Culture & Solidarités

Faire de l’âge une œuvre d’art 

Par Marion Paquet  , le 30 septembre 2021



Théâtre, peinture, sculpture, musique… nombreux sont ceux qui profitent du temps de la retraite pour démarrer une activité artistique. Une envie, voire un besoin, qui peut combler un manque suite à l’arrêt du travail, et qui prévient même des maladies liées à l’âge. 

Sur la dizaine de tables qui meublent cet atelier associatif, dans la banlieue de Grenoble, des coffrets de pastels multicolores sont disposés autour de feuilles de papier à dessin. Des mains, plus ou moins ridées, les saisissent avec détermination pour jeter sur le papier l’une ou l’autre couleur, créant formes et reliefs correspondant chez l’un à un portrait, chez l’autre à un paysage, chez Louise Trochain, à un tableau repéré sur Internet : « Ce qui m’intéresse ? C’est l’émotion, répond la septuagénaire inscrite depuis trois ans aux ateliers pastel. L’envie de créer m’est venue en allant à des expositions. Je voulais, moi aussi, essayer de reproduire ce que je ressens à travers l’art. Pour moi, c’est un moyen d’expression, qui fait ressentir des émotions, du plaisir. » De nombreux retraités de l’atelier ont eu le même déclic : la contemplation d’œuvres dans des expositions. Leur raison d’avoir attendu la retraite pour s’y atteler ? Le manque de temps… Mais derrière cette justification se pose toujours la question de la priorité donnée à ces activités : pourquoi ce besoin d’une pratique artistique est-il plus urgent à la retraite ? 

 

C’est bon pour le moral ! 

L’explication nous est donnée par Fabrice Chardon, psychologue clinicien et art-thérapeute : « La question est de savoir à quel besoin, à quelle souffrance même, on répond par l’art. Un changement de vie et notamment l’arrêt d’une activité professionnelle peuvent provoquer des souffrances [liées au manque de vie sociale, de stimulation intellectuelle, au sentiment de ne plus rien savoir faire, etc. N.D.L.R.] et l’art peut soigner ces souffrances psychiques. » Comment ? Celui qui est aussi directeur de l’école d’Art-thérapie de Tours (AFRATAPEM) part du principe que les émotions provoquées par l’art, qu’elles soient agréables ou désagréables, permettent de se sentir vivant : « Plutôt que la pensée cartésienne selon laquelle « je pense donc je suis », je préfère dire « je ressens donc je suis ». Cette considération pour soi donne l’envie d’agir et rend capable d’entrer dans une phase de création. Le fait de créer, en exprimant son style, sa créativité, valorise ensuite la confiance en soi. Enfin, la production finale met en avant l’affirmation de soi en faisant le choix délibéré de dire : c’est fini, ça correspond à ce que je voulais faire, j’aime ou je n’aime pas. »

D’ailleurs, pas besoin que la production soit satisfaisante pour ressentir que ce Fabrice Chardon appelle le « bon » : « Il arrive que la production finale ne ressemble pas tout à fait à ce que l’on envisageait, comme cela a des chances d’arriver en modelage par exemple, mais le fait de malaxer la terre, d’être dans l’activité créatrice suffit à provoquer des émotions agréables et, même si c’est « raté », à enclencher ce circuit de la récompense. » Un cercle vertueux, similaire à celui qu’entretient une vie active et professionnelle, que la pratique artistique réussirait à combler et qui s’oppose aux mécanismes de la dépression. « Les personnes déprimées n’ont tellement plus d’estime de soi qu’elles sont dans l’incapacité d’agir, elles ne ressentent plus rien », précise Fabrice Chardon, avant d’expliquer comment cette théorie se traduit scientifiquement : « Lorsque l’on ressent une émotion, une sensation agréable, le cerveau produit de la sérotonine, l’hormone dite du plaisir ou du bonheur. Cette hormone stimule le circuit de la récompense. A contrario, une carence en sérotonine provoque la dépression. » Si l’art n’est pas un besoin vital, le neuropsychologue Hervé Platel affirme que « sans lui, la vie serait moins agréable. L’art est une sorte de récompense pour notre cerveau qui sert à notre régulation socio-émotionnelle. L’art nous donne l’impression de ne pas vivre pour rien. » 

 

L’art qui soigne 

Si l’art fait du bien au moral, dans le cadre d’une crise existentielle comme peut l’être la fin de vie professionnelle, il serait également bénéfique pour la santé. Fabrice Chardon participe depuis 2010 à une étude au CHU de Grenoble sur les impacts antalgiques et anxiolytiques de la musique en soins palliatifs : « Elle montre provisoirement une baisse du taux de cortisol, l’hormone du stress, chez les patients », explique l’art-thérapeute 1. D’autres expériences montrent que la pratique artistique protégerait la mémoire : Hervé Platel, coauteur de Le Cerveau musicien, est l’un des premiers chercheurs à avoir identifié les réseaux cérébraux impliqués dans la perception et la mémorisation de la musique, notamment chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Dans une conférence, il cite une étude nordique, où les cas de jumeaux ont pu être analysés : l’un ayant fait de la musique dans sa vie et l’autre non. Résultat : les musiciens sont moins sujets aux maladies neuro-dégénératives (2). « Une étude réalisée au centre de neuro-imagerie de Caen appuie cette hypothèse, complète Hervé Platel, en montrant que les hippocampes (régions du cerveau particulièrement impliquées dans la mémoire) sont, chez les musiciens, moins altérées par les effets du vieillissement. On peut donc supposer que la pratique de la musique va nous aider à avoir une meilleure mémoire ou en tout cas à la protéger (3). » Reconnu comme bon pour la santé, l’art peut être prescrit sur ordonnance à Montréal, via une visite au musée notamment. La métropole canadienne reconnaît que l’art-thérapie moderne (qui travaille sur les émotions des patients et non sur leur production artistique) améliore l’humeur des patients, leur permet de réduire leur dose de médicaments et de réduire leur convalescence. En France, l’art-thérapie ne bénéficie pas encore d’une telle reconnaissance. Seule une convention « Culture et Santé », datant de 1996, finance la mise en place de projets artistiques et culturels dans les hôpitaux 4. Pourquoi ? « Pour caricaturer, l’art ne fait pas perdre de poids, soutient Fabrice Chardon. L’activité physique participe de la valorisation corporelle, dont l’effet est visible, alors qu’en art, on est plus sur un impact psychique, psychologique… mais on sous-estime aussi l’effet physique provoqué par l’action créatrice. L’autre problème est aussi que l’art est encore perçu comme élitiste par le grand public. » Voire inutile ? « Effectivement, c’est aussi le cas », regrette l’art-thérapeute. 

Autre raison peut-être à ce manque de reconnaissance : l’idée que la perception et l’expression des émotions s’émousseraient avec l’âge. Hervé Platel nuance : « La sensibilité esthétique ne s’émousse pas particulièrement avec le vieillissement, et les pratiques d’activités artistiques sont généralement bénéfiques pour la réserve cognitive. » À tout âge, il est d’ailleurs possible de progresser. Que vous aimiez faire du théâtre à l’occasion, jouer de la guitare pendant des heures, peindre sans voir le temps passer ou griffonner des croquis quand le cœur vous en dit, toutes ces activités artistiques sont bénéfiques pour le moral, comme pour la santé, mais aussi la sociabilité. À chacun de choisir son activité en fonction de ses envies ! Personne ne pourra dire que c’est du temps perdu… 


  1. Source étude à venir…
  2. HervéPlatel, « L’art pour soigner la mémoire ? », conférence enregistrée en septembre 2016 par France Culture dans le cadre de « La semaine de la mémoire 2016 », disponible en ligne.
  3. HervéPlatelet Mathilde Groussard, « La mémoire sémantique musicale : apport des données de la neuropsychologie clinique et de la neuro-imagerie fonctionnelle », Revue de neuropsychologie, 2010, 1. 
  4. Source convention à venir…


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