Économie & Gouvernance

Et si précarité rimait avec créativité ?



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Mathilde Gaudéchoux est une journaliste de 29 ans. Elle a publié en août 2015 le livre Ma vie à deux balles, Génération débrouille (Les Liens qui libèrent), avec la photographe Sophie Brändström. Cet ouvrage nous plonge dans l’économie du partage, en suivant les parcours de vie de jeunes de la génération  Y. Entretien.

 

Pourquoi avoir écrit un livre sur la génération Y ?

Sophie Brändström a réalisé en novembre 2013 le webdocumentaire Ma vie à deux balles. Il creusait cette thématique de l’économie collaborative par les expériences de jeunes dans la précarité. J’ai contribué à la rédaction des portraits de ces jeunes. Par la suite, la maison d’édition Les Liens qui libèrent nous a contactées, afin d’approfondir la question. Cela nous a pris deux ans pour mener cette enquête. Le livre Ma vie à deux balles est un plaidoyer pour se créer un réseau social, aller vers l’autre et entreprendre avec autrui.

Pendant l’écriture de ce livre, j’ai rencontré beaucoup de jeunes très créatifs et débrouillards. Quand on n’a pas beaucoup d’argent, il faut compenser par plein d’idées ! Beaucoup d’entre eux mettent en œuvre les préceptes de Pierre Rabhi, au sujet de la sobriété heureuse et de la simplicité volontaire. Ces jeunes ralentissent, ils prennent le temps de cuisiner, de bricoler, etc. Ils pratiquent une forme de décroissance volontaire.

Je crois beaucoup au fait d’avoir une vie plus simple, de consommer d’une manière responsable. Je crois aussi beaucoup à la gentillesse, à l’ouverture aux autres : en rendant des services, on reçoit en retour, les gens égoïstes s’isolent d’eux-mêmes.

Que retenez-vous de cette génération Y, de son monde collaboratif ?

Créativité
Mathilde Gaudéchoux ©Thomas Masson

C’est difficile de faire un portrait type de la génération Y. Mais il existe un socle commun : un besoin de liberté sans doute plus important que pour les générations précédentes ; l’envie, pour ces jeunes, de trouver du sens dans ce qu’ils entreprennent et de reprendre leur vie en mains, quitte à renoncer au confort et à un salaire élevé. Cela porte un nom : le job-out. Cela montre que ces jeunes s’écoutent d’avantage et qu’ils prêtent moins d’attention à faire des choses uniquement pour être bien vus. Ce sont des jeunes qui sont dans la construction de soi.

Il est frappant de constater que les jeunes d’aujourd’hui choisissent délibérément de vivre dans cette société de la débrouille. Contrairement à leurs aînés, ils en tirent une situation positive. Ils ne subissent pas la précarité et sont extrêmement créatifs. Je parle bien sûr de jeunes dans une précarité intermédiaire, c’est-à-dire pas ceux qui sont dans une situation de grande exclusion.

Comment les protagonistes du livre incarnent-ils la débrouillardise, au sein de la civilisation du partage ?

Thaïs croit en l’économie collaborative, à la puissance et à l’efficacité des réseaux sociaux et au fait de se réapproprier le temps et la matière. Dans son quotidien, elle fait attention à mieux consommer, à gommer les intermédiaires et à faire par elle-même. Par exemple, elle fabrique ses vêtements, ses crèmes, ses produits d’entretien ménagers, etc.

L’idéal de Kevin, c’est la liberté. Il concrétise ça surtout au travers du logement : il ouvre des squats et y habite avec d’autres personnes. Il partage son savoir-faire dans la rénovation des lieux et dans l’organisation des événements, telles les soirées poésie. Kevin connaît aussi les boulangeries, les magasins et les marchés qui donnent les invendus.

Thomas est axé sur le développement durable. Il a créé une association pour mener à bien son projet de cinéma solaire, un cinéma ambulant qui projette des films sur l’écologie. Il utilise beaucoup les réseaux sociaux, le crowdfunding pour pérenniser son projet.

Mickael est un super-bricoleur qui récupère plein d’objets. Jenifer et son copain viennent de déménager dans une maison dans le Lot, afin de construire un écovillage. Manon et Pierre vivent dans une yourte. Comme Romain, ils pratiquent  l’échange de savoir-faire et la mutualisation des ressources. Par exemple, ils se disent : « Tu sais faire du pain, moi je sais cultiver des tomates. Ça tombe bien, on échange ! »

Quel est le lien entre les réseaux sociaux et l’économie du partage ?

En ce qui concerne l’économie du partage, elle existe depuis toujours. L’utilisation de cette économie est viable à partir du moment où elle répond à des besoins simples et essentiels, comme se nourrir, se déplacer ou se loger. Elle a toujours existé, mais à une échelle plus locale. Je pense notamment au SEL, système d’échange local, qui permet d’échanger des objets et des services entre voisins. Ce mouvement est apparu en 1930 dans une petite ville d’Autriche.  Aujourd’hui, le principe est repris par Talentroc et Mon pti voisinage, par exemple.

Internet permet une diffusion plus large. Avec les réseaux sociaux, on change d’échelle, on sort du cercle local et amical. La génération Y, ultra-connectée, utilise beaucoup l’économie du partage. Et c’est encore plus le cas pour la génération Z. Après, les réseaux sociaux sont juste un outil. Le plus important reste la rencontre réelle, basée sur la confiance. La génération Y est capable d’aller dormir chez des inconnus en louant un logement sur BedyCasa. Elle fait aussi des trajets avec des personnes qu’elle n’a jamais vues avant, en utilisant Covoiturage-libre.fr par exemple.

Avec cette économie collaborative, on prend plus le temps, on fait des économies et on peut rencontrer des personnes. Elle répond à des besoins concrets, dans une logique de gagnant-gagnant.
 

Par Thomas Masson

 


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Le 3 mars 2016
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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Baggio Carol le 16/03/2016 à 23:02

C'est exactement ainsi que vivent mes deux aînés (quoique très différemment l'un et l'autre) et je suis très fière d'eux. Cette génération est magnifique !