Infirmière ou policier ? le faux débat
Infirmière ou policier ? le faux débat
Tentons de prendre de la hauteur. Car là, collée sous nos yeux, sur les réseaux sociaux et autres médias, tourne en boucle cette image d’une infirmière molestée par les forces de l’ordre. D’un côté, les cris d’orfraie : « Quoi ! une infirmière qui a eu le Covid, qui a sauvé des vies… La police ne respecte plus rien » ; de l’autre : « Si elle a de l’asthme, qu’allait-elle faire dans une manifestation ? Et puis elle n’avait qu’à pas envoyer de projectiles sur les forces de l’ordre. » Loin de moi l’idée de vouloir départager les responsabilités des uns et des autres. N’allez pas lire que j’approuve les méthodes musclées de l’arrestation de cette femme de 1,55 mètre par des RoboCop qui lui tirent les cheveux. Il y a la loi et la façon de la faire respecter.
Ce que montre cette séquence, c’est qu’on est encore loin de la « pensée complexe » d’Edgar Morin [lire Kaizen n°50 ]. On juge sur la base d’une photo ou d’une vidéo d’une trentaine de secondes. Pourquoi cette infirmière a-t-elle lancé des projectiles ? Est-ce la colère d’avoir enduré ces derniers mois des conditions extrêmement difficiles alors que des technocrates, au chaud dans leurs ministères, gèrent depuis des années les hôpitaux avec des tableaux Excel ? Tous les jours et de manière exacerbée pendant la pandémie, cette femme en blouse blanche fait face à des êtres humains frappés par la maladie, la peur, la souffrance, la mort ; elle fait face à des familles en deuil, pas à des tableaux croisés dynamiques ou à des histogrammes ! Pourquoi les forces de l’ordre ont-elles été si rudes avec elle ? Mais, in fine, le pourquoi ne m’intéresse pas. Ce que je vois surtout, c’est que cette séquence nous divise. Elle renforce les « anti » comme les « pro » police dans leurs convictions. Et tout le monde se fait prendre au piège du « diviser pour mieux régner » des dominants . Avec, d’un côté, une infirmière qui touche 2 000 euros ; de l’autre, des CRS qui en touchent 2 500. La belle affaire…
Au dessus, Marc Zuckerberg doit bien rigoler de nous voir tous rivés à des écrans engrangeant recettes publicitaires et temps de cerveau disponible.
Au dessus, les « dirigeants » français doivent bien rigoler de nous voir nous écharper pour ou contre des « Français moyens » pendant qu’ils votent une loi de finances rectificative où l’on donne, par exemple, 15 milliards d’euros à l’aviation, 8 milliards au secteur automobile, 60 millions pour le développement du vélo et zéro pour le ferroviaire. Ça, c’est un vrai enjeu de société… et personne n’en parle.
Et je ne vous raconte pas les exilés fiscaux, qui privent les infirmières comme les forces de l’ordre de conditions de travail et de revenus décents. Pour mémoire l’évasion fiscale c’est 100 Milliards d’euros par an. Ils ont la belle vie, aux Caraïbes ou ailleurs. Ils doivent bien rigoler, eux aussi.
Bref, cette séquence révèle la dualité, symptôme et symbole de notre société. Si nous voulons changer les choses, changeons déjà cette vision duelle qui nous tue. Soyons unis.