Est-il plus écolo de vivre en ville ou à la campagne ? (Partie 1)
Il y a encore quarante ans, la question ne se serait peut-être pas posée. Les écolos (du moins d’après l’image qu’on s’en faisait) vivaient plus volontiers « à la campagne ». Comprenez, ils élevaient leurs chèvres, entretenaient leur potager et leur compost, refusaient la société de consommation et tous ces artifices que l’on trouvait… dans les villes.

Le cliché a la vie dure, mais les temps ont changé et il est désormais légitime de se demander si la pression que nous exerçons sur notre planète est plus forte en ville ou en pleine nature.
C’est quoi l’empreinte écologique ?
Commençons d’abord par rappeler ce qui fait notre empreinte écologique (soit la pression que nous exerçons sur les ressources naturelles de la planète). Principalement et dans l’ordre pour un Français1 :
- notre alimentation (20 500 m2/an)
- nos achats (19 400 m2/an)
- notre habitation (9 700 m2/an)
- nos déplacements (6800 m2/an)
Alimentation, avantage à la campagne
Soyons clair. Faire un potager et se nourrir en grande majorité de ses produits est à notre connaissance le moyen de générer le moins d’impact écologique. Si en plus vous êtes végétarien ou que votre régime alimentaire est peu carné c’est carrément le Pérou. Or, il faut environ 200 m2 pour permettre à une famille de 4 personnes de subvenir à ses besoins en légumes et 400 m2 si on y ajoute les fruits. Ce qui rend la tâche plus ardue en ville. Cela n’empêche pas les citadins de redevenir adeptes des jardins familiaux (on en recense en France environ 150 000 parcelles2 contre 100 000 dans les années 1980 mais 700 000 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale) ou de toute forme d’agriculture urbaine (culture dans des bacs sur les toits, les terrasses, les balcons).
Nos achats : la variable personnelle
Même si l’on peut supposer que vivre en ville augmente le réflexe consumériste, que le grand nombre de boutiques offre une multitude d’occasions d’acheter pour les citadins, peu de chiffres permettent de le vérifier avec certitude. Les zones rurales ou périurbaines sont désormais truffées de centres commerciaux où une partie des habitants du territoire viennent passer leur samedi après-midi.
Empreinte carbone : avantage à la ville
D’après une étude de l’Institut international pour l’Environnement et le Développement, l’empreinte carbone d’un habitant de New York est trois fois inférieure à celle d’un Américain moyen. Évidemment les campagnes américaines ne sont pas les campagnes françaises. Pour autant, d’après une étude de l’Insee (Insee Première n°1357, juin 2011) : «Les habitants des pôles urbains émettent deux fois moins de CO2, grâce à un usage plus fréquent des transports en commun et de la marche à pied. Mais les emplois des grandes villes sont également occupés par des périurbains ou des habitants d’autres villes qui parcourent de plus grandes distances, le plus souvent en voiture. Leurs émissions moyennes sont nettement plus élevées. » Voilà qui nous amène à élargir le débat entre ville et campagne. Ce que l’on a coutume d’appeler le « périurbain », communes avoisinant les pôles urbains principaux où fleurissent les zones pavillonnaires plus ou moins hideuses, fait entièrement partie du problème de l’étalement urbain gourmand en transport et aux mauvaises performances thermiques.
Habitat et déplacements : la double peine des milieux ruraux et périurbains
Dans un monde de plus en plus mobile et au confort accru, une personne vivant à la campagne ou dans les zones périurbaines dépense souvent plus d’argent et d’énergie pour ces deux postes. Ainsi, selon l’étude de l’Observatoire du consommateur d’énergie Crédoc-GDF Suez 2012, les ménages qui habitent les petites villes ou les communes rurales ont une facture énergétique 23 % plus élevée que la moyenne des ménages (14 % dans des villes de plus de 100 000 habitants et 27 % de moins à Paris). Cet écart provenant essentiellement des types de logements (le plus souvent des maisons individuelles), plus grands et aux performances énergétiques plus faibles. Les rédacteurs de l’étude soulignent que la véritable précarité énergétique résulte de la relégation dans les espaces périphériques qui additionnent mauvaise qualité thermique et éloignement des services, commerces et services publics de base. Ce qui a tendance à accroitre le coût des déplacements : plusieurs voitures nécessaires pour un même foyer et peu de transports en commun. La densité des villes permet de limiter l’étalement urbain, de limiter l’imperméabilisation des sols et la place du bitume… Elle permet aussi de fortes économies d’énergie : transports en commun, possibilité de chauffage collectif, commerces à proximité. Le modèle des écoquartiers comme tels que Vauban en Allemagne, écoquartiers de De Bonne à Grenoble, Cullmeborg aux Pays-Bas, tâchent d’optimaliser ce modèle où transports doux, sources d’énergies renouvelables, potagers urbains, commerces, entreprises et logements sont rassemblés le plus intelligemment possible.
Oui mais
« Oui mais… », arguerez-vous, il est possible de vivre en parfaite autonomie, à la campagne. Où nous pourrons éco-construire ou éco-rénover notre maison, faire notre potager et notre compost, installer panneaux solaires et éoliennes, vivre au plus près de la nature et réduire au maximum notre consommation compulsive d’objets et autres vêtements… Certes, vous répondra-t-on, si votre détermination est à ce point affirmée, il est très clair que vivre à la campagne a moins de conséquences néfastes. Selon le ratio de l’empreinte écologique détaillé au début de cet article, avoir une alimentation cohérente (bio, locale, peu carnée) et éco-limiter ses achats (choisir ceux qui ont le moins d’impact négatif et préférer la sobriété) est ce qui fait la plus grande différence. Ceci dit, se pose un autre problème. À moins d’avoir renoncé à tout attribut du confort moderne, votre logis sera très probablement raccordé aux différents réseaux (énergie, télécommunication, eau…). Or, comme le souligne Toby Hemenway3 dans son passionnant article Villes, Pic pétrolier et soutenabilité : « Une population dispersée mobilise davantage de ressources pour son approvisionnement et sa desserte qu’une population rassemblée. Les infrastructures de la ville de New York (canalisations, rues, tunnels de métro) paraissent monopoliser une quantité de ressources considérable, mais elles desservent plusieurs millions de personnes. Si l’on éparpillait ces gens avec une densité de population égale à celle du Connecticut rural, ils occuperaient toute la Nouvelle-Angleterre. » En France, si l’on éparpillait les habitants de Paris intra-muros (105 km2 avec une densité de 21 000 habitants/km2) selon la densité moyenne de la France (115 habitants/km2), ils occuperaient l’ensemble de la Gironde et de la Dordogne (19 000 km2). Ce qui coûterait en prime considérablement plus cher. À l’heure où nous avons grandement besoin de cesser la destruction ou la perturbation des espaces naturels où niche la biodiversité, le GIEC a lui-même inscrit dans ses recommandations la densification des espaces urbains et la « mise en friche » des zones naturelles.
Alors ?
Même s’il faut l’avancer avec énormément de précautions, l’une des pistes les plus probantes serait d’organiser des pôles urbains de taille mesurée (entre 100 000 et 500 000 habitants), dont les performances énergétiques seraient optimisées (logements, transports, éclairage, production d’énergie), faisant la part belle aux espaces naturels (parcs, coulées vertes, arbres, jardins urbains…) et entourés d’exploitations agricoles de petite taille fournissant les marchés urbains. Comme le souligne encore Toby Hemenway : « Dans les moments difficiles de cette crise, ce sont les communautés les plus solidaires, les plus dynamiques, les plus soudées qui sauront le mieux se débrouiller […]. Ainsi, les solutions de l’après-pétrole émergeront probablement là où les gens vivront rassemblés. » Un bel appel à renforcer nos communautés, quel que soit l’endroit où nous vivons !
Par Cyril Dion
Extrait de la rubrique Désenfumage de Kaizen 11.
Lire aussi : Est-il plus écolo de vivre à la campagne ou en ville ? (Partie 2)
1 Source : Cité des sciences.
2 Inventaire national des jardins ouvriers et familiaux, réalisé en 1993 par la Fédération nationale des jardins familiaux pour le compte de la Mission Paysage du ministère de l’Environnement.
3 Auteur, chef de culture à l’Institut de la Permaculture et professeur à l’université de Portland.