planter chez nous, qui met en relation propriétaires de terrain et jardiniers amateurs en quête d’un lopin de terre. « C’est ma belle-fille qui a eu l’idée de m’inscrire, sans même me le dire ! », s’amuse Simone. Ses cinquante mètres carrés de potager font ainsi le bonheur de François. « J’ai été élevé dans une grande maison, avec beaucoup de terrain. Je passais énormément de temps dans le potager de mon grand-père. Alors, me retrouver dans un petit appartement en région parisienne, c’était  difficile ! », témoigne-t-il.

Jardiner, un terrain de rencontres

L’arrangement est souple. François prévient d’un coup de fil et vient au jardin quand il veut et quand il peut, le week-end et le soir en semaine, après le travail. Il utilise les outils de la maison et irrigue grâce à deux récupérateurs d’eau de pluie. C’est lui qui choisit et achète les semis. Le partage de la récolte se fait ensuite en toute simplicité. « On ne pèse pas ! », plaisante-t-il. Quand il est au potager, Simone n’est jamais loin, taillant les rosiers, traquant les mauvaises herbes et les pissenlits dans ses myosotis et ses primevères. C’est l’occasion de bavarder. « On ne parle pas que jardin ! », souligne François. Il évoque son travail, sa voiture en réparation chez le garagiste, prend des nouvelles des petits-enfants et arrière-petits-enfants de Simone, avec lesquels il lui arrive de partager un goûter lorsqu’ils sont de passage. Quant à Simone, elle a déjà fait la connaissance de la petite amie du jeune homme, de ses parents et même de ses beaux-parents.

« Le jardin est un terrain de rencontres, où l’on cultive autre chose que les seuls légumes », résume Vincent Larbey, membre du réseau national du Jardin dans tous ses états (JTSE) et directeur de l’Écolothèque de Montpellier Agglomération.

Le renouveau du jardinage

Selon lui, les coups de main entre jardiniers existent depuis longtemps, mais, depuis le milieu des années 2000, il observe une rationalisation des échanges à travers l’émergence des sites d’annonces. « Au-delà de la solidarité, c’est le manque de temps qui explique cette pratique. Aujourd’hui, le jardinage n’est plus seulement une affaire de retraités. De plus en plus de jeunes s’y mettent, sans avoir de terrain ni autant de compétences et de temps à y consacrer que leurs aînés. » Le prêt de jardin et le cojardinage sont alors des solutions pour ces nouveaux jardiniers. Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux s’adonne à cette activité, un sur trois possède un potager, couvrant 225 000 hectares [1]. Et il y a encore de la terre à conquérir, puisque les pelouses occupent, elles, environ 624 000 hectares [2].

Cet engouement pour le jardin reflète, en période de crise économique et environnementale, le désir d’une part croissante de la population de consommer des fruits et légumes frais, à moindre coût et cultivés naturellement. « Nous promouvons le plus possible les méthodes biologiques », souligne Chantal Perdigau, la créatrice du site Savez-vous planter chez nous, dont nombre d’annonces mettent en avant une volonté de jardiner sans produits phytosanitaires et au rythme des saisons. « Manger sain semble être la première motivation des jardiniers, le coût arrivant en deuxième critère, en particulier pour les espèces réputées chères – haricots, tomates anciennes… –, relève de son côté Vincent Larbey. Manger local est plutôt évoqué par les jardiniers ayant une implication militante. » C’est notamment le cas en ville où jardins de balcons, de toits et de friches participent à une nouvelle agriculture urbaine venant grignoter le bitume, raccourcir les circuits et rapprocher le citoyen de la nature.

EHF-2015-05-1111 - Jardiner

Jardiner, plus qu’un simple échange de services

Au cœur de Paris, Lynda et Élisabeth, deux amies, jardinent, moins pour produire leur consommation que pour le plaisir du contact avec la terre et du moment partagé. Ces deux paysagistes de métier n’avaient jusque-là que leurs rebords de fenêtre pour exprimer leurs talents. Il leur manquait un espace un peu plus grand leur permettant de jardiner ensemble quelques heures par mois. Depuis plus d’un an, les deux jeunes femmes disposent à leur guise de deux parcelles d’une dizaine de mètres carrés, dans le 15e arrondissement de Paris. Ce jardin appartient au foyer Viim, une structure de l’association L’Arche à Paris, où vivent des personnes en situation de handicap mental accompagnées au quotidien.

« On fait des essais, on regarde comment les plantes poussent ensemble, on continue d’apprendre », poursuit Lynda. Elle a un faible pour les fleurs et compte bien surmonter le piètre ensoleillement et la terre un peu trop dure des parcelles. Élisabeth, davantage portée sur les fruits et légumes, s’occupe du petit potager. L’association leur rembourse certains achats de plantes et leur fournit l’eau. Mais, pour l’essentiel, les deux paysagistes se débrouillent en troquant des plantes et des graines et en fabriquant du compost à partir des épluchures du foyer. Un échange qui dépasse le simple service rendu.

« Nos équipes n’ont pas forcément la main verte. C’est une chance d’avoir un joli jardin, explique Charlotte Pascot, éducatrice et responsable du foyer. Au-delà de ça, les paysagistes discutent avec les résidents, déjeunent de temps en temps avec eux. C’est en phase avec notre projet de créer des liens entre les personnes handicapées et le monde extérieur. » « Cela a changé mon point de vue sur le handicap, témoigne Élisabeth. C’est un monde que je ne connaissais pas et que je n’aurais peut-être jamais rencontré. » Et si, à l’avenir, l’occasion se présente, les deux jeunes femmes sont prêtes à partager binette et sécateur avec les résidents et à transmettre un peu de leur passion.

1. Selon un rapport du Sénat citant l’Insee.
2. Gnis, La Pelouse en chiffres.

 

Texte : Clarisse Briot (L’ESSentiel)
Photos : Éléonore Henry de Frahan

© Kaizen (tiré de Kaizen 21) construire un autre monde… pas à pas

 


Les sites d’annonces : Plantez chez nous / Prêter son jardin / Boutch à boutch (vallée de Chamonix uniquement)


Mode d’emploi pour un cojardinage harmonieux

Pour que le plaisir ne se transforme pas en corvée, mieux vaut prendre quelques précautions avant de se lancer. Chantal Perdigau, de Savez-vous planter chez nous, dispense quelques conseils. Première étape : se mettre d’accord sur les modalités générales de l’échange. « Il faut être clair sur ses intentions, savoir ce qui est partagé ou non, notamment en matière de récolte », détaille Chantal. Autres points à discuter : le type de culture choisi, les modalités pratiques – qui prend en charge l’achat des graines, l’outillage, les frais de gestion de l’eau… ? – ou encore la fréquence de travail et l’accès au jardin. Le site propose deux modèles de convention pour aider à formaliser l’accord : soit pour une mise à disposition sans contrepartie de la parcelle, soit pour un prêt de jardin avec partage de récolte. Une fois ces précautions prises, n’oubliez pas que la convivialité et l’esprit d’entraide restent les meilleurs garants d’un partage réussi.

Troquer sa récolte ou donner son surplus

La générosité de votre verger dépasse votre capacité à faire des confitures et des compotes ? Vous souhaitez consommer des légumes frais, mais n’avez pas de potager et un petit budget ? Vous croulez sous les pommes de terre tandis que vos tomates ont refusé de mûrir ? Spontanément pratiqués entre voisins, le don et le troc de récoltes font recette grâce à Internet. Des sites d’annonces qui localisent troqueurs et donneurs ont vu le jour ces dernières années. L’association Les Ptits fruits solidaires – et sa plate-forme en ligne – mise ainsi uniquement sur le don des surplus de fruits, sans contrepartie, pour lutter contre le gâchis et favoriser solidarité et circuits courts. « Il faut que cela devienne un réflexe, car cela ne coûte rien, seulement un peu de temps », souligne Gilles Lepeytre, à l’initiative du site.

Sites d’annonces : Nos jardins / Le Potiron


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© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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Claudel le 11/11/2016 à 11:28

Bonjour !
cela est intéressent , pour les grandes villes , Mais dans les petites villes ou campagnes , difficile a faire ? car on retrouve tout c'est jardiniers sur les marchés ou chaqu'un vend ça propre récoltes. C'est gents là , vous donnent des conseils pour planter , mais pas d'échange . Dans mon village de trois milles habitants ( Chabris 36210 ) il y a beaucoup de jardin abandonné , car les gens sont trop vieux .

Nicolas Cadilhac le 10/06/2016 à 16:06

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