Écoles alternatives

François Taddei : « Je suis pour que l'enfant s'épanouisse »

Par Pascal Gréboval (propos recueillis), le 9 septembre 2022

François Taddei ©Patrick Lazic

Diplômé de Polytechnique, ingénieur des ponts, des eaux et des forêts (IPEF), docteur en génétique, directeur de recherche à l’Inserm, spécialiste reconnu de l’évolution, François Taddei est un fruit remarquable du système éducatif français. Pourtant, il milite pour sa transformation. Il ne se contente pas de mots, il explore. Il a cofondé en 2006 le Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), devenu le Learning Planete Institute, un espace dédié aux nouvelles manières d’apprendre.

Comment définissez-vous le concept d’éducation ?

Je préfère le terme apprendre à celui d’éducation. Parce qu’apprendre, on peut le faire dans tous les environnements, à tous les âges, seul ou accompagné. L’éducation est un contexte assez formel avec un programme, un cadre scolaire et différents niveaux hiérarchiques. L’éducation est un lieu où nous sommes invités à nous côtoyer en respectant ce cadre que j’aimerais plus libre, évolutif et fécond. Mais il y a beaucoup de souffrance en ce moment dans ce cadre et il faut se demander ce qu’on pourrait faire pour qu’il soit encore plus émancipateur et permette aux jeunes de comprendre les défis du XXIe siècle.

Par rapport à ces défis du XXIe siècle, l’école française vous paraît-elle adaptée aux transitions ? Prépare-t-elle à l’imprévisibilité du monde de demain ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas préparée à l’imprévisibilité du Covid, par exemple, et que cela a beaucoup de conséquences négatives sur les apprentissages et la santé mentale des jeunes. Cela a aussi posé problème aux enseignants et aux familles. Alors que le ministère de l’Éducation nationale a le premier budget, celui-ci a fait le moins de dépenses de recherche, développement et formation, contrairement aux ministères de la Défense, de la Santé, etc. Or, si vous n’investissez pas dans ce domaine, vous ne pouvez pas évoluer. C’est donc un ministère qui n’est pas préparé à cette imprévisibilité. Résultat : il passe de crise en crise et manque de recul et de capacité à penser sa trajectoire, son avenir.

L’école aurait dû rebondir sur la crise du Covid ?

Toutes les crises et en particulier celles qui peuvent provoquer de l’anxiété doivent être contextualisées. En Chine, par exemple, le mot crise contient deux caractères. Le premier, c’est danger, le deuxième, c’est opportunité. Or, cette crise nous a tous beaucoup affaiblis, fatigués, en particulier les plus jeunes, mais aussi les enseignants et les citoyens. On n’a pas su se donner du temps pour exprimer les difficultés, les émotions traversées, et imaginer des solutions. Or, cette capacité à ressentir, imaginer, faire et partager me semble essentielle pour apprendre de ces défis auxquels on est confrontés. Et honnêtement, on va en avoir besoin.

Apprendre à exprimer les émotions, cela ne fait pas partie du programme scolaire ! Comment développer ce type d’aptitude ?

Apprendre à prendre soin de soi, des autres et de la planète devrait se faire à tout âge. L’un des problèmes de l’hypercompétition scolaire est qu’elle donne l’impression que la seule chose qui compte, c’est la note, au risque d’oublier que l’essentiel, ce sont les êtres humains, leur développement – personnel, affectif, intellectuel, social. Or, faire preuve de plus d’empathie contribue à plus de réussite. Si vous avez un enfant stressé, mal dans sa peau, qui ne dort plus, qui est harcelé ou harceleur, vous avez un enfant qui ne peut pas bien apprendre ni permettre aux autres autour de lui de travailler sur cette intelligence émotionnelle, comme ce qui est fait en Scandinavie dès le plus jeune âge.

Faire preuve de plus d’empathie contribue à plus de réussite.

En France, on a les jeunes les plus anxieux et, en Suède, on a les jeunes qui vont le mieux, avec de meilleurs résultats scolaires et une société plus apaisée. Cela ne veut pas dire que tout est à jeter chez nous. Mais il faut analyser avec sérénité et distance ce qui se passe, ce qui marche bien, et dire ce qui ne va pas. Un des problèmes clés du système, c’est ce fameux devoir de réserve, alors qu’il faut exprimer les difficultés et chercher ensemble des solutions. On devrait avoir un devoir de critique constructive du système, sur tous les sujets.

Donc développer plus les savoir-être et un peu moins les savoirs académiques ?

On peut apprendre avec les émotions. La littérature est pleine de manières de les comprendre. On peut les quantifier pour faire des maths, de la science. Si on maîtrise mieux les savoir-être, on peut acquérir plus de savoirs. Les jeunes finlandais ou canadiens vont mieux d’un côté et apprennent mieux de l’autre. Dans les classements internationaux, ils sont meilleurs que nous. Il faut arrêter d’opposer les deux. Je ne suis pas pour les savoir-être ou les savoirs fondamentaux : je suis pour que l’enfant s’épanouisse.

Pour que ces émotions soient entendues et exprimées, il faudrait mieux écouter les besoins des enfants. Dans l’école républicaine, avec son approche descendante, ces besoins sont-ils respectés ?

Effectivement, les enfants sont un peu les derniers non-citoyens. D’ailleurs, les droits dont ils disposent ont été définis par des adultes. Ils ne sont pas suffisamment respectés ; on le voit ne serait-ce que dans les violences intrafamiliales. Il y a eu beaucoup de progrès depuis un siècle dans les familles, mais l’école évolue plutôt moins vite sur ce sujet. Certes, il y a des conseils d’élèves, des éco-délégués, des espaces dans lesquels les jeunes sont invités à faire des choses, mais on ne discute pas avec les jeunes des programmes. Et pourtant ils ont plein de choses à dire, y compris sur le fait qu’ils voudraient apprendre plus de choses sur le changement climatique, leur santé mentale, le numérique, etc. On devrait leur donner la parole sur l’école, les droits, la société et la planète qu’ils souhaitent.

On passerait alors à un modèle qui favorise la coopération plutôt que la compétition…

Oui, cette compétition exacerbée pour les notes, puis pour les ressources économiques, énergétiques et naturelles, nous a amenés dans le mur, à toujours plus d’exploitation. Comment sortir de ces logiques destructrices d’hypercompétition et d’hyperexploitation où tout le monde perd à long terme ? On ne peut sortir par le haut de cette situation qu’en coopérant, dès le plus jeune âge, pour coconstruire demain.

En France, de nombreuses initiatives dans les écoles publiques ou alternatives remettent en avant la coopération. Comment la favoriser dans l’Éducation nationale ?

Les pays qui ont su se transformer sont passés d’une logique de contrôle et d’inspection à une logique de confiance et de coopération. Ce sont eux les « premiers de la classe » au classement PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’OCDE. On peut en prendre un par continent : Singapour en Asie, la Finlande en Europe et le Canada sur le continent américain. Chacun a une culture, une histoire et une géographie très différentes. Pourtant, ils sont passés d’une logique dans laquelle on impose tout d’en haut à une logique où l’on accompagne par la recherche et la formation continue, l’évolution des équipes. Cela suppose une volonté de changement par le dialogue, plus dans la coconstruction. En France, on pense des réformes depuis la Rue de Grenelle, qui dégringolent les niveaux hiérarchiques jusqu’à arriver sur le terrain où elles s’imposent partout, sans que les acteurs aient été entendus. On pense et on écrit « liberté, égalité, fraternité » en pensant qu’on aura plus d’égalité. Or, on a l’un des systèmes scolaires les plus inégalitaires des pays développés ! On a donc vraiment besoin d’un peu plus d’humilité.

Faut-il donner plus d’autonomie aux directeurs d’établissement comme le font les Finlandais. Comprenez-vous la crainte des syndicats français ?

La crainte des syndicats est que l’autonomie amène à plus d’inégalités et qu’on mette plus de moyens dans certains endroits. Or, on peut très bien créer des systèmes de péréquation financière beaucoup plus efficaces aujourd’hui dans les zones d’éducation prioritaire. Le politique nous dit qu’il met plus de moyens dans ces zones, mais ce n’est pas vrai. Certes, on met plus d’heures, mais on y envoie des jeunes profs sous-payés ; les profs en fin de carrière en centre-ville sont nettement mieux payés. La masse salariale des établissements de centre-ville est donc bien supérieure à celle des zones d’éducation prioritaire. Il faut l’admettre et comprendre comment d’autres pays ont réduit les inégalités.

Dans votre livre Apprendre au XXIe siècle, vous écrivez que les enfants connaissent plus de marques commerciales que de noms de plantes ou d’animaux. Quels problèmes cela pose-t-il ?

Les enfants doivent apprendre à se connecter à eux et aux autres, mais aussi à la nature ; ils le sont toujours moins parce qu’ils vivent plus en ville, qu’ils sont plus sur les écrans, qu’on les invite moins à se promener, etc. C’est un problème parce qu’on ne protège bien que ce qu’on aime et on n’aime que ce qu’on connaît.

On doit leur apprendre à prendre soin d’eux-mêmes, des autres et de la planète

L’autre souci est qu’ils sont bombardés par les pubs sur les réseaux sociaux liés à l’intelligence artificielle, lesquels traquent leurs habitudes en ciblant leurs faiblesses. Puisque l’enfant n’a pas appris à se connaître lui-même, la machine le connaît mieux. Celle-ci va lui créer des besoins artificiels, pour consommer telle ou telle marque. Dans leurs rapports sur la santé des enfants, l’OMS et l’Unicef nous alertent sur le fait que nos enfants sont manipulés par l’intelligence artificielle. Avec ces addictions, on crée de la dépression, de la surconsommation et toujours plus de pollution. Or, on doit leur apprendre à prendre soin d’eux-mêmes, des autres et de la planète, et à utiliser à bon escient le numérique.

L’une des solutions serait-elle d’avoir des écoles dans la nature, dans la forêt ?

C’est très important d’avoir plus de connexion avec la nature et c’est effectivement une des manières de le faire. Apprendre, par exemple, que si l’on se promène en forêt et qu’on est invité à s’émerveiller de sa beauté, il y a déjà un effet positif. Cette capacité à se reconnecter à soi, à ses racines culturelles, personnelles, familiales et avec la nature me semble importante pour produire de nouveaux récits, comprendre d’où l’on vient et mieux analyser où l’on est.

Un entretien à retrouver également dans notre grand format consacré aux méthodes éducatives alternatives, disponible en kiosque et dans notre boutique en ligne : https://bit.ly/grand-format-ecole

 

POUR ALLER PLUS LOIN

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